Lors de la présentation du projet de loi en séance du Sénat ce lundi 3 février en soirée, le ministre des Outre-mer, Manuel Valls, a entamé son discours par un « Ra hachiri » (restons vigilants) habituellement manié par les habitants du 101ème département pour manifester leur méfiance envers des promesses non tenues. Une façon pour le ministre de se montrer à l’unisson des élus et de prouver qu’il a intégré que la confiance avait été rompue par le passé, il l’a répété à plusieurs reprises. Le sénateur mahorais Saïd Omar Oili, désormais dans le groupe Socialistes, Écologistes, et Républicains, après avoir quitté les RDPI, le synthétisera plus tard en donnant un exemple de l’origine de la colère de la population : « Il y a un document de promesses, Monsieur le Ministre que vous connaissez bien ‘Mayotte 2025’, dont la Cour des comptes a estimé dans un rapport en 2022 que ‘son suivi et son animation ne se sont pas prolongés au-delà d’un an’ ».
Aussi, si Manuel Valls rapporte avoir constaté encore une fois lors de son déplacement de la semaine dernière « l’impressionnante résilience des Mahorais », c’est en rajoutant, « il faut dire que la population a été à rude épreuve et bien avant Chido ».
Inscription de « la convergence économique et sociale »
Le ministre a donc conscience qu’il faut donner des preuves concrètes de réalisation, « j’ai signé 15 millions d’euros d’aides aux agriculteurs », indiquait-il, en rajoutant que les réouvertures d’écoles se faisaient peu à peu malgré le sinistre, « le collège de Chiconi a été détruit à 80% », le collège de Kwalé va pouvoir rouvrir, « les 300 migrants ont été évacués », les déchets sont traités, « l’ISDND* fonctionne à plein en traitant 350 tonnes de déchets quotidiennement, il faut en évacuer 6.000 tonnes ». Le brûlage des déchets pourrait être pratiqué, pas avec les mêmes méthodes qu’avant l’ouverture de l’ISDND, mais « en fonction des normes environnementales ».
Les élus sont intégrés aux instances décisionnelles, notamment sur l’établissement public chargé de la (re)construction de Mayotte, « je confie à la sénatrice Salama Ramia la commission de suivi de la reconstruction », indiquait Manuel Valls, quant à Micheline Jacques qui lui succédait à la tribune, la présidente de la Délégation aux Outre-mer du Sénat indiquait avoir rajouté lors de l’étude du texte dans sa commission des Affaires économiques, « l’intégration des acteurs locaux au conseil d’administration de l’Établissement public qui devra être présidé par le président du Conseil départemental. »
La convention signée avec le président du Conseil départemental lors de son passage, comprend un durcissement des règles contre l’immigration illégale et contre les bidonvilles, mais aussi « la grande promesse non accomplie, la convergence économique et sociale ». Une promesse en effet, inscrite au plan Mayotte 2025, puis d’un précédent ministre du Travail, Olivier Dussopt, mais jamais déclinée.
Un bataillon temporaire
Le texte a été modifié depuis son adoption par l’Assemblée nationale, puisque l’article 3 a été réintroduit, portant sur la reconstruction d’urgence de logements, mais désormais dédiés « au relogement des agents du service public et du personnel arrivé en renfort ». Les dérogations aux règles de la commande publique ont été « simplifiées ». L’article 10 qui effrayait sur le terme mal compris d’expropriation « en réalité destiné à faciliter les identifications de propriétaires de terrain » afin de les « indemniser » pour permettre de mener à bien des aménagements comme nous l’avions expliqué, ne sera pas réintroduit, mais fera l’objet « d’une concertation ultérieure ».
Le ministre évoque une première estimation de la (re)construction – et non « destruction » comme il l’évoquait dans un lapsus – évaluée par la mission inter-inspection de 3 à 3,5 milliards d’euros, « il va falloir des engagements financiers considérables ». Les regards se tournent donc vers l’adoption de la loi de finances 2025 pour laquelle le Premier ministre a engagé ce lundi la responsabilité de son gouvernement. Mais Micheline Jacques mettait en évidence le montant inscrit pour Mayotte, 100 millions d’euros par an, « il faut le mettre en perspective avec les 100 millions d’euros transférés chaque année vers les Comores depuis Mayotte sans aucun contrôle. Un rapprochement qui doit faire réfléchir », indiquait-elle, sous-entendant qu’il fallait mieux faire.
« Les fonds européens » seront également sollicités pour financer ces 3,5 milliards d’euros nécessaires à la (re)construction, indiquait Manuel Valls.
Beaucoup d’annonces, dont la présence de 350 à 400 militaires décidée par le ministre Lecornu, « un bataillon temporaire installé à Mayotte pour sa reconstruction ».
Les débats doivent se poursuivre ce mardi également en séance au Sénat. Le texte doit passer en Commission mixte paritaire (7 députés, 7 sénateurs) la semaine prochaine.
Anne Perzo-Lafond
*ISDND : Installation de stockage de déchets non dangereux