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Mamoudzou

Logement : les entreprises s’engagent mais le foncier reste en rade

Présidée par Hervé Mariton, la conférence sur l’engagement des entreprises dans les politiques de logement mettait une nouvelle fois le doigt sur le déficit de moyens mis sur la régularisation foncière en comparaison de ce qui a été fait pour l’état civil.

On sentait un agacement certain ce lundi chez les participants du séminaire « Construction-logement : les entreprises s’engagent », co-organisé par la FEDOM (Fédération des entreprises des Outre-mer), la FMBTP (Fédération Mahoraise du BTP) et le Medef, à Mayotte comme il l’est dans les autres DOM. Non que le thème soit marginal, au contraire, mais parce que, comme le disait le 1er adjoint au maire de Mamoudzou chargé des projets structurant, Hamidani Magoma, « on pourra organiser tous les séminaires que l’on veut, si on ne trouve pas la solution pour lever les freins à la régularisation foncière, nous n’y arriverons pas, et on continuera à voir les fonds non consommés et repartir. » L’élu rappelait que la mairie de Mamoudzou avait organisé l’année dernière les Assises de la reconquête foncière,  d’où avaient été issues plusieurs propositions pour accélérer la régularisation foncière.

Il prenait un exemple précis : « Aujourd’hui, la ville de Mamoudzou essaie de mener à bien depuis 3 ans son programme de Résorption d’Habitat Insalubre Bazama, mais nous buttons sur la récupération de foncier, notamment en proposant aux propriétaires un échange de parcelles Mais aucun n’accepte quand ils s’aperçoivent qu’ils perdent environ 100 euros le m2 au change. Et le projet tombe à l’eau. »

L’élu pointe « les trois-quart du foncier de l’île propriété du conseil départemental », qu’il met en perspective avec les « 60.000 parcelles non régularisées », « il faut que le conseil départemental accepte le transfert de ces parcelles non régularisées aux collectivités pour l’aménager ». On peut en vouloir à celui ou ceux qui ont mené à l’échec les SMIAM, (Syndicat Mixte d’Investissement et d’Aménagement de Mayotte).

En réponse, Moussa Abdou, représentant le conseil départemental, assurait de l’impossibilité du Département de retrouver la jouissance de ses terres occupées, « en particulier lorsqu’il y a eu une délibération prise »…

Hamidani Magoma lors d’une opération de démolition d’habitat en vue d’aménagement sur Mamoudzou

Des cas concrets qui sont autant de points de blocage qu’ambitionne donc de solutionner ce séminaire, par « des réponses opérationnelles », notamment du côté des pouvoirs publics.

A Mayotte, le secteur du BTP compte 1.500 entreprises selon l’INSEE, mais beaucoup sont encore en informel, « nous estimons à 300 PME et TPE le nombre d’entreprises viables, employant 3.800 salariés, soit 23% du secteur privé », nous rapporte Audrey Poletti, Secrétaire générale de la FMBTP Mayotte. Des salariés qui ont notamment besoin de se loger.

La défisc débride les bétonneuses en hors sol

D’autres problématiques communes aux Outre-mer sont naturellement abordées, comme l’impact de l’insularité sur les coûts des matériaux, et donc de la construction, ainsi que celui du respect des normes antisismiques, anticycloniques, etc. « Les effets se font sentir sur les résultats et la compétitivité des entreprises, la demande de logement social et très social, le mal logement et l’habitat indigne », indiquent les organisateurs.

Un des programmes de logements menés aux Hauts-Vallons qui ont malgré tout permis de la location très sociale

Le propos du séminaire était également de dénoncer les « politiques erratiques notamment en matière fiscale » de la part des gouvernements successifs, pour que contribuables et entreprises soutiennent l’offre de logements, et demandait dans le même temps, « une approche davantage territorialisée et concertée » sur la création de logements.

Deux axes repris par Dominique Tessier, architecte, vice-président d’Art Terre Mayotte et directeur du Conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE), qui n’allait pas forcément dans le sens attendu, notamment sur l’efficacité des mesures de défiscalisation. Ses 20 ans d’activité à Mayotte l’incitaient à un retour en image sur l’évolution de la construction. Ont succédé aux fragiles maisonnettes en torchis, les maisons SIM (Société Immobilière de Mayotte), ces maisons de briques issues d’une réflexion en amont, « nous avons fait un diagnostic social », pour un résultat qui collait à la réalité des habitants, « une surface aux trois-quarts ouverte ». Parallèlement, au cœur des villages, naissaient d’autres habitations en dur, « une classe moyenne qui bâtit en auto-construction des maisons à superposition qui prennent un étage supplémentaire en fonction de l’évolution de la famille. » Un habitat « non encadré », car sans permis de construire.

