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Tribune – Issihaka Abdillah : « Lettre ouverte à Son Excellence, monsieur Azali Assoumani »

« La rhétorique ‘Mayotte est comorienne’ ne fait plus recette », écrit l’ancien élu de Bandraboua et écrivain, Issihaka Abdillah. Il s’adresse au président comorien pour l’inviter à changer de paradigme. Une tribune qui vient télescoper l’interview du gouverneur d’Anjouan paru ce samedi chez nos confrères de Al-Watwan, qui invite à « changer de discours sur la question de Mayotte », tout en incitant ses concitoyens à débarquer à Mayotte « par milliers ». Le texte ci-dessous sonne donc comme une réponse en invitant le président comorien à enfin endosser le rôle de leader « intègre » que lui ont conféré les suffrages et non de « marchand de désespoirs et de souffrances ».

« Lettre ouverte à Son Excellence, monsieur Azali Assoumani »

« Son Excellence,
Monsieur le Président,

Un demi-siècle nous sépare maintenant de la période exaltante porteuse d’espérance où les populations des îles de l’archipel des Comores se battaient, chacune pour son destin politique. Les Mahorais « à contre-courant de l’histoire des peuples colonisés », disaient les uns et les autres, avaient choisi de demeurer au sein de la République française, tandis que les populations des trois autres îles empruntaient une autre voie de liberté, le chemin de l’indépendance. Des femmes et des hommes se sont battus pour conquérir leur liberté. Le 6 juillet 1975, vos dirigeants, en leur âme et conscience, ont décidé de se détacher de la France. Les Comores devenaient ainsi un Etat indépendant avec tous les attributs d’un pays souverain. Aussitôt, nos chemins se sont séparés. Le choix des mahorais de demeurer au sein de la république n’est plus négociable. Il est plus que temps que chaque entité assume son destin.

Cher Président, j’ai envie de vous dire que la vocation des mahorais n’est pas de revenir dans le giron comorien. Le temps des grands discours sur la décolonisation est révolu. Mayotte est française et le restera à jamais. Les Comores sont un Etat indépendant et souverain avec « un drapeau, un passeport et un hymne ». Mayotte est un département français d’outre-mer décentralisé, une Région Ultrapériphérique de l’Europe (RUP). Ce sont-là, deux destins différents et deux actes de souveraineté au sens opposé mais qui permettent à chacune des deux entités de fixer son développement. Aujourd’hui, plusieurs pays ont fait le pari d’un nouveau départ, celui du développement économique et social et œuvrent pour une éducation et une couverture sanitaire de qualité. La rhétorique « Mayotte est comorienne » ne passe plus et ne fait plus recette, ni à l’intérieur de votre propre pays mais encore moins à l’échelle internationale. Les dirigeants comoriens sont la risée des organisations internationales telles que l’Unité Africaine et les Nations Unies au point que les résolutions qui condamnaient jadis la présence française à Mayotte sont devenues ridiculement rares.

Monsieur le Président, le monde a changé et avec lui les modes de gouvernance. Les dirigeants de tous les Etats du monde se soucient plus du bien-être et du bien-vivre de leurs peuples. Après 46 ans d’indépendance, les dirigeants devanciers et vous-même avez plongé ce beau pays dans les abymes de la souffrance, entre coups d’Etat réussis ou manqués, une bonne vingtaine, séparatisme anjouanais et mohélien, emprisonnement sans aucune forme de procès des opposants, confiscation des maigres richesses du pays, privation de liberté d’expression et de culte.

La France, 4ème île des Comores…

Emmanuel Macron, Mayotte
Issihaka Abdillah sur les relations franco-comoriennes autour de l’île de Mayotte

En quatre décennies, cher Président, les Comores se sont vidés de plus de la moitié de sa population, de ses cadres, de ses techniciens et de ses intellectuels, bref de ses forces vives, une situation inédite. Même si les chiffres officiels font état de 200.000 à 300.000 personnes, les Comoriens de l’étranger seraient en réalité près 500.000 à travers le monde, dont plus de 80% résident en France, l’ancienne puissance colonisatrice. Sachant que l’archipel compte un peu moins de 800.000 habitants, cette diaspora est devenue la « quatrième île » qui manquait aux Comores et de loin la plus prospère avec une contribution annuelle représentant 20% à 25% du PIB national.

Cher Président, je n’arrive pas à vous trouver des circonstances atténuantes parce que vous avez adopté la posture d’un dirigeant négligent, laxiste, fondamentalement sectaire et communautariste, un despote des temps anciens, un sadique des mauvais jour qui se plait à voir son peuple dans la misère et dans la souffrance. Près d’un demi-siècle de souveraineté, vous n’avez pas été capables, vos prédécesseurs et vous, d’édifier un Etat économiquement viable et démocratiquement respecté. L’appareil économique, le système éducatif et de santé sont démantelés ou tout simplement en panne. Il n’y a que vous qui croyez encore à la bonne marche du pays. Vous êtes dans le déni de la souffrance et de la misère de votre peuple.

