Officiellement créé en 1989 sous le nom de « 400 Cadres » en Nouvelle Calédonie, le dispositif a muté en « Cadres d’Avenir », et s’est décliné à Mayotte en 2018 à la suite du mouvement social qui réclamait de l’ingénierie sur place. Il s’agit de promouvoir des cadres locaux, en sélectionnant des étudiants ou des professionnels à fort potentiel, qui après un cursus universitaire dans l’Hexagone ou La Réunion dans un secteur jugé prioritaire, peuvent revenir à Mayotte pour y exercer.
C’est dans cet esprit que Nourdine Boinahery est parti suivre un BTS Comptabilité et Gestion à Armentières (Hauts-de-France) en 2015, après avoir suivi sa scolarité à Mayotte, à l’école et au collège de Tsingoni, puis au lycée de Sada où il a décroché un Bac STMG (Sciences et technologies du Management et de la gestion). Après son BTS il enchaine un DUT de gestion des Entreprises et des Administrations à l’IUT de Valenciennes, puis entre en licence d’administration publique à l’IPAG de la même ville, devenu Université Polytechnique des Hauts-de-France, puis en master. « L’année dernière, j’ai suivi le master 2 tout en passant le concours d’inspecteur des finances », rapporte-t-il. Un challenge qu’il relève haut la main et devient à 24 ans le plus jeune inspecteur des finances publiques de France.
Un 2/20, ça se rattrape
Nous l’interrogeons sur les difficultés de niveau rencontrées par les jeunes mahorais quand ils arrivent en métropole. « C’est une légende ! Il faut arrêter d’abreuver les jeunes avec ça. Quand on met de la volonté et de l’assiduité, on rattrape, voire on devient meilleurs. Ma première année de BTS a traduit les lacunes que j’avais amassées. J’ai eu 18/20 en éco et 2/20 en compta. Du coup, j’ai refait une année, ça m’a aligné sur le niveau national. D’autre part, il faut être tenace. Quand j’ai passé le concours de contrôleur des Finances publiques, j’ai échoué 5 fois, idem au concours de l’Institut Régional de l’Administration, que j’ai manqué deux fois, et celui d’inspecteur, trois fois. Si au bout de trois tentatives, on abandonne, on va en déduire autre chose que si on insiste et qu’on finit par l’avoir ». Et tout ça, en ayant été détecté dyslexique et dysorthographique.
Et sur l’éloignement de la famille, lui fils de l’ancien maire de Tsingoni, arrivant sur un territoire moins chaleureux que son île, dans tous les sens du terme, même type de réponse : « Mon père a été muté dans le Nord de la France pendant un an, mais avant et après, j’étais seul. Mon engagement dans les associations d’étudiants mahorais, a été un cercle vertueux. Nous nous encouragions mutuellement, mon intégration en a été facilitée. »
« Mayotte, c’est complètement bouché ! »
Un cadre A qui va pouvoir apporter son expertise à Mayotte ? La réalité est plus complexe. « J’ai bénéficié pendant mes études de la bourse de la DPSU du Département et de l’aide du dispositif Cadres d’avenir, qui nous octroie une aide à l’installation et une allocation mensuelle destinée à compléter nos ressources financières. En contrepartie, on s’engage à l’assiduité et au sérieux dans les études, et à revenir travailler à Mayotte ensuite ».
Le décret du 28 juin 2021 apporte plusieurs améliorations au dispositif cadres d’avenir : le diplôme en poche, l’étudiant mahorais peut dorénavant rester jusqu’à huit mois en métropole afin d’y effectuer un stage (contre trois mois auparavant), la durée maximale de l’engagement professionnel sur le territoire est réduite à cinq ans (au lieu de 7). Mais pour revenir ensuite, encore faut-il qu’il y ait des places. « Je veux revenir travailler à Mayotte, mais il faudrait que dès qu’on a décroché le concours, il y ait un poste. Or, sur la liste d’affectation, Mayotte est complètement bouchée. » Un comble pour un territoire peu attractif ! Mais l’anticipation peut être compliquée à manier quand la date d’obtention du diplôme est aléatoire. Pas pour notre cerveau, « c’est faisable, juge-t-il, en Nouvelle Calédonie, ils prévoient le recrutement par rapport aux postes qui vont manquer dans 2 ou 3 ans. Il suffit de regarder le prévisionnel de mutation des postes ou les départs à la retraite. Il faut juste optimiser la gestion du prévisionnel des ressources humaines. Dès qu’il y aura une opportunité, je reviendrai. »
Il incarne la solution au manque d’ingénierie tellement décrié sur l’île, mais ce n’est pas comme ça qu’il voit la chose : « Nous ne manquons pas de compétences, mais nous n’avons pas de preuves tangibles. Pour ça, il faut que les jeunes mahorais passent les concours de la fonction publique d’Etat. Or, très peu tentent l’ENA ou d’autres écoles prestigieuses. Tant que ce sera comme ça, on aura toujours un train de retard. » Pour l’instant, si les jeunes mahorais sont davantage enclins à intégrer la fonction publique territoriale, ça pourrait changer, « car les primes dans la fonction publique d’Etat sont revalorisées. » Le salaire ou l’ambition pour son territoire, il faut choisir.
S’il est pour l’instant installé dans un petit appartement où il bosse surtout en télétravail pour la DGFIP*, il rentre malgré tout de temps en temps à Mayotte, « ça m’a fait plaisir l’été dernier quand j’ai décroché mon Master 2, de participer à la remise de diplôme organisée par une association de Tsingoni. »
Un véritable étendard de la volonté de réussir.
Anne Perzo-Lafond