A Mayotte, le besoin en logements avait été évalué à 3.000 par an en construction et rénovation, par les services de l’Etat. Mais ici, les bailleurs sociaux sortent un programme de logements pour le prix de deux en Hexagone. Un frein considérable aux multiples raisons. Certaines sont propre au territoire, comme la difficile libération de foncier aménagé le rendant rare, à laquelle répond la DUP Vivien, ou la complexité des actes et notamment le Plan Local d’Urbanisme trop strict. Des dysfonctionnements qu’avait évoqué pour le JDM le directeur Outre-mer de l’Union Sociale pour l’Habitat* (USH), Mahieddine Hedli, qui était à Mayotte en 2022. Une rencontre avec la DEAL et les bailleurs sociaux devaient alléger les contraintes.
S’ajoutent des difficultés communes à l’ensemble des territoires ultramarins, et notamment la maitrise des coûts de construction. Si à Mayotte, ils sont aggravés par des pratiques illicites, soit une entente entre les trois majors, soit des prix anormalement bas et rattrapés à coup d’avenants, comme pour le stade de Cavani, sont visées sur le plan national les normes imposants l’importation de matériaux depuis l’Hexagone.

Dans ce domaine, la révolution est venue du Parlement européen lui-même, qui permettait le 10 avril 2024 à la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, Mayotte, La Réunion et Saint-Martin, de déroger au marquage « CE », pour faciliter l’importation de produits de construction issus des pays de leur environnement géographique.
Il est maintenant urgent de le décliner, et la présidente de la Délégation Outre-mer au Sénat, Micheline Jacques avait réitéré lors de sa venue post-Chido à Mayotte son agacement que le « marquage RUP », pour Région ultrapériphérique de l’Europe, ne soit pas en place.
L’exemple de la BTC mahoraise
C’est pourquoi, ce mardi, à l’initiative de la sénatrice PS réunionnaise, Audrey Belim, 15 sénateurs publiaient une tribune la veille de l’examen au Sénat de la « proposition de loi expérimentant l’encadrement des loyers et améliorant l’habitat dans les Outre-mer », donc ce mercredi 5 mars. Le texte a déjà été adopté en Commission des Affaires économiques du Sénat, le 19 février 2025. Étonnamment, il ne comporte plus qu’un seul article, sur « l’Expérimentation d’un encadrement des loyers en Outre-mer » qui permet aux collectivités ultramarines de candidater à l’encadrement des loyers jusqu’en 2026, puis de le prolonger pour un an, en visant à rendre les loyers plus abordables dans les zones où la demande est forte. C’est le second volet du projet de loi, et permettrait de ne plus connaitre les envolées de prix des loyers, notamment d’actualité à Mayotte dans un contexte de pénurie d’habitat en dur après Chido. « A La Réunion, en 5 ans, les loyers dans le parc locatif privé ont augmenté de 35% », déplore Audrey Bélim.

Ont notamment été écartés en commission l’article 2 sur l’extension des Quartiers Prioritaires Politique de la Ville, et l’article 3 sur la création de Centres scientifiques et techniques du bâtiment. Ce dernier avait comme ambition de donner une garantie de qualité sur l’utilisation de matériaux locaux désormais autorisée. Il a été précisé que « des discussions doivent être approfondies » sur ce sujet.
Dans leur tribune les sénateurs justifient la dérogation européenne, en soulignant que l’utilisation de matériaux régionaux permettrait de créer de l’emploi et donc de développer les filières locales du BTP, de baisser les coûts des matériaux et l’empreinte environnementale que provoquait leur importation.
En citant l’exemple mahorais, « la Brique de Terre Compressée (BTC) utilisée dans la construction du lycée des métiers du Bâtiment a démontré son excellence, résistant au passage du cyclone Chido », ou calédonien, où « le Registre de la Construction permet depuis 2020 de garantir la qualité des constructions tout en valorisant les ressources locales », ou encore réunionnais, « la nouvelle École nationale supérieure d’architecture s’apprête à devenir un centre d’excellence pour l’architecture tropicale durable ».
Du local, mais qualitatif

Et ils mettent en garde : la proposition de loi expérimentant l’encadrement des loyers dans les Outre-mer doit prévoir la création de comités relatifs aux produits de construction qui doivent être à la hauteur des défis qualitatifs : « Ils ne doivent pas pouvoir valider des matériaux à la qualité fragile : nos concitoyens ultramarins comme les assureurs ne feraient pas confiance et ne les utiliseraient pas. » Pour valider sur un plan technique ces matériaux, ils demandent « des procédures rigoureuses », associant notamment les assureurs et l’Etat. »
L’enjeu est de taille puisque sur l’ensemble des territoires ultramarins, le besoin serait de 155.000 logements, toujours selon Mahieddine Hedli, or, seulement 3.100 étaient sortis en 2020, il faut dire que la crise sanitaire du Covid avait freiné les bétonnières. La loi égalité réelle mettait la barre à 15.000 par an.
Pour la sénatrice Micheline Jacques, le cataclysme cyclonique à Mayotte aurait pu permettre le sursaut demandé : « Je regrette que le Gouvernement n’ait pas donné mission à l’Établissement public* d’élaborer des référentiels des matériaux de construction adaptés à Mayotte en complément du marquage RUP dont le chantier tarde à aboutir », avait-elle plaidé lors des débats sur le projet de loi d’urgence pour Mayotte au Sénat.
Il serait paradoxal que l’Europe fasse montre de souplesse, et que l’Etat concerné ne le suive pas. On attend donc que les parlementaires approuvent et encadrent des marquages locaux, « RUP Antilles », « RUP océan Indien », ou « RUP Guyane ». Une avancée précieuse dans le contexte de (re)construction post-Chido de Mayotte.
Anne Perzo-Lafond
*L’EPFAM, à Mayotte