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Tribune Abdourahamane Cheikh Ali : « L’Etat c’est MOI » ou le régime présidentialiste d’Azali

Alors que l’avenir de la région est subordonné au développement de l’Union des Comores, voilà que de nouveaux tours de vis viennent d’être donnés dans la concentration des pouvoirs dans les mains de son hyper président. Azali Assoumani parvient même à déroger à une constitution taillée sur mesure pour bouger les pions et imposer son fils, démontre notre chroniqueur Abdourahamane Cheikh Ali*.

L’Etat, c’est MOI !

En préambule de cette tribune, je voudrais d’abord définir le régime politique qui caractérise l’Union des Comores au regard de la constitution du 30 juillet 2018. De prime abord, notre pays a les apparences d’un régime présidentiel dans la mesure où le Chef de l’Etat n’a pas le pouvoir de dissoudre l’Assemblée de l’Union et où cette dernière ne peut pas renverser (par le biais d’une motion de censure) le Gouvernement.  En plus de cette interdiction de dissolution de l’organe législatif par le pouvoir exécutif et de l’absence de mise en cause de la responsabilité de l’exécutif, l’Union des Comores se distingue par un pouvoir exécutif monocéphale exercé par un Président qui cumule les fonctions de chef de l’Etat et de chef du Gouvernement (article 54) et par une rupture de l’équilibre entre le pouvoir exécutif et le législatif au détriment de ce dernier. Cette constitution a accru l’hégémonie du Président de l’Union et réduit fortement les pouvoirs de l’Assemblée de l’Union. C’est ainsi que la création des catégories d’établissements publics ne fait plus partie du domaine de la loi depuis le 30 juillet 2018. C’est cette délégalisation qui a permis au colonel Azali de décréter (décret N°23-060/PR du 30 juin 2023) l’abrogation de la loi N°82-17/PR du 13 août 1982 portant création, organisation et fonctionnement de l’Office National d’Importation et de Commercialisation du Riz (ONICOR) et la libéralisation de l’importation et de la commercialisation du riz destinée à la consommation populaire. Ce procédé pourra permettre à Azali de privatiser, à sa convenance, des pans entiers de notre économie. Les députés n’ont aucune autonomie. Leurs propositions de loi ne sont recevables que si elles sont communiquées au Gouvernement avant leur inscription à l’ordre du jour (article 84).

Abdallah Said Sarouma alias Chabouhane a été déchu de son mandat de député par un bureau de l’Assemblée aux ordres du chef de l’Etat pour avoir présenté et maintenu une candidature dissidente au poste de Gouverneur de l’île de Mohéli. Les godillots de Hamramba ont usé d’une interprétation fallacieuse de l’article 69 de la constitution pour exclure de leurs rangs le député rebelle.

Comores, Azali Assoumani
Le président Azali Assoumani déplace les pions à sa guise

Lisons l’article en question : « Tout député qui, en cours de mandat, démissionne de son parti ou change de formation politique perd automatiquement son siège à l’Assemblée de l’Union. Il est remplacé par son suppléant qui achève le mandat ». Vous constatez bien que cette disposition de la Constitution lie la déchéance de mandat UNIQUEMENT à la démission du député de son parti ou à son changement de formation politique. Il n’est écrit nulle part que le député perd automatiquement son siège en cas d’exclusion de son parti. Le député Abdallah Said Sarouma a été exclu de la CRC mais n’a jamais démissionné de cette formation politique.

La démission ne se présume pas. Elle suppose l’existence d’une manifestation de volonté claire et non équivoque. Dans un cas d’une telle gravité, j’ajouterai que cette démission doit se matérialiser par un écrit. Que le Président de l’Assemblée de l’Union nous montre la lettre de démission adressée à la CRC et signée de la main du député Abdallah Saïd Sarouma ! Aurait-il changé de formation politique ? Que les dignitaires de la CRC nous apportent la preuve matérielle de l’adhésion de Chabouhane à un autre parti politique !

Ce fameux article 69 de la Constitution est une épée de Damoclès suspendue au-dessus de tout député qui oserait manifester quelques velléités d’indépendance. Azali lui appliquerait la jurisprudence Chabouhane.

L’Union des Comores, sous la coupe du clan Azali, symbolise jusqu’à la caricature ce que les constitutionnalistes et les politistes nomment régime présidentialiste, un régime où le président écrase de tout son poids les autres institutions. « L’Etat, c’est MOI », pourrait dire le colonel Azali. Il le pense tellement qu’il s’affranchit de toute limite et qu’il ne respecte aucun texte, y compris la Constitution taillée sur mesure qu’il nous a imposée. C’est ainsi qu’il vient de signer le décret N°24-107/PR qui viole plusieurs dispositions de la Constitution et dont l’objectif est de mettre toutes les institutions de l’Etat à la botte de son fils Nour El Fath.

La résidence de la présidence Beit Salam à Moroni

Certains des pouvoirs attribués au Secrétaire Général du Gouvernement par ce décret, notamment l’évaluation des ministres, la convocation et la (co)présidence des conseils interministériels, sont une explicitation des fonctions de chef du Gouvernement telles que définies par l’article 54 de la Constitution : « il détermine et conduit la politique de la Nation. Il dispose de l’administration publique…etc ». La Constitution évoque une seule catégorie de délégataires des pouvoirs du Président de l’Union au titre de ses attributions de chef de Gouvernement : les membres du Gouvernement. Or le Secrétaire Général du Gouvernement (SGG) n’est pas membre du Gouvernement. Je n’ai pas vu dans le décret N°24-77/PR du 1er juillet 2024 relatif à la composition du Gouvernement de l’Union des Comores ni le titre de Secrétaire Général du Gouvernement ni le nom de Nour El Fath Azali.  La délégation de pouvoir au profit du SGG est donc contraire à la Constitution car elle est faite au profit de quelqu’un qui n’est pas membre du Gouvernement.

L’article 36 du décret « Nour El Fath » qui sanctionne de nullité tous les arrêtés ministériels et des exécutifs des Iles autonomes qui ne seraient pas visés par le SGG est une insulte au rang des ministres et une atteinte grave à l’autonomie des îles telle que consacrée par l’article 99 de la Constitution « Les Îles sont dotées de la personnalité juridique. Elles jouissent de la libre administration et de l’autonomie de gestion »

Les lecteurs qui sont enclins à la soumission répondront à mon argumentaire par une expression comorienne qui reconnait au Roi, donc plus généralement à tout dirigeant, un pouvoir absolu « Yizo mfawume ya ndzawo do nkodo** ». Que ceux-là ne soient pas surpris si un jour Azali décrète que tous les Comoriens doivent porter des pantalons jaunes et des chemises rouges sous peine de sanctions pénales.

Abdourahamane Cheikh Ali

*Abdourahamane Cheikh Ali est titulaire d’un DESS de droit spécialité « Entreprises, Collectivités Locales Européennes et Coopération » (Université Lumière Lyon 2), d’un diplôme d’attaché de personnel et de relations sociales (IFOCOP de Rungis) et d’un diplôme de gestion administrative et financière (ENES de Mvouni), et fut le directeur de cabinet du ministre de l’Éducation nationale des Comores en 1996.

**Yizo mfawume ya ndzawo do nkodo » signifie littéralement que les désirs du roi équivalent à des ordres militaires »

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