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Mamoudzou

Les Forces vives « initiales » militent pour la levée des barrages

La réunion du vendredi 16 février dernier à Tsararano avait abouti sur la décision de « laisser les barrages à côté », tournure confuse qui laissait néanmoins entrevoir un retour à une libre circulation. Or les barrages sont toujours bien en place pour la plupart et, suite à une scission au sein du mouvement, les imbroglios, manipulations et autres tentatives de récupération règnent désormais en maîtres.

Porte-parole des Forces Vives, Badirou Abdou souhaite tenir son engagement auprès du gouvernement

Le chaos règne désormais au sein des Forces Vives et la majeure partie de la population comme des instances politiques et économiques n’y comprend plus rien ! Tentons donc d’apporter un certain éclairage sur la situation. Même si le mouvement des Forces Vives se voulait « sans leader », certaines têtes issues de collectifs citoyens, de syndicats ou du monde politique se sont naturellement imposés à la tête du mouvement. C’est inhérent, pour le meilleur ou pour le pire, au fonctionnement de l’être humain. Pour être tout à fait clair, le mouvement des Forces Vives a émergé d’un premier combat : celui des habitants de Cavani qui voyaient s’ériger, puis s’agrandir à un rythme accéléré, un camp de demandeurs d’asile originaires d’Afrique continentale autour du stade de leur quartier. Alertée, Safina Soula, présidente du collectif des citoyens 2018 et grande revendicatrice d’un meilleur contrôle de l’immigration clandestine devant d’Eternel, a embrassé la cause des habitants de Cavani. Rappelons que c’est également son collectif qui est à l’origine du blocage régulier du service des étrangers de la préfecture.

Au fil du temps, car notons que l’Etat a mis un certain temps voire un temps certain à prendre le problème à bras-le-corps, les rangs des mécontents ont grossi. Comprenant la colère de ses administrés, le maire de Mamoudzou a multiplié les alertes contre le danger que représentait la situation auprès du gouvernement. De leur côté, les élus du département ont déposé une requête pour l’évacuation du stade (en travaux depuis moultes années) auprès du tribunal administratif. Requête rejetée au motif qu’elle « ne présentait pas de caractère d’urgence ». La colère a alors redoublé au sein de la population dont les angoisses quotidiennes, comme refoulées sous le couvercle de la légendaire « résilience » mahoraise, ont soudain explosé en un feu d’artifice rageur.

Demande d'asile, Mayotte,
Tout a commencé, rappelons-le, avec la colère générée par l’installation d’un camp de demandeurs d’asile dans l’enceinte du stade de Cavani

La thématique de l’insécurité, devenue moins audible sur le devant de la scène de par son caractère « routinier », est alors revenue en force ainsi que celle du « laxisme de la justice ». Dès lors, le traditionnel lien de cause à effet entre l’immigration clandestine et l’insécurité a lui aussi été mis en exergue, bien que peu de faits de délinquance de la part des demandeurs d’asile africains n’aient été réellement à déplorer. Et également bien qu’une personne demandant l’asile ne soit pas considérée comme étant « en situation irrégulière sur le territoire » au regard de la loi française tant que son dossier n’a pas été traité (accepté en tant que « réfugié » ou « débouté »). Mais qu’importe, l’étincelle avait atteint la corde de la dynamite !

Naissance des Forces Vives

S’en est suivi un grand mouvement contre l’immigration clandestine et l’insécurité qu’elle génère prétendument (sans que la distinction ne soit faite entre les immigrés économiques clandestins en provenance des Comores et de Madagascar et les demandeurs d’asile venus d’Afrique continentale). Pour la population, si une personne est arrivée clandestinement par kwassa à Mayotte, il s’agit d’un clandestin, point barre ! Donc une personne qui va immanquablement renforcer la pression migratoire que vit le territoire nuisant aux écoles et aux services de santé. Sans compter que leur progéniture éventuelle est susceptible de venir grossir les rangs des délinquants qui mènent la vie dure aux Mahorais depuis des années ! C’est la raison pour laquelle la revendication première des contestataires issus de différents collectifs citoyens, regroupés sous l’appellation des « Forces Vives », était l’abrogation du titre de séjour territorialisé. Ce dernier « enferme » en effet leurs possesseurs à Mayotte sans possibilité de partir dans d’autres départements et de « dégorger » ainsi l’île.