Elles prennent la place des maison-SIM quand la société a cessé sa production, dans les années 2000, période où naissent les programmes de construction en hauteur comme aux Hauts Vallons, « de la part de promoteurs privés à destination d’investisseurs, mais aux standards proches de la métropole, avec des surfaces closes ». L’incitation fiscale ne permet donc pas toujours de prendre le temps d’un bon diagnostic social, semble glisser l’architecte entre les lignes, « on passe davantage de temps sur des tableaux Excel que sur la forme que va prendre un bâtiment ».

Une invitation à réfléchir à un juste milieu en dépit de ce qu’impose la pression migratoire, « qui va nous faire passer d’une île rurale à une île urbaine ».

Se loger avec 3.000 euros par an

Visite d’un logement construit lors d’une opération de RHI à Majikavo Dubaï

Il va donc falloir pousser une réflexion au milieu de l’urgence qui se polarise actuellement sur le logement provisoire, comme le rappelle Keyvan Fathi, Directeur adjoint de la Rénovation urbaine à la mairie de Mamoudzou : « Pour aménager, il faut démolir les cases en tôle, et donc reloger en urgence. Nous avons 600 ménages enquêtés actuellement à Kawéni, il faut leur proposer un hébergement avant de les déplacer. »

Si la forme que doit prendre ces deux types de logements, les provisoires en attendant que les définitifs soient construits, reste à penser, plusieurs essais ont été menés, notamment à Koungou. Alors que 40% de la population vit avec environ 3.000 euros par an, il ne faut pas compter sur une quelconque rentabilité, mais faire appel aux fonds sociaux, nationaux ou européens.

Comme un cercle vicieux, là c’est encore le foncier qui fait défaut pour les logements sociaux, et une nouvelle fois il était demandé à l’Etat de « prendre les mêmes mesures ambitieuses que pour fiabiliser l’état civil ». L’équivalent de la CREC (Commission de Révision de l’Etat civil), mise en place en 2000, mais réellement efficace 8 ans après quand l’Etat a mis le paquet. La Commission d’urgence foncière (CUF) a été créée dans cet esprit, et si les titres sortent désormais depuis un an, le manque de moyen impose un rythme encore trop lent au regard des besoins en aménagement.

Réunion en CERC professionnelle pour le BTP

D’autre part, les collectivités sont insuffisamment accompagnées, soulignait encore Keyvan Fathi : « La ville de Mamoudzou construit six logements sociaux, mais nous n’avons pas d’opérateur pour gérer les logements ou la perception des loyers.

Jean Bondu annonçait la création d’une CERC

A la question d’Hervé Mariton, Président de la FEDOM, en distanciel en raison d’un problème de santé, qui souhaitait savoir si des progrès ont été faits depuis ces dernières années, la réponse virait à la négative, en raison des spécificités citées plus haut qui ne permettent pas de débloquer le foncier et de proposer un type de logement adapté, dans une logique qui reste verticale, selon les modèles métropolitains.

Des dispositifs récents ont notamment été mis en place et doivent monter en puissance pour faire montre d’efficacité. C’est le cas de la CERC, la Cellule Économique Régionale de la Construction, qui succède au Haut conseil de la commande publique, « trop politique », et qui va permettre aux donneurs d’ordre et au secteur du BTP d’échanger, comme l’explique Jean Bondu, Directeur Immobilier du Rectorat : « Pour assoir la CERC, nous avons besoin d’élargir le panel des financeurs, en plus de la préfecture et des membres actuels que sont la SIM, Action logement, le rectorat, la FMBTP, l’EPFAM, la CCI, la CAPEB… » Il voit dans ce lieu d’échange et de concertation la capacité d’éclairer la stratégie des professionnels et la construction et des pouvoirs publics départementaux, « il permet aussi d’avoir un œil sur les prix du BTP avec l’observatoire des coûts de la construction ».

Ce séminaire permettra aussi des remontées, comme l’utilisation de l’expérience de ces territoires sur « le bâti tropical » pour faire face aux risques naturels.

Anne Perzo-Lafond

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