« Je suis parti de rien », voici comment Ibrahim Oili Ali raconte, encore surpris du succès qui l’entoure, les débuts d’une longue carrière, qui l’ont mené jusqu’à l’Elysée.
Un jeune de Koungou en qui personne ne croyait
Après un brevet d’études professionnelles spécialisé dans l’installation des appareils électroménagers, ce jeune Mahorais, originaire de Koungou, intègre un lycée de la métropole toulousaine, obtient un baccalauréat professionnel dans l’électronique et suit une formation spécialisée dans la réparation de gros appareils électroménagers à Bordeaux en 2011. « J’ai sillonné la France pendant quelques années, ça m’a permis d’avoir de bonnes connaissances sur les machines et leur fonctionnement, car je bidouillais les appareils facilement. » À son retour à Mayotte en 2016, Ibrahim travaille pour plusieurs entreprises jusqu’à créer la sienne : « Je m’ennuyais. Tous mes amis me dissuadaient de créer mon entreprise. Mais je savais au fond de moi que je voulais le faire. »
« Au début j’étais tout seul avec ma petite Seat Ibiza »
En travaillant avec d’autres distributeurs de l’île, il constate que si le pouvoir d’achat des Mahorais est en moyenne très largement inférieur à celui des habitants de l’Hexagone, de nombreux produits exportés sont jusqu’à 4 fois plus chers qu’en métropole, notamment dans le secteur de l’électroménager. « Il y avait de grosses difficultés pour commander des pièces détachées de métropole car cela représentait un coût énorme d’acheminement pour le transport, les pièces étaient hyper chères. Par exemple une simple pompe à vidange en métropole coûte 20 euros, ici avec les frais de transport, on doit le vendre 80 euros, je me suis dit que ce n’était pas possible. J’ai alors réfléchi à proposer un service de qualité tout en étant abordable car sinon les clients allaient me fuir, », confie-t-il avec humour. Par ailleurs, le jeune homme prend conscience de la problématique des déchets sur l’île : « Quand je travaillais dans un ancien service après-vente, on devait apporter les produits abîmés chez l’entreprise de recyclage Enzo mais la structure était elle-même saturée, pourtant il y avait des produits qui pouvaient être réutilisés », explique-t-il encore surpris du potentiel de ces secondes vies.
Quatre ans plus tard, Ibrahim Oili Ali lance SOA, une entreprise de réparation et recyclage de produits électroménagers, qui reprend les abréviations du terme « service » et de son nom « Oili Ali ». Le principe est simple : aller au contact des clients pour réparer leurs machines, avec du matériel recyclé provenant d’anciennes machines. « Au début, j’étais tout seul avec ma petite Seat Ibiza, remplie d’outils, de produits et de mon échelle. Aujourd’hui, on se déplace toujours au contact des clients. Je voyais des gens qui avaient deux ou trois machines à laver par exemple et quand les réparateurs venaient, ils leur disaient qu’ils n’avaient pas les pièces, alors que moi, je viens directement avec des pièces recyclées, je le dis aux clients et le client me répond toujours qu’il est d’accord, car il veut juste que sa machine remarche. » C’est ainsi qu’en « bidouillant » dans le passé, l’autodidacte parvient aujourd’hui à réparer jusqu’à cinq machines détériorées grâce aux pièces d’une seule ancienne machine, et cela, à des prix abordables. « En général, sur l’appareil, avec les pièces que j’ai, c’est 100% réparé, et le jour-même c’est fait. » Récompensé pour son ambition écologique et économique, soucieux du pouvoir d’achat des gens, Ibrahim a également vu les planètes technologiques s’aligner : « Sur tous les appareils, j’ai vu que les pièces sont interchangables, la marque change mais quasiment toutes les pièces se valent, c’est cela qui m’a rassuré. »
« À Mayotte, on a besoin de réparation, même des petits travaux à la maison »
Réparer mais aussi dépanner. Si l’entrepreneur peut réparer des machines abîmées, il insiste aussi sur l’importance qu’il accorde à la « réparation » : « À Mayotte, on a besoin de réparation, même des petits travaux à la maison. L’objectif c’est de proposer une large gamme de services, même pour monter un meuble, fixer un tableau, du dépannage rapide et efficace. » S’il a conscience de ne pas pouvoir plaire à tout le monde, il déclare faire « de son mieux ». En février prochain, SOA ouvrira son premier magasin à Bandraboua pour accueillir ses clients et vendre des produits reconditionnés. Alors que les déchets s’entassent dans le 101ème département, à vive allure, révélateurs d’une frénésie consommatrice sans fin, Ibrahim Oili Ali a fait de certains de ces objets abandonnés, de véritables trésors.
Mathilde Hangard