« Le 107, où est le numéro 107 ? ». A travers les abris de fortune faits de bâches et de bambous, les habitants du camp de Tsoundzou 2 entendent les membres des associations, mandatées par la préfecture pour organiser le relogement d’une partie des exilés, chercher leur route dans ce dédale de cases.

Munis de plans et d’une liste qui suscite toutes les attentions, ils partent à la rencontre des personnes ayant reçu une notification de proposition d’hébergement d’urgence, le 28 septembre dernier, afin de leur annoncer leur départ du camp.
Ce jeudi 9 octobre, c’est la quatrième opérations de ce type menées par les associations. Grâce à ce dispositif, des centaines de personnes ont déjà rejoint un logement à travers le territoire, de Mtsamoudou à Dembéni en passant par Tsoundzou et jusqu’à Mtsamboro.
327 places d’hébergements mobilisables pour 1.272 personnes

Mais tous n’auront pas cette chance. Créé en février sous l’égide de la préfecture — qui le qualifie désormais d’illégal pour justifier son démantèlement —, le camp accueillait à l’origine une centaine de personnes, principalement expulsées du collège de Kwalé deux mois après le passage du cyclone Chido. D’après les enquêtes sociales menées par les associations, il abrite aujourd’hui 255 ménages, soit 1.272 personnes.
Selon une attestation de la Direction de l’Économie, de l’Emploi, du Travail et des Solidarités (DEETS) le 23 septembre 2025, qui coordonne la politique de l’État en matière d’hébergement et d’inclusion sociale, « compte tenu des conséquences actuelles du cyclone Chido sur le parc de logements du territoire et au regard des capacités d’hébergement disponibles à la date du 23 septembre 2025 – 327 places d’hébergement mobilisables -, il est matériellement impossible de formuler une notification de relogement ou une notification d’hébergement à l’ensemble des ménages occupants concernés par l’opération de démolition d’habitat illégal de Tsoundzou 2″.

Plus de 900 personnes se retrouvent donc sans solutions alors que le démantèlement complet du camp est prévu le 21 octobre prochain. Date à laquelle la préfecture leur a demandé de quitter les lieux. Autrement dit, le jour où ils seront laissés à la rue. Les logements du camp, bien que précaires, offrent une certaine dignité et un lieu de repos à leurs occupants avant l’obtention d’une solution durable. Une dimension aucunement mentionnée dans l’arrêté préfectoral.
En attendant, ceux qui n’ont pas reçu de notification regardent les autres se diriger vers les abords du camp pour monter dans les voitures et camionnettes préparées par les associations pour les amener vers leurs nouveaux logements.
Détruire sa case : condition obligatoire du départ

Mais avant de pouvoir embarquer à bord des véhicules, les personnes concernées doivent détruire leur propre habitation. Une étape obligatoire au risque de se voir refuser le départ. Après avoir récupéré leurs affaires, hommes et femmes démontent leurs cases à mains nues, sans gants ni protections, malgré la présence de matériaux coupants et de nombreux déchets au sol.
Pourtant, dans son arrêté ordonnant le démantèlement du camp, la préfecture elle-même s’inquiétait de la sécurité des exilés du camps. « Les habitations de fortune sont très précaires et aucunement sécuritaires pour les occupants ». Elle relevait également que « l’état des sols, quels que soient les locaux, n’est pas satisfaisant », que « le risque de chutes et de blessures est très présent ». Enfin, la préfecture constatait que « les occupants logent dans des habitations de fortune […], qui ne disposent pas de stabilité », une instabilité susceptible d’entraîner « des risques de chute, de blessures ou d’inondations pendant la saison des pluies ». Des arguments qui sonnent creux aujourd’hui, alors que des enfants viennent déposer pieds nus des bambous qui font 7 fois leurs tailles dans les géantes bennes des camions garés, moteurs allumés, à côté du camp.

Si ce procédé répond aux objectifs de l’État, il ne prend en revanche pas du tout en compte la réalité du camp, la santé, ni la sécurité de ses habitants. Les habitations sont souvent partagées par plusieurs personnes, et au sein de ces groupes, certains n’ont pas reçu de notification de logement. La destruction de l’habitation les expulse donc automatiquement, et les tensions montent.
« Un jour l’association est venue dans notre logement, sur les 8 personnes à l’intérieur, 6 avaient une notification de logement », raconte Abdallah*, une vingtaine d’années. « Ils ont détruit la maison nous laissant, moi et mon ami, sans solutions ». Les deux jeunes ont trouvé refuge dans une cabane adjacente, avec la grâce de ses habitants. Car si la solidarité semble être de mise entre les exilés, il arrive que ces destructions entraînent des affrontements. « On était 10 personnes dans une maison et un seul d’entre nous à obtenu un logement, on a dû démolir tout le bâtiment pour pouvoir le laisser partir, mais certains ne l’acceptent pas ».
L’article 18 de la loi pour la refondation de Mayotte : la légalisation de la précarité

Peu à peu, le camp se transforme en un vaste gruyère. À la place des tentes et des cases s’étendent de larges plateformes de terre nue, traces nettes des habitations tout juste arrachées. Pour ceux qui demeurent, la scène a quelque chose d’insoutenable.
Ces « sans-notifications » échangent des regards lourds, empreints d’une lassitude infinie, où se lisent à la fois la résignation et l’espoir brisé. À mesure que les départs se succèdent, la fin de ce calvaire semble à portée de main, et pourtant, elle ne leur est pas destinée. « Quand ils en auront fini avec les personnes prioritaires, qu’est ce qu’on va faire de nous ? », questionne Abdallah.

Le 26 août dernier, le préfet François-Xavier Bieuville avait indiqué que les hébergements d’urgence seraient dédiés en priorité aux personnes dîtes « vulnérables ». Mais dans le camp de nombreuses familles se trouvent toujours sans notifications et avec des enfants en bas âge, et ils n’est pas sûr qu’elles en obtiendront.
En utilisant l’article 18 de la loi pour la refondation de Mayotte, le Gouvernement à la possibilité d’évacuer et de détruire des habitats informels sans garantie de relogement effectif, jusqu’en 2034. Par ce biais, il a institutionnalisé les pratiques que le Défenseur des droits, le tribunal administratif de Mayotte ou encore Human Rights Watch avaient pointées comme contraires aux droits fondamentaux. L’État ne corrige donc pas les manquements dénoncés : il les transforme en cadre juridique.
Victor Diwisch