Le vaillant et honorable peuple comorien a besoin d’un guide intègre pour tous les enfants des Comores, d’un dirigeant protecteur et soucieux de leur quotidien, de leur sécurité, de leur devenir et non d’un dictateur de bas étages qui, après avoir pris le pouvoir par la force, après avoir confisqué la constitution et les libertés fondamentales de son peuple, s’enorgueillit d’avoir enfermé sans aucune forme de procès son prédécesseur et ses opposants. L’indépendance des Comores est devenu un fardeau et un échec qui a eu le don, avec votre complicité malheureuse au demeurant condamnable, de jeter des milliers de gens sur le chemin de l’exil forcé avec tous les drames que vous avez connaissance.

Cher Président, vous semblez prendre un malin plaisir à faire payer aux mahorais vos échecs, à vous venger de la France où les mahorais ont choisi librement de demeurer. Par vos agissements, vous faites preuve d’une manifestation profonde de haine envers la France, les mahorais et envers votre propre peuple. En admettant et en laissant vos frontières poreuses, sans aucune forme de surveillance, ne vous rendez-vous pas coupable(s), complice(s) des morts qui surviennent sur le bras de mer séparant Anjouan de Mayotte ? En laissant sans surveillance vos frontières maritimes, vous vous êtes transformé(s) en vendeur d’illusions, en marchand de désespoirs et de souffrances. Le peuple respectable des Comores ne mérite pas ces sévices. Est-ce là, le bilan que vous tirez de ce demi-siècle d’indépendance ? Est-ce là, le bilan de la présidence tournante instituée par vos soins ? Ou est-ce là, le prochain bilan du « Plan Comores Emergent 2030 » que vous avez appelé de vos vœux ou tout simplement le bilan de votre retour aux affaires ?

Cher Président, je ne vous écris pas pour me plaindre. Je vous écris aujourd’hui en marge des multiples actes de violence, d’insécurité et d’assassinat qui secouent Mayotte ces derniers jours et qui impliquent certains ressortissants originaires de votre pays. Je suis un citoyen français de Mayotte et le peu d’estime que j’avais en vous a volé en éclat. Vous vous êtes rendus complice(s) des malheurs de votre propre peuple et de la population de Mayotte. Autant vous êtes capable(s) de planter un policier, un gendarme à chaque coin de rue pour surveiller vos opposants, autant nous devriez poster un enseignant, un médecin, un infirmier dans les écoles et les hôpitaux. L’éducation et la santé ne sont pas de vains mots. C’est le fondement même d’un modèle de société qui œuvre pour assurer à chaque individu le développement de toutes ses capacités pour lui permettre d’affronter sa vie personnelle, de la gérer en étant un citoyen respectueux des lois et règles du pays. Les sociétés qui arrivent à se moderniser, à intégrer leurs enfants sont celles qui ont fait le pari de l’éducation et de la formation des filles et des garçons, détour indispensable pour la réussite des politiques publiques et de l’émergence appelée de vos vœux.

Monsieur le Président, les 2 et 3 décembre 2019, votre pays fixait un rendez-vous à la communauté économique internationale. Cet événement, organisé en grande pompe à Paris, se voulait plus qu’une simple conférence de donateurs. Bien que vous vous soyez adressé(s) essentiellement aux partenaires habituels et historiques de l’Union des Comores, les dons sont restés à l’état de promesse. C’est la preuve indéniable que vous n’êtes pas pris au sérieux par vos partenaires, vous êtes inaudible(s) et la confiance est rompue entre vous et la communauté internationale. Par votre politique laxiste, vous avez isolé les Comores du concert des nations. Aucun dirigeant éclairé du monde ne fera confiance à un régime oppresseur, privant son peuple de libertés élémentaires et qui pousse et encourage les plus forts et les plus faibles à l’exil forcé, à la mort et au suicide collectif. Il ne vous reste plus maintenant qu’à assumer véritablement le destin choisi par vos prédécesseurs, ou bien partirez-vous pour laisser le pouvoir à une nouvelle classe dirigeante intègre, capable de donner un nouvel élan et un espoir au peuple besogneux et méritant des Comores.

Veuillez agréer, son Excellence, Monsieur le Président de l’Union des Comores, l’expression de ma très haute considération.

Issihaka ABDILLAH

L’interview du gouverneur d’Anjouan est à consulter ici.

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