L’avis du CESE est un pendant du rapport sénatorial « L’insertion régionale des Outre-mer : une absolue nécessité », sorti le mois dernier sur l’ancrage territorial des Outre-mer, qui passe, pour notre région océan Indien, par une affirmation de la souveraineté française. Il s’agit de constater les écarts entre les Outre-mer et la métropole, qui deviennent légion à partir du moment où l’on considère que l’ensemble forme un tout, appelé « Archipel France ». « ‘Mieux connecter les Outre-mer’, c’est donc renforcer les liens au sein de la nation, par l’égalité républicaine, l’accès aux services publics, la solidarité, et faciliter l’émancipation, en favorisant l’inscription dans leur espace régional et le déploiement de leurs potentiels », observe le CESE qui décline là sa ligne directrice.
Plusieurs questions guident Danielle Dubrac et Pierre Marie-Joseph, les deux rapporteurs.
Quelles sont les opportunités de faire des Outre-mer des « plaques tournantes » ou « hubs » régionaux, dans les domaines aérien, maritime et numérique ? Quels sont les besoins d’investissements nécessaires pour une mise à niveau des infrastructures ? Le recours à des compagnies régionales est-il adapté à la desserte du bassin régional ? Comment rééquilibrer la continuité territoriale pour assurer une véritable égalité républicaine ? En quoi les connexions permettent-elles un meilleur accès aux services publics ? Comment un renforcement de la continuité territoriale pourrait-elle contribuer à faire baisser le coût des transports et le coût de la vie ? etc.
Un nouveau projet de compagnie maritime dans les cartons mahorais
Tout d’abord, le CESE démontre l’importance de la connectivité, par « les liens étroits entre infrastructures de connexion et développement économique des territoires ». Il s’agit donc d’éviter le déficit d’infrastructures ou les carences des compagnies d’exploitation « qui génèrent des situations d’isolement pénalisantes pour les territoires ». Et dans ce domaine, de nombreuses défaillances sont pointées pour Mayotte, argumentées par les travaux du CESE Mayotte. « S’agissant du ‘désenclavement extérieur’ de Mayotte, les infrastructures portuaires et aéroportuaires ne répondent qu’imparfaitement aux attentes de la population locale ». La piste courte de 1.934 mètres est en cause pour l’aérien, la privant de concurrence, « les billets d’avion à destination de Mayotte sont les plus chers en France, alors que plus de 70 % des Mahorais vivent en-dessous du seuil de pauvreté », et pour le port de Longoni, il est rappelé qu’il s’agit du seul port en gestion privée, et que « Selon le rapport sénatorial précité, l’évolution du statut du port de Mayotte en Grand Port maritime paraît indispensable. »
Les liaisons maritimes ne sont assurées que par la compagnie SGTM sur les Comores. Des projets de création de compagnies maritimes régionales, le territoire en a vus, sans que cela se concrétise. « La Chambre de commerce et de l’industrie (CCI) et le Département de Mayotte travaillent sur un projet de compagnie maritime à l’échelle régionale. Cette compagnie pourrait desservir régulièrement Mayotte et La Réunion, et assurer aussi des liaisons à l’intérieur du Canal du Mozambique », indique le CESE. Cela permettrait d’importer du fret de la région, qui ne représente actuellement que 1% des marchandises entrant sur le territoire, La Réunion fait légèrement mieux, avec 5%.
Les fonds européens peuvent être davantage utilisés pour le financement des infrastructures, mais insuffisamment mobilisés pour Mayotte, rapporte le CESEM.
On l’a vu avec le rapport sénatorial qui préconisait une plus grande affirmation de la souveraineté française dans le bassin océan Indien, l’avis du CESE en remet une couche, en s’appuyant sur les remontées de son CESER local : il demande aux autorités nationales françaises « de s’engager plus fortement pour la reconnaissance pleine et entière de Mayotte comme membre de la Commission de l’océan Indien (COI). »
Enfin, en matière d’infrastructures numériques, considérées comme « généralement satisfaisantes en Outre-mer », l’état des lieux est différencié, Mayotte est à la traine. « Les Outre-mer sont reliés par les câbles sous-marins ce qui en fait des territoires bien couverts par la fibre et le très haut débit. Les taux de couverture sont parfois supérieurs à ceux de l’Hexagone, notamment à La Réunion, où celui-ci est de 93,4 %. Le programme France très haut débit est en bonne voie de réussite », sauf à Mayotte, « où le déploiement devrait commencer début 2026 ».
