« Ce n’est pas un désert médical, c’est une catastrophe médicale ! », avait lancé le médecin et ex-députée Ramlati Ali lors d’un atelier de la refondation de la santé. Cette coloration sombre du système de santé irradie le territoire. Tel ce médecin qui nous interpellait quelques heures avant la visite du ministre Braun : « Nous enregistrons des annulations en pagailles. Des professionnels de santé qui avaient confirmé leur arrivée, se désistent après les agressions des semaines passées, même des contrats courts de 3 ou 6 mois. Nous allons devoir fermer des services. »
Il y a quelques mois, une étudiante en 5ème année de médecine à Paris qui souhaitait faire un stage au CHM nous avouait avoir annulé après avoir entendu que des professionnels de santé se faisaient agresser en sortant de l’hôpital le soir.
La crise est profonde, peut-être à un pic jamais atteint. Et l’agression du cabinet dentaire de Chiconi il y a un mois n’arrange pas la situation.
Nous avons interpellé le ministre sur ce sujet : « J’ai échangé avant de venir avec le ministre de l’Intérieur qui a mis en place de nombreuses forces de l’ordre, dont un 4ème escadron de gendarmes mobiles. Le ministre Darmanin est très attentif à ce sujet, je ne peux pas en dire plus pour l’instant. » Le directeur de l’ARS Mayotte nous avait indiqué qu’un Comité de coordination et de réflexion était créé, comprenant les forces de police et de gendarmerie, la préfecture, le CHM et l’ARS pour trouver des solutions.
Sur l’action qui doit être celle du ministre de trouver des solution pour attirer des professionnels de santé en dépit du contexte, une innovation lui était servie sur un plateau : la nouvelle Agence de recrutement et d’attractivité, produit du CHM et de l’ARS Mayotte, qui fait face au rectorat, lui présentait une paire de ciseaux et un ruban à inaugurer.
250% de turnover chez les médecins
Matthieu Guyot, Directeur des Ressources Humaines du CHM, présentait la structure : « Il s’agit d’être le plus réactif possible pour offrir un accueil de qualité et diminuer le turnover des médecins qui atteint 250%. Ils restent 3 à 6 mois à l’hôpital ». Deux données chiffrées qui dessine à elles seules le tableau. L’agence s’adresse au personnel médical et non-médical, et aux médecins de ville. Les nouveaux arrivants vont être chouchoutés, « nous nous occupons du logement, des locations de voiture, de réserver les billets d’avion, il fallait mettre en place un guichet unique ».
A écouter un médecin libéral rencontré aujourd’hui et qui envisage de partir, lassé des agressions à répétition et des craintes d’être caillassé le soir, il va falloir que l’agence pouponne aussi les présents !
Les méthodes de recrutement évoluent, « nous fonctionnons comme des chasseurs de tête, explique encore Matthieu Guyot au ministre Braun, en contactant directement les professionnels et en cassant les préjugés qu’ils peuvent avoir sur Mayotte. »
Forte d’un prix de l’innovation en ressources humaines aux rencontres RH de la Santé 2022, l’agence de recrutement séduisait François Braun : « Je vais récupérer le mode d’emploi avec tous les copyright que vous voulez ! Vous avez une politique agressive de recrutement qui est à dupliquer. Quoique, s’il y en a partout, vous aurez de la concurrence ! »
Le travail a commencé en démarchage de personnel non médical, « nous avons doublé le nombre de candidatures ! », se félicitait le DRH.
Déclinaison à Mayotte du code de la sécurité sociale
Dans l’après-midi, le ministre avait assisté au compte rendu des ateliers du Conseil national de la refondation en Santé, initié par le président Macron pour innover, particulièrement sur des territoires aux spécificité marquées comme à Mayotte. Il en sortait que face aux problèmes de dépistage des enfants, face au déficit de vaccination des plus de 6 ans, face aux prévalences de diabète – une personne sur 6 – et d’hypertension – une sur deux – et face au déficit d’accès à la contraception, un travail devait être fait sur une amélioration de la communication envers les population à cerner, « par exemple le mois de la vaccination comme on l’a vu pour octobre rose », un décloisonnement des actions entre les PMI, le CHM, l’ASE, l’Education nationale, et le partage de tâche, avec davantage de prérogatives pour les infirmiers et les pharmaciens.
Le ministre également médecin, rapportait que désormais, « l’accès à la contraception d’urgence est gratuit, sans ordonnance et pour toutes les femmes. »
Mais des difficultés plus structurelles sont remontées, comme la nécessaire visite médicale en CP ou en 6ème, « nous manquons de médecins scolaires, et un infirmer scolaire couvre plusieurs établissement. » Tout le monde et le ministre avec, a les yeux tournés vers l’Agence de recrutement.
« Toutes les adaptations que vous nous avez livrées sont une vraie boite à outil, nous allons voir comment les mettre en application », commentait-il.
François Braun est très attendu sur des mesures attractives, avec notamment la déclinaison du code de la Sécurité sociale, non appliquée à Mayotte, comme la Complémentaire Santé solidaire, inscrite au Projet de loi de Finances de la sécurité sociale, ainsi que sur d’autres points, un mémorandum lui a d’ailleurs été remis par Nourdine Dahalani, président de la Caisse de sécurité sociale de Mayotte, « il contient notamment la demande d’une complémentaire retraite qui accroit de 30% la pension, un supplément vieillesse qui n’existe pas à Mayotte. »
Ce mercredi, le ministre de la Santé assistera à une opération de campagne massive de vaccination des enfants de plus de 6 ans, avant de présenter les grands projets d’investissement en extension de l’hôpital existant, et en construction du second à Combani, avant d’inaugurer un centre de santé ophtalmologique.
Anne Perzo-Lafond