La ministre de la Santé, Geneviève Darrieussecq, était sur la sellette mardi dernier, auditionnée par la commission des affaires sociales sur les crédits de la mission Santé de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2025. Dans un contexte de restriction budgétaire, ils se montent à 1,64 milliard d’euros, soit une diminution en crédits de paiement de 40% par rapport à 2024. « Ce n’est pas lié à une moindre ambition », assure la ministre qui explique cette baisse par celle des reversements des programmes européens à la Sécurité sociale.
Trois objectifs sont affichés par la mission Santé, la poursuite des politiques en faveur de la prévention, l’accès aux soins garantis à tous dans tous les territoires, et la sécurité sanitaire de tous les Français contre les épidémies.
Rapporteure pour avis, la députée mahoraise RN Anchya Bamana, scindait son rapport en deux parties. La première sur ce qui allait alimenter les échanges entre les députés, l’Aide Médicale d’Etat (AME), la seconde sur les inégalités de santé persistantes à Mayotte.
Déjà menacée l’année dernière, la prise en charge médicale des étrangers non affiliés en France que représente l’AME, était défendue par la ministre de la Santé, qui considère qu’il s’agit de « l’argent public le mieux contrôlé de la République ». Son enveloppe augmente de 9% pour atteindre 1,2 milliard d’euros en 2025, il représente plus de la moitié du budget Santé. Ce qui faisait bondir la députée RN Anchya Bamana, « Le nombre de bénéficiaires de l’AME atteint les 457.000 au 31 décembre 2023, soit une hausse de 11% entre 2022 et 2023. Ce nombre a plus que doublé en vingt ans. » Qui appelait à « réformer l’AME » pour la réduire « au strict minimum », c’est-à-dire la transformer en Aide médicale d’urgence, comme le prône son parti mais aussi les LR à l’instar du ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau.
L’absence d’AME pèse sur l’hôpital de Mayotte
Une députée LR appuyait ce point de vue lors des débats en Commission des Affaires sociales : « On ne peut pas demander des efforts aux Français sans que l’État ne rationalise ses dépenses », en appelant à un contrôle de l’immigration clandestine. Face à elle, un défenseur de l’AME en l’état, « Si demain on supprime l’AME, cela coûtera plus cher en termes de finances publiques », évoquant des prises en charge tardives et plus couteuses.
Rappelons que cette aide permet aux étrangers d’être pris en charge par la médecine de ville, permettant de désengorger les urgences de l’hôpital. Ce qui rend d’autant plus incompréhensible que Mayotte en soit exclue, où le Centre hospitalier est victime d’engorgement. On ne peut plus entendre le risque d’appel d’air, qui ne peut être pire qu’actuellement, quant au budget de l’AME qui risquerait de flamber, des données livrées par le Sénat en 2023 devraient faire réfléchir : « 64 % des dépenses d’AME se concentrent sur dix CPAM seulement, 21 % sur la CPAM de Paris, 10 % sur celle de Bobigny et 8 % sur celle de Cayenne ». Alors que le taux d’immigrés est de 30% en Guyane (INSEE).
Anchya Bamana, également cadre de santé à l’ARS Mayotte, a surtout été la rapporteure pour avis… sur son département, profitant de l’occasion qui lui était donnée pour pointer l’état dégradé de la santé. En effet, 70% des habitants vivent dans un habitat insalubre, 25% des foyers ne sont pas raccordés à l’eau potable, induisant une espérance de vie inférieure à celle de la métropole, 5 ans de moins pour les hommes et 9 ans pour les femmes en 2016, selon l’INSEE.
Les 220% de turnover des médecins accroissent les EVASAN
La conséquence de l’absence d’AME à Mayotte est un engorgement de l’hôpital notamment par les étrangers en situation irrégulière. Comme nous l’avons constamment répété, soigner la population de la région impliquerait que soient débloqués des fonds humanitaires pour venir au secours d’un Centre hospitalier à bout de souffle, un des deux de France à recevoir une enveloppe globale et non à l’activité, précisément en raison de sa spécificité. Il était en déficit de 22 millions d’euros en 2023, précise la députée mahoraise.
Concentrant l’essentiel des soins, il est de plus en plus déserté par les personnels de santé, pas seulement en raison de l’insécurité qui sévissait, mais aussi par la suppression de l’Indemnité Particulière d’Exercice (IPE) par le précédent gouvernement. La perte de cette prime a été fatale, induisant un turnover de 220% en 2023, indique encore Anchya Bamana.
Cette perte de compétence a provoqué des recours encore plus massifs aux Evacuations sanitaires (EVASAN) vers La Réunion et la métropole, 1.800 patients en 2023, ce qui alourdit un peu plus le coût de santé.
Au « choc d’attractivité » demandé pour Mayotte, la ministre répondait favorablement, « J’ai signé une lettre pour autoriser le renouvellement de l’Indemnité Particulière d’Exercice », une nouvelle qui pourrait stopper l’hémorragie des départs, voir revenir à un certain niveau d’attractivité si l’insécurité poursuit son recul.
Généralisation des PADHUE
Quant à l’attractivité, « nous travaillons sur la rémunération des praticiens et sur leur formation dans le département », indique Geneviève Darrieusecq. Alors que Mayotte bénéficie d’une LAS, Licence Accès Santé, depuis deux ans, la mise en place d’un Parcours d’Accès Spécifique Santé (PASS) est demandée par la députée mahoraise.
Nous avons contacté le rectorat de Mayotte pour faire le point à ce sujet. Actuellement, grâce à la LAS, des places sont réservées en 2ème année de médecine aux étudiants de Mayotte. « Nous travaillons avec l’ARS et l’hôpital à un PASS, mais il faut auparavant s’assurer de la capacité d’encadrement ».
Était également remis sur le tapis le sujet des médecins PADHUE (Praticien A Diplôme Hors Union Européenne) à Mayotte, qui ont obtenu leur diplôme en dehors de l’UE et qui exercent en France. C’est la fermeté qui répondait aux inquiétudes du monde médical, la ministre y étant favorable : « Leur exercice doit être facilité à Mayotte comme en métropole, des postes ont été ouverts par les ARS ». Comme un constat d’échec de la formation des médecins en France.
Le débat prendra une autre orientation au Sénat. Les arguments des pour et contre le maintien de l’AME sous sa forme actuelle s’y feront entendre, avec une droite majoritaire, qui pourrait remanier le texte en réduisant la portée de l’AME. Des amendements ont déjà été adoptés dans ce sens.
Anne Perzo-Lafond