Un « droit à la continuité territoriale »
Le CESE émet 17 préconisations. La 1ère porte sur les financements européens dédiés aux connexions des régions ultrapériphériques. « La France doit demander le relèvement du plafond de l’enveloppe budgétaire du Mécanisme pour l’Interconnexion en Europe (MIE), lors des prochaines négociations qui se tiendront en 2025 des cadres financiers pluriannuels pour les régions ultrapériphériques (RUP), ainsi que l’ouverture d’enveloppes spécifiques pour le financement d’infrastructures dans les Collectivités d’Outre-mer qui sont sous statut de Pays et territoires d’Outre-mer. »
La 2ème, sur la production de statistiques plus fiables par les Agences régionales de développement économique (l’ADIM à Mayotte). La 3ème et la 4ème sur une action plus forte du ministère des Affaires étrangères et celui des Outre-mer pour une meilleure intégration des élus locaux dans les organisations régionales, la Commission de l’océan Indien, pour notre bassin, et que les intérêts des territoires ultramarins soient portés dans les positions de négociation de la Commission européenne des accords de partenariat économique (APE) avec les pays Afrique, Caraïbes, Pacifique (ACP).
C’est sur la continuité territoriale que porte la 5ème, en donnant une définition juridique du « droit à la continuité territoriale » pour les passagers et les marchandises d’Outre-mer, pour « poser un cadre législatif adapté, à l’instar des mesures existantes par exemple pour la Corse ».
La propulsion à voile taille sa route dans le transport maritime
La 6ème redonne son importance au maritime, en élaborant une stratégie nationale portuaire spécifique aux Outre-mer, pour chaque bassin maritime régional, Atlantique, océans Indien et Pacifique. Elle devra fixer des objectifs de flux, d’investissements, de fluidification du passage portuaire, de décarbonation et de protection des écosystèmes marins. Elle permettra également d’organiser les liaisons et la desserte des différents ports en rapport avec les compagnies maritimes présentes localement. Dans cette lignée, des formations professionnelles initiales et continues devront être mises en place dans les métiers de service portuaire : réparation navale, manutention, logisticien, indique la 7ème préconisation. Tandis que la 8ème porte sur la création de zones franches portuaires, avec des droits de douane et une fiscalité, réduits. Une étude sur la viabilité des compagnies maritimes locales est recommandée en 9ème point.
Le 10ème porte toujours sur l’activité portuaire, et sa connexion à des sources d’énergie propre : photovoltaïque, éolienne, géothermique, énergie thermique des mers, semble inévitable.
S’engouffrant dans un système en plein boom, le CESE demande au ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires de faire reconnaître au niveau européen la propulsion vélique comme moyen de décarbonation du transport maritime. Mentionnons que toutes les marchandises ne peuvent être transportées à la voile, car plus lent, mais le secteur connait de nombreuses innovations qui devraient permettre d’améliorer le temps de transport.
L’Etat en mal de finances, est malgré tout très sollicité par le CESE, la 12ème préconisation l’invite à investir pour la mise à niveau des infrastructures aéroportuaires de plusieurs territoires d’Outre-mer, dont Mayotte.
Une nouvelle vague « France Num » pour mieux surfer
Les deux suivantes portent sur la connectivité aérienne. Avec une coopération à envisager entre compagnies aériennes desservant les Outre-mer « afin qu’elles soient plus efficientes économiquement et avantageuses pour les consommateurs, sans que cela porte atteinte à la libre concurrence », et au niveau du carburant, privilégier les approvisionnements régionaux et travailler sur la possibilité d’exonérer partiellement de la taxe spéciale de consommation sur les carburants destinés à l’aérien, avec compensation du manque à gagner pour les collectivités locales. Là encore, en ces temps de budget national contraint, on imagine mal le gouvernement se créer des dépenses supplémentaires.
Et les trois dernières préconisations portent sur le numérique, avec le développement des « hubs numériques » de connexion en Outre-mer lorsqu’ils sont positionnés sur les principaux câbles sous-marins, l’inscription dans les Conventions d’objectif conclues par France compétences et les Opérateurs de compétences (OPCO), des actions spécifiques concernant la formation au numérique en Outre-mer, et le lancement d’une nouvelle vague d’appels à projets « France Num » pour l’accompagnement de la transformation numérique des petites et moyennes entreprises en Outre-mer.
En conclusion, une recommandation s’adresse aux collectivités territoriales : sur les territoires où il ne peut y avoir de service économiquement rentable, « prenez le relais avec le soutien de l’Etat », leur dit en substance le CESE.
Le CESE souligne le besoin de mieux faire connaître les Outre-mer à l’ensemble des Français : « les Outre-mer sont une chance pour la France ! », rappelant que, à travers les trois océans, la « France océanique » formée par les Outre-mer représente 95 % de notre espace maritime et 80 % de notre biodiversité.
Anne Perzo-Lafond