Mayotte s’est s’installée une nouvelle fois dans un blocage de longue haleine, tout en tirant leçon des précédents fâcheux, qui, par étouffement éco-éducativo-sanitaire a essoufflé les manifestants, capitulant en 2018 devant un échéancier de mesures non tenues. C’est de nouveau l’exigence de résultats face à l’insécurité qui est portée en étendard, et face à des flux migratoires persistants.
L’abrogation du titre de séjour territorialisé, qui fixe les migrants à Mayotte, alors que ce n’est le cas dans aucun autre DOM, est une condition sine qua non brandie par les manifestants. Si l’insécurité est un mot d’ordre fédérateur tous partis politiques confondus en Hexagone, celui de la libre circulation des détenteurs de titres de séjour ne l’est pas du tout, en raison du flux migratoire qu’il y engendrerait ainsi qu’à La Réunion. Pourtant, il est fréquemment reproché aux mahorais d’être racistes ou xénophobes pour ne plus vouloir accueillir les étrangers. Ces derniers pourraient donc retourner l’argument envers la nation entière s’il n’est pas fait droit à leur demande.
De plus, il serait paradoxal que l’Etat refuse sous prétexte que cela créerait un flux migratoire incessant, alors qu’il n’est pas fait la même objection pour les autres DOM, notamment la Guyane touchée elle-même par une forte immigration, et où les titres de séjour ne limitent pas son détenteur au territoire. Pourtant, la Guyane est plus de 200 fois plus étendue que notre petite île.
Cette mesure à elle-seule résoudrait une grande partie des problèmes d’engorgements des écoles, des hôpitaux et permettrait de s’atteler à faire du qualitatif, et non pas du quantitatif-non-abouti, puisque des milliers d’enfants ne sont pas scolarisés, alors qu’on demande aux maires de construire toujours plus d’école pour une population qu’on fige volontairement ici.
Surtout que le titre de séjour est un formidable outil pour un pays, puisque en théorie délivré sous condition, il permet d’accompagner des familles méritantes et des étudiants dans leur insertion.
Être prêt pour ne pas se faire balader
Si cette abrogation est en tête de gondole, tout un panel d’injustice suit. Rien que le sujet des retraites dont le montant moyen (276 euros) ne permet pas de vivre, est une honte qui devrait préoccuper nos ministres quotidiennement. L’ASPA, dont on ne peut penser qu’elle constituera un appel d’air de kwassa entier de coco et bacoco (personnes âgées), est de 50% du national, alors que c’est une prestation non contributive, contrairement aux cotisations sociales. Elle était de 476 euros en 2022, contre 953 euros en métropole. Une honte à demi-réparée l’année dernière par sa revalorisation partielle.
Après de nombreuses semaines de blocages, le Premier ministre vient de s’exprimer en considérant la situation « insupportable » à Mayotte, en réponse à une question du groupe Les Républicains à l’Assemblée nationale. Gabriel Attal ne reconnait que les élus comme interlocuteurs, adoptant ainsi la démarche du président de la République sur les conflits. Les Forces vives vont donc devoir trouver un terrain d’entente avec leurs élus et le préfet.
C’est urgent, les entreprises commencent à licencier, et au mieux, à placer des employés en chômage technique, qui ont des familles parfois nombreuses à nourrir.
Quand la main sera tendue, il faudra être prêt, c’est dans cette optique que le président Ben Issa Ousseni a convié mardi dernier les Forces vives à préparer les échanges avec Paris.
Attention à avoir un fil conducteur qui sécurise l’avenir du territoire, met en garde Nabilou Ali Bacar, chroniqueur régulier du JDM, quand il ne dirige pas le CESEM (Conseil Economique, Social et Environnemental) : « La loi Mayotte est vue par le gouvernement comme un moyen de légiférer sur des pratiques dérogatoires, alors que nous relevons comme les autres départements d’Outre-mer, de l’article 73 de la Constitution qui n’admet que des adaptations mineures. »
Ce qui pourrait expliquer l’intention du chef de l’Etat de « toiletter » ces articles 73 et 74, en s’appuyant sur les diversités de statuts de l’ensemble des territoires ultramarins.
« Les courriers n’engagent que leurs signataires »
Il faut donc que les élus de Mayotte donnent un cap avant d’être ballotés d’un bord à l’autre : « Nous devons définir un cadre de discussions légiféré, une méthodologie. En Corse ou en Nouvelle Calédonie, ils savent où ils vont, leur avenir est tracé, il faut faire de même et se mettre d’accord sur une trajectoire plus que sur une surenchère de propositions. Comme la loi organique de 2009, qui impose au gouvernement de consulter la population pour toute évolution, si c’est légiféré, nous serons à l’abri, et n’aurons pas besoin de reprocher à un préfet de ne pas faire son job, ce sera encadré. Je trouve que la loi de programmation va dans ce sens, mais il faut se mettre d’accord sur un agenda. »
Et pour trouver un consensus, il adoube l’idée d’un Congrès des élus, avec maires, conseillers départementaux, et parlementaires, « ce serait la reproduction de la Conférence Territoriale de l’Action Publique, la CTAP issue de la loi MAPTAM de 2014. Les élus ne devront pas se pencher uniquement sur l’immigration, mais sur tous les sujets du territoire. »
Nabilou Ali Bacar invite à des échanges de fond, et de ne plus se contenter de missives envoyés à droite et à gauche, qui ont la prétention de toucher qui le Premier ministre, qui le président de la République comme celle qui a été présentée ce mercredi à la presse , mais qui en réalité ne touchent personne : « Je suis furieux quand je vois des courriers co-signés, car cela n’engage que leurs signataires, et après, on exige une réponse. Ce sont les assemblées d’élus, que ce soit le conseil départemental ou l’Association des maires, qui doivent les signer, et prendre des délibérations qu’il faut ensuite adresser au Parlement plutôt qu’au gouvernement. Là, on peut dire qu’il n’y a aucun consensus avec l’Etat, sur l’immigration, sur le social, etc. Les élus locaux sont absents des décisions, l’Etat porte donc tout. Il faut inverser la tendance. »
Si la loi Mayotte est un réel enjeu, il invoque ce cadre de décision légiféré comme prioritaire : « Il permet de sécuriser les évolutions si nous n’obtenions pas ce que nous voulons dans ce projet de loi Mayotte. Lors de sa venue ici, la présidente de l’Assemblée nationale a expliqué qu’on pouvait aussi régler des problématiques par la loi de Finances, qu’il fallait agir sur tous les plans. »
Donc travailler de concert sur une méthodologie qui permettra aux élus de sécuriser l’avenir du territoire sans tout attendre de l’Etat, est le défi à relever pour ces prochaines semaines.
Anne Perzo-Lafond