Gendarmerie, Police, Gérald Darmanin, Marie Guévenoux, Christian Rodriguez, Céline Berthon, Mayotte, GIGN
Le 11 février dernier, les Forces Vives avaient conclu un accord avec Gérald Darmanin et Marie Guévenoux

Gérald Darmanin a pris son temps mais est finalement venu à Mayotte le dimanche 11 février dernier pour annoncer « la suppression du droit du sol à Mayotte », une mesure dont le mouvement des Forces Vives n’avait même jamais osé rêvé. Et également, à peine posé le pied sur le tarmac, la promesse de l’abrogation du titre de séjour territorialisé, leur revendication principale. Une réunion s’est ensuite déroulée au rectorat, où pendant plus de 3 heures, ils ont figé les acquis avec le ministre Gérald Darmanin et sa ministre déléguée Marie Guévenoux. Cette entrevue s’est soldée par l’engagement des Forces Vives à lever les barrages si cette promesse était mise par écrit et envoyée au sein d’une lettre officielle du ministère dans un délai de 48h. Ce fut chose faite, le courrier a été reçu alors que les Forces Vives étaient réunies en un grand congrès à Pamandzi le mercredi 14 février.

Méfiance et scission au sein du mouvement

La réunion du vendredi 16 février dernier s’est soldée par une scission au sein du mouvement, entérinée lors du week-end qui a suivi

Un courrier ministériel qui a été analysé sous toutes ses coutures, car grande était la méfiance que « le gouvernement ne berne les Mahorais à nouveau ». Finalement, la réunion du vendredi 16 février à Tsararano, qui devait décider de la levée des barrages, s’est soldée par des conflits et désaccords. Une partie des barragistes, s’estimant « trahis et utilisés », ont quitté la réunion. En fin de journée, le porte-parole des Forces Vives, Badirou Abdou, a néanmoins annoncé à la presse que « les barrages allaient être mis à côté ». Grosso-modo cela signifiait que la libre circulation allait être rétablie, mais que le matériel servant à faire les barrages allait rester sur place et que quelques barragistes allaient assurer une présence pour « refermer en cas d’impair du gouvernement ». Mais, dans le courant du week-end des 17 et 18 février, la partie des Forces Vives qui était contre la levée des barrages a fait sécession pour créer un nouveau mouvement initialement nommé « Forces du Peuple », réclamant l’état d’urgence sécuritaire et considérant que la promesse d’abrogation du titre de séjour territorialisé « ne répond pas aux préoccupations immédiates des Mahorais sans cesse agressés sur leur île ».

Il semblerait que Saïd Kambi soit un leader influent du mouvement dissident

Par ailleurs, des messages prétendant émaner des Forces Vives circulent sur les réseaux sociaux, mais dont Safina Soula et Badirou Abdou n’ont pas connaissance. « C’est une tentative de récupération politique du mouvement. Nous, nous restons sur notre ligne directrice initiale : le gouvernement a tenu ses engagements envers nous, nous devons donc tenir les nôtre en levant les barrages, il en va de notre crédibilité », déclare Safina Soula. Badirou Abdou la rejoint en déclarant que « le mouvement des Forces Vives a commencé avec l’histoire du camp de migrants de Cavani, il était donc logique que notre première revendication porte sur le problème de l’immigration clandestine à Mayotte. Comme l’insécurité en découle directement, c’était un choix stratégique. Nous n’oublions absolument pas les revendications sécuritaires, mais elles seront négociées dans un second temps. Le mouvement doit se poursuivre, mais sous une autre forme que celle des barrages qui paralysent l’île », a-t-il déclaré.

Nora Godeau

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