C’est une promesse plus que tenue de la ministre déléguée aux Outre-mer qui avait annoncé revenir à Mayotte « dans un mois » lors de sa visite du 11 février dernier, à peine nommée, avec son ministre de tutelle Gérald Darmanin. Or, moins de deux semaines après elle posait de nouveau le pied sur le tarmac de l’aéroport, pour une visite éclair d’une journée. Avec en bas de page, un bilan discuté mais explicable.
A l’issue de la rencontre dominicale entre Gérald Darmanin, les Forces vives et les élus le 11 février, accord avait été entériné sur la levée des blocages mis en place par les manifestants dès réception d’une confirmation par écrit des engagements, à savoir principalement, la suppression du droit du sol à Mayotte, le démantèlement du camp de Cavani et l’abolition des titres de séjour territorialisé qui maintiennent les migrants sur le territoire. Ce que fit le ministre, trouvant un écho favorable chez une partie des leaders des forces vives, qui appelait à une levée des barrages.
Une partie, car les autres au lieu de choisir un droit chemin, se mettaient à sinuer et à jouer les Kaa du Livre de la Jungle, suivant leurs vieux démons complotistes tout en prétextant s’abriter derrière la base. La séduction opérait sur cette dernière, captivée par l’évolution d’un mot d’ordre qui ne peut que fédérer, la lutte contre l’insécurité.
Un tel coup gagnant avait été tenté en 2011 et avait propulsé son initiateur sur un siège du palais Bourbon.
Moyennant quoi, c’est sur un territoire toujours embolisé qu’atterrissait Marie Guévenoux ce mardi, qui avait bien précisé qu’il n’y aurait pas de nouvelles annonces, mais qu’il s’agissait de préparer Wuambushu 2. D’où son court séjour, alors qu’il reste un document d’importance à préparer, la loi urgence pour Mayotte. Mais loin des blocages a-t-elle répété.
Wuambushu, ou qui peut le plus, peut le moins
Le territoire, c’est-à-dire, les élèves, les soins, les entreprises privées mais aussi les administrations, a donc été mis à la diète pour rien. Ceux qui étaient certains que les barrages agiraient comme pression sur le gouvernement se sont trompés, donnant raison à ceux qui appelaient à un dialogue constructif.
Car il faut repositionner les mesures annoncées et évoquer leur impact sur le territoire avant qu’il soit impossible de faire machine arrière. Quelle utilité réelle de Wuambushu ? Y a-t-il eu une étude d’impact de la première opération ? Quelle effet l’interdiction de vente des machettes ?
En dehors de la lutte contre l’immigration clandestine qui a toute son importance, regardons ce que nous proposent les ministres en matière de lutte contre l’insécurité.
L’opération Wuambushu tient la vedette. Elle a trois volets, dont deux n’ont pas eu les résultats escomptés. La lutte contre l’immigration clandestine tout d’abord. Gérald Darmanin avait annoncé 250 reconduites par jour, soit 20.000 sur les 3 mois de l’exercice, une ambition non tenue puisque leur nombre fut inférieur aux années précédentes, 17.250 sur les neuf premiers mois de l’année 2023, contre 25.380 sur l’ensemble de 2022. La France s’étant heurtée au refus des Comores d’accepter le retour de leurs ressortissants.
La démolition d’habitat insalubre ensuite. L’objectif de 1.000 cases détruites n’a pas été atteint, en partie en raison de recours administratifs, mais aussi de lenteurs pour déterminer des périmètres fiables à démolir. Elles auront été 700 à voir leurs tôles englouties sous les pelleteuses. La loi ELAN est régulièrement utilisée par les préfets à cet effet, mais l’opération Wuambushu permet une accélération en mettant à disposition davantage de forces de l’ordre pour encadrer la paix publique autour de ces opérations qui engendrent des émeutes instrumentalisées.
Enfin, la lutte contre la délinquance. Cela semble être le seul objectif atteint, « nous avons arrêté les 60 chefs de bandes visés », rappelait lors de sa dernière visite Gérald Darmanin.
« Place nette » à la sécurité publique
Des résultats mitigés donc, et si cette opération est plébiscitée par la population, c’est pour le sentiment de protection qu’elle apporte, avec davantage de forces de l’ordre dans les rues. Le ministre de l’Intérieur a beau répéter que leur densité est supérieure à la ville de Marseille, tant que nous ferons la route Mamoudzou-Koungou sans croiser une seule patrouille, de jour comme de nuit, c’est que le compte n’y est pas. Nous arrivons à la proposition récente de la ministre, le changement de méthode.
Elle a été annoncée par le directeur général de la Gendarmerie nationale dans nos colonnes, « Je pense qu’il faut regarder davantage les modalités de notre action, c’est pour cela que je suis venu. Nous devons être là quand il faut et où il faut ».
C’est un des axes sur lequel agir pour débusquer et interpeller les jeunes et non les « lacrymogénéiser », ce qui gêne davantage la population que les individus visés.
Si l’état d’urgence sécuritaire avait été réclamé, écarté doctement par Marie Guévenoux, elle n’en cherche pas moins des solutions qui pourraient s’adapter à Mayotte. L’une d’elle est passée inaperçue, « la multiplication des opérations ‘place nette’ de lutte contre la délinquance ». Elles sont réalisées en priorité sur les secteurs difficiles des grandes agglomérations et programmées par les services territoriaux en lien avec la Sécurité Publique et la Police nationale. Un dispositif qui a permis l’arrestation de 200 malfaiteurs en Gironde et dans les départements voisins en janvier dernier.
Succès moins garanti pour l’arrêté contre l’achat de machettes à des fins non agricoles. On espère que l’interdiction d’acquérir ce qui est une arme blanche porte déjà sur les mineurs, mais on sait que ces derniers pourront la subtiliser à leurs parents. Quant à l’arrêté sur la neutralisation d’une partie des chiens errants, c’est un réveil en fanfare pour l’association qui était parvenue à la faire interdire sur la méthode par arme à feu.
« Vigidélinquants »
Reste une carte qui n’a pas été tentée, celle du plan Vigipirate, toujours actif en France. Le niveau « sécurité renforcé-risque attentat » en vigueur depuis le 15 janvier 2024 s’adapte donc à Mayotte. Pour les habitants de Tsararano ou de Koungou, l’attentat est au détour d’un virage chaque jour. Ce plan qui pourrait être renommé « Vigidélinquants » ou « Vigisauvageons », en serait une déclinaison et permettrait une présence accrue des militaires sur les voies publiques.
Une forte présence policière qui n’a pas pour vocation à s’éterniser si d’autres mesures sont mises en place. L’expulsion de parents avec leurs enfants délinquants suite au retrait de leur titre de séjour, les placements en Centre éducatifs fermés, les TIG et les nouveaux Travaux d’Intérêt Educatifs, etc., doivent être menés en parallèle.
La mise en place de ces dispositifs par l’Etat doit être couplée à une exigence d’actions par les élus en faveur des jeunes sur le territoire, l’exemple du skate-park de Pamandzi est à dupliquer.
Cessons de tergiverser, l’heure tourne, et le temps passé sur la délinquance ne l’est pas sur le développement du territoire. La ministre a indiqué revenir « dans un petit mois », pour lancer Wuambushu en avril. Il faut d’ici là avoir balisé les mesures les plus utiles à Mayotte.
Anne Perzo-Lafond