Dans un article de la semaine dernière, Le Monde loue l’action du ministre originaire de Mayotte, Thani Mohamed Soilihi, en Afrique. Résumées par le mot-valise « françafrique », les relations du 2ème plus grand continent du monde avec la France disaient tout du ressenti colonialiste par ses habitants. Aggravées récemment par la prise de parole d’Emmanuel Macron le 6 janvier dernier, déplorant devant les ambassadeurs français à Paris que les chefs d’États africains avaient « oublié de dire merci à la France » pour son intervention au Sahel contre les djihadistes – Toute situation similaire à Mayotte en décembre 2024 n’est pas fortuite… – Ils étaient alors plusieurs présidents, dont le Tchad et le Sénégal, à s’être offusqués de cette remontrance, lui opposant le rôle de la France comme déstabilisatrice des pouvoirs en place au gré de ses propres intérêts. La proche Union des Comores en sait quelque chose avec les actions contraires du mercenaire français Bob Denard.

La tâche est grande donc pour Thani Mohamed Soilihi qui doit renouer les liens distendus, du moins, diplomatiques. Il peut s’appuyer pour cela sur l’aide massive de la France dans plusieurs pays africains, puisqu’elle est, à en croire l’article, « le premier bailleur d’aide publique et premier investisseur » au Sénégal, « 3,5 milliards d’euros dans 250 projets ». Mais le ministre délégué à la Francophonie et des partenariats internationaux imprime également sa patte, « à contre-courant de l’image paternaliste accolée aux officiels français en Afrique », est-il précisé.
Tout d’abord, il a pu échanger en swahili, langue proche du shimaore, lors de son déplacement au Kenya, ou rompre le jeûne du Ramadan avec des jeunes issus de la société civile. Ensuite, on connaît sa capacité à fédérer ses interlocuteurs de tous bords politiques.
Davantage de contrôle de l’aide au développement

Mais surtout, il a dû affronter sa première mini-tempête avec les critiques portées par l’extrême droite française, accusant l’aide au développement de dilapider l’argent des Français. Il a dû en détricoter les arguments : « Il s’agit à 85% de prêts et non de subventions », « L’AFD est une banque qui emprunte sur les marchés financiers et prête à un taux qui lui permet de couvrir ses coûts et de dégager des bénéfices », défendait-il. Il rappelait ensuite dans La Tribune que les politiques de développement international et d’aide humanitaire « permettent de faire face à la multiplication des crises, qui ne s’arrêtent pas à nos frontières, et protègent très directement les Français. En luttant contre l’extrême pauvreté, nous aidons à réduire l’instabilité de régions qui pourraient sinon plonger dans le chaos ». Et prenant le groupe politique à son propre jeu, il soulignait qu’ « en s’attaquant aux racines des conflits, depuis la malnutrition jusqu’au manque d’eau potable, ou aux risques climatiques et pandémiques, nous limitons les risques de flux migratoires incontrôlés. Nous servons aussi l’intérêt de nos entreprises : 50 % des marchés financés sont remportés par des entreprises françaises. »
L’aide au développement, un sujet qu’il connaissait déjà bien, notamment pour avoir participé à l’audition du directeur outre-mer de l’Agence Française de Développement au Sénat en février 2024. Il endossait alors son rôle de sénateur pour pointer les dysfonctionnements dans l’accompagnement des Comores à hauteur de 150 millions d’euros sur trois ans pour leur permettre de décoller, mais qui s’étalera en réalité jusqu’en 2030 en raison de faibles capacités de consommation du pays. Contre l’engagement de leur part de contrôler les constructions et les départs de kwassa vers les côtes mahoraises. « Ils ne respectent pas leur part du contrat », fustigeait le sénateur mahorais. C’est donc fort de cette expérience que désormais ministre en charge de ces partenariats, il défend « le formidable outil diplomatique qu’est l’AFD », tout en souhaitant davantage l’encadrer, pour « rendre l’aide au développement plus efficace, plus visible, plus axée encore vers les priorités des Français, et à mieux évaluer l’impact de nos projets. Pour que chaque euro d’argent public réponde pleinement à la commande. »
Anticiper les conséquences des fluctuations Etats-Uniennes

Et c’est peu de dire que les enjeux se musclent pour Thani Mohamed Soilihi avec les bouleversements en cours sur la scène internationale. Les ruades du président Trump redessinent les alliances. La théorie du chaos qui veut qu’un battement d’ailes du président Etats-Uniens pourrait provoquer un cyclone à l’autre bout de la planète est plus que jamais d’actualité. Un bon connaisseur de notre région Ouest-océan Indien nous faisait part de sa crainte de voir Donald Trump se rapprocher de Vladimir Poutine pour l’éloigner de la Chine. Alors que la Russie et son satellite l’Azerbaïdjan ont déjà cherché à appuyer les Comores dans leur conflit sur Mayotte avec la France, on peut craindre de voir la position de cette dernière affaiblie par la suite. Ce qui pourrait expliquer les récentes déclarations plus fermes de Manuel Valls et du président de la Défense nationale sur la défense de Mayotte française à l’international.
Dans un jeu de billard à plusieurs bandes, et alors que le 5ème sommet de la COI prévu à Madagacar se profile le 24 avril, le ministre originaire de Mayotte devra défendre plus que jamais la position française sur tous les fronts.
Anne Perzo-Lafond