« C’est un dossier dramatique. Il y a une carence de la justice française. J’ai honte pour le ministère que je suis censée incarner ». C’est par ces mots forts que la présidente du tribunal, Alexandra Nicolay, a ainsi qualifié le dossier qui allait être examiné. Dans cette affaire, le prévenu n’était pas présent à l’audience mais on sentait en filigrane que pour une fois la culpabilité n’était pas forcément du bon côté de la barre du tribunal, mais plutôt du côté du ministère de la Justice…
Un énorme trou dans la procédure

Plus de 10 ans, c’est le temps qu’il aura fallu à la justice pour examiner ce dossier « d’agression sexuelle sur une personne vulnérable par un ascendant ». En effet, les faits se sont déroulés en 2014 mais l’affaire ne sera vraisemblablement jugée que cette année au mieux. Les faits sont dramatiques mais simples : Une femme a subi un viol de la part de son beau-père en 2014, celui profitant que cette dernière ait des problèmes psychologiques pour abuser d’elle et lui disant que de toute façon si elle venait à raconter cette histoire personne ne la croirait vu qu’elle était folle.
Aussi, quand la présidente du tribunal prend le dossier elle constate avec stupéfaction qu’il y a un trou dans l’enquête menée depuis 2014. « Il n’y a pas d’acte d’enquête de 2014 à 2022… Durant cette période il y a juste un post-it dont on ne sait qui l’a mis ici ? ». Indique-t-elle devant l’auditoire.
Ce n’est donc qu’en 2022 que la plainte de la victime sera prise en considération notamment par un courrier qu’elle a adressé au procureur de la République qui décidera alors de lancer des investigations pour recueillir des éléments et des renseignements la concernant.

Le prévenu ayant quitté Mayotte en 2015 pour aller vivre à la Réunion, sans doute pour fuir la justice, ne sera placé en garde à vue qu’à l’été 2023, une fois la procédure relancée, et reconnaitra alors les faits devant les enquêteurs. Une expertise psychiatrique menée l’année suivante, en 2024, montrera une totale absence d’empathie de sa part, ni regrets, ni honte, évoquant même avec froideur les faits qu’on lui reproche, selon le médecin qui l’a examiné.
Y a-t-il prescription des faits ?
Les faits s’étant déroulés en 2014, la substitut du procureur a versé dans les débats l’interrogation sur la prescription des faits. Appelée à la barre, la plaignante a reconnu avoir des problèmes psychiatriques mais a assuré qu’elle était « stable » et a maintenu sa version des faits, tout en déplorant l‘absence de prise en considération de son traumatisme. « Il a abusé de moi… on ne m’a jamais écoutée pour que je puisse déposer plainte, on m’a rejetée quand je suis venue au tribunal », raconte-t-elle. La présidente s’adressant alors à la victime lui dit : « Il se peut que les faits soient prescrits…il y a un risque que le suspect ne soit pas condamné. Cette procédure fait honte à l’institution judiciaire. Toutefois, aujourd’hui la justice vous considère comme une victime ».

De son côté l’avocat de la victime, Me Kamardine, n’a pas manqué de fustiger le dysfonctionnement de la chaîne judicaire. « C’est la colère qui m’habite, c’est d’une extrême gravité. Ce dossier a été traité par-dessus la jambe. Je demande que le tribunal considère le caractère particulier de ce dossier et qu’une procédure soit relancée auprès du procureur. Je refuse la correctionnalisation et la prescription des faits. Je souhaite le renvoi de ce dossier devant le ministère public car c’est une infraction pénale quoi doit être sanctionnée ».
La substitut du procureur a alors pris la parole faisant ainsi le mea culpa de l’institution judicaire. « La justice peut dysfonctionner… il y a beaucoup trop de dossiers non traités à Mayotte mais plus généralement sur le territoire national. Le traitement judiciaire de ce dossier n’est pas à la hauteur des enjeux », a-t-elle déclaré. Puis elle a proposé aux membres du tribunal soit d’accepter la correctionnalisation de cette affaire, au risque que les faits soient prescrits, soit de renvoyer le dossier devant le parquet « pour rectifier le tir » afin qu’une nouvelle procédure soit lancée.
Après avoir délibéré, le tribunal a décidé que ce dossier devait retourner devant le parquet et le juge d’instruction conviendra si cette affaire doit être jugée par une cour d’assises.
B.J.