Des œufs absents des rayons des supermarchés. La rupture d’approvisionnement, que l’on constate en ce moment à Mayotte, a tendance à devenir une fâcheuse habitude qui ne se limite plus au ramadan, période durant laquelle la consommation explose. Pour trouver quelques explications, il faut se pencher sur la dernière lettre d’information de la DAAF*, publiée ce mercredi.
On y apprend tout d’abord que Mayotte était autosuffisante, il n’y a pas si longtemps. C’était le cas lors du dernier recensement agricole de 2010. Mais depuis, les choses ont changé et un déficit chronique en œufs s’est installé. Mayotte a en effet importé 700.000 œufs en 2014 puis 1,5 million en 2015. Hors période ramadan, ces importations seraient encore sur un rythme de 37.000 œufs par mois en moyenne.
Et pourtant, les œufs mahorais existent bel et bien, même si notre marché est assez petit. On ne consomme en effet que 60 œufs/habitant, bien moins qu’à La Réunion (120) et en métropole (250). Conséquence, les producteurs sont peu nombreux mais cela pourrait être un atout pour tenter de coordonner la filière, «notamment pour planifier les importations nécessaires au moment du Ramadan», explique la DAAF.
Entre 16 et 18 millions d’œufs
Les producteurs qui comptent sont une dizaine à Mayotte et parmi eux, un opérateur conditionne à lui seul 70% de la production. Ils sont rassemblés au sein de la Comavi (Coopérative avicole de Mayotte), basée à Coconi. Il existe par ailleurs de tous petits producteurs familiaux mais ils pèsent peu dans l’équilibre économique général de la filière.
En 2015, ces professionnels ont assuré la production de 16 à 18 millions d’œufs localement, grâce à un cheptel estimé à 76.000 poules pondeuses. A noter que l’élevage en batterie (en cages), de plus en plus décrié en métropole, fournit près de 50% de la production mahoraise, concentrée chez 2 éleveurs.
Nombreux obstacles
L’élevage des poules pondeuses cumule de très nombreuses contraintes à Mayotte: la mortalité est 2 fois supérieure à celle constatée en métropole (21% contre 4 à 10% dans l’Hexagone), la consommation d’aliments 10% plus élevée pour un aliment deux fois plus cher dans des bâtiments eux aussi plus coûteux malgré les aides européennes. Et ce n’est pas tout: l’âge d’entrée des poules en période de ponte est retardé de 6 jours et cette période dure 80 jours de moins… et les poules pondent moins qu’en métropole : 0,67 œuf/poule et par jour contre 0,8 à 0,9 dans l’Hexagone.
Pour autant, le principal problème se situe en amont de ce circuit de production. Il s’agit de la difficulté à importer les poussins qui vont devenir les poules-pondeuses. Ils voyagent par avion depuis la métropole, Mayotte ne disposant pas d’un atelier «reproducteur», à la différence de la filière de «poulets de chair». Une telle structure est très technique et notre marché local, trop limité, ne permettrait pas d’amortir l’investissement. C’est d’ailleurs également le cas à la Réunion, affirme la DAAF, sans que l’on sache si les deux marchés réunis pourraient peser suffisamment.
Air Poussins
C’est ainsi que Corsair est devenu le transporteur officiel de nos poules-pondeuses. La compagnie est en effet la seule à accepter ces petites voyageuses dans ses soutes. Problème: à la différence des œufs fécondés qui tolèrent 3 jours de voyage, un poussin supporte moins de 15 heures de transport, ce qui place la filière dans une grande dépendance à la bonne marche du fret aérien… Une bonne marche qui reste un vœu pieu.
Résultat, il est bien difficile de planifier la succession des générations de poules et on peut connaître des moments de rupture de production… et donc une absence d’œufs dans les étals. C’est le cas en ce moment alors que Mayotte vit une situation de rupture de livraison de poules depuis le mois de décembre. Les importations, mal anticipées, n’ont pas encore pris le relai d’une production locale défaillante.
Des œufs chers
Cette avalanche de problèmes engendre également des surcoûts à tous les étages. Produire 100 œufs à Mayotte coûte 16,25 euros contre 7,83 euros pour les œufs élevés en plein air en métropole.
Au bout du circuit, les conséquences sont évidentes: Les grandes surfaces qui vendent 60% des œufs produits, achètent chaque œuf entre 25 et 27 centimes/œuf pour les revendre entre 32 et 36 centimes au consommateur. C’est entre 9 et 13 centimes de plus qu’à La Réunion. La comparaison avec la métropole est plus difficile. Là-bas, le prix de l’œuf varie beaucoup selon la qualité, de 12 centimes (œuf batterie) à 58 centimes (gros-label rouge-bio).
Gérer les poules réformées
Pour changer la donne et produire plus localement, les questions à régler sont encore plus nombreuses. Pour couvrir les besoins de la période du ramadan, il faudrait pouvoir stocker les œufs durant toute l’année, disposer d’une «casserie» ou exporter le surplus les onze autres mois.
Mais qui dit davantage d’œufs, dit davantage de poules. Or, il faudrait régler le sujet des «poules de réforme». Passé la période de ponte, il faut abattre un minimum de 47.000 poules par an, avec des pointes à 1500 poules par jour. Problème: Mayotte ne dispose actuellement pas de l’équipement adéquat.
Les intérêts de la filière «œufs» rejoignent donc ceux de la filière «chair» pour que Mayotte dispose d’un abattoir de plus grande capacité que l’existant qui s’élève à Coconi.
RR
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*DAAF : Direction de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt