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Mamoudzou

Réfugiés de Cavani, le mirage d’une terre promise

Lundi matin, des habitants de Mayotte, venus de différentes communes de l’île, ont bloqué l’entrée du Conseil départemental en protestation contre l’occupation du stade de Cavani, devenu depuis plusieurs mois, un camp pour des réfugiés à ciel ouvert.

Mégaphone en main, une habitante de Mamoudzou proteste : « Nous sommes tous fatigués. Mayotte est confrontée à des problèmes très graves, la crise de l’eau, l’insécurité, les déchets qui s’entassent sur le bord des routes sans être ramassés, et maintenant tous ces réfugiés, ce n’est plus possible ! »

Devant le Conseil départemental, ces femmes n’étaient pas nombreuses mais elles faisaient entendre haut et fort leur colère. Le stade de Cavani, dont les travaux d’emménagement avaient notamment pour objectif de construire des gradins et des vestiaires pour accueillir des sportifs internationaux, est devenu un véritable camp d’accueil pour des centaines de migrants originaires du Rwanda, du Burundi, du Congo et de la Somalie. 

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Une habitante de Mayotte protestant devant le Conseil départemental, contre l’occupation du stade de Cavani, par des réfugiés d’Afrique des grands lacs, lundi 8 janvier (@Mathildehangard)

Ce campement provoque des réactions de la part de nombreux habitants de Mayotte qui dénoncent une situation « irrationnelle » : « Vous croyez vraiment qu’un territoire tout petit comme Mayotte, qui vit déjà quotidiennement de nombreux problèmes, va pouvoir accueillir de nombreux réfugiés venus d’Afrique, c’est irrationnel, on n’a déjà pas d’eau ici ! », poursuit une habitante de Cavani. Avant, elle laissait ses enfants jouer avec des enfants du camp, mais aujourd’hui, elle est obligée de leur interdire, en raison d’une insécurité qu’elle décrit : « Je ne veux plus prendre le risque de laisser mes enfants jouer avec les autres enfants du camp, certains réfugiés nous menacent directement, nous intimident, certains délinquants s’affrontent avec des réfugiés et un trafic de drogues s’est organisé à l’intérieur-même du camp, la situation est trop dangereuse. » 

« Comment voulez-vous que Mayotte s’en sorte ? On va décaser des habitations pour reconstruire des camps ? Le préfet n’arrête pas de prendre des arrêtés d’interdiction compétitions nationales et sportives. Il n’a qu’à placer ces réfugiés à côté de chez lui, sur la case Rocher et on verra si ce camp ne le dérange pas. » proteste une habitante de Mamoudzou. 

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Deux femmes somaliennes, réfugiées, abritées sous une tente, dans le camp du stade de Cavani, lundi 8 janvier 2023 (@Mathildehangard)

Une autre habitante de Cavani se confie avec peine : « Ce n’est pas du racisme. C’est une question de dignité humaine. Tous les soirs j’entends des cris et tous les matins, je me réveille avec cette vision d’horreur. Ces réfugiés sont entassés dans ce camp, sans accès à des besoins de base, leurs déchets sont jetés dans le stade, l’air est irrespirable, ils font leurs besoins partout (…) Mayotte n’a pas les moyens de les accueillir. » 

Ces habitants ont reçu le soutien de nombreux élus, et demandent une intervention urgente du préfet de Mayotte, pour réguler l’accueil des réfugiés et mieux accueillir ceux qui sont sur le territoire, « dans des lieux dédiés, avec un accès à des besoins primaires », pour reprendre les termes du collectif. 

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Ben Issa Ousseni mobilisé pour répondre au « ras-le-bol urgent » des habitants de Mayotte à propos du camp de réfugiés du stade de Cavani

Le Président du Conseil départemental de Mayotte, Ben Issa Ousseni, a exprimé sa compréhension à l’égard des habitants de Mayotte, mobilisés ce matin au siège du conseil départemental : « Nous comprenons le ras-le-bol des habitants à l’égard de ce camp et faisons le nécessaire pour débloquer la situation qui nous semble urgente. D’une part, en renforçant les effectifs de sécurité sur place et d’autre part, en ayant déposé un recours au Conseil d’Etat pour contester la décision du tribunal administratif, qui a rejeté la demande d’expulser les migrants du stade de Cavani pour poursuivre les travaux d’aménagement de ce complexe sportif. » Cependant, le Président du conseil départemental précise que « l’évacuation de ces réfugiés du camp de Cavani ne dépend pas du tout du Conseil départemental » et que « le conseil départemental est lui-même demandeur de leur évacuation. »

Pour mieux comprendre le contexte, notre rédaction s’est rendue au stade de Cavani. Sous des trombes d’eau qui se déversent dans ces allées de fortunes, nous faisons la connaissance de Honesty*. En l’aidant à ramasser ses affaires qui étaient tombées dans des flaques de boue, il nous invite à nous abriter sous la tente qui leur sert de maison, à lui, sa copine, leur bébé, sa soeur et son frère. 

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Le grillage du stade de Cavani, servant d’étendoir pour les vêtements des réfugiés du camp, dont la démolition n’aura pas lieu, suite au rejet par le tribunal administratif de la demande du département, pour l’expulsion des migrants, installés au stade.

Sur les hauteurs de Cavani, le squat gagne en densité, mais les tentes ne sont pas monnaie courante, elles valent chères, tous les réfugiés du camp n’ont pas les moyens de s’en procurer, et faute de places, la plupart des réfugiés dorment alors sur la pelouse ou les tribunes du stade. 

Honesty trouve les journées « interminables ». Lorsque nous lui demandons s’il regrette son choix d’être venu à Mayotte, sa réponse est sans équivoque : « Non, on ne pouvait pas rester en Somalie, on allait se faire tuer, comme nos voisins, nos amis. »  

Après une traversée de plus d’un mois en bateau en manquant d’eau et de nourriture, Honesty et ses proches sont arrivés dans ce camp il y a plusieurs semaines. Ils sont dans l’attente de l’obtention d’un droit d’asile, sans lequel, ils ne peuvent rien faire. Honesty espère que ce statut leur permettra d’être logés, même temporairement, et de travailler : « Je n’ai pas de grands rêves, je veux juste vivre dans un pays en paix, pouvoir manger, nourrir ma famille et que nous soyons tous en bonne santé. » 

Mais si son Anglais est mieux que le notre, en plus de parler l’Arabe et le Somali couramment, Honesty déplore une situation d’injustice entre les réfugiés francophones et les réfugiés anglophones : « On reçoit un euro par jour, trente euros par mois pour vivre, c’est très peu. Les réfugiés francophones arrivent plus facilement que nous, qui ne parlons pas français, à avoir des bons alimentaires ou de l’eau. »

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Denrées alimentaires d’une famille de réfugiés somaliens, du camp du Stade de Cavani, lundi 8 janvier 2023 (@Mathildehangard)

Malgré les efforts des associations, pour subvenir aux besoins vitaux de ces réfugiés, le camp est chaque jour plus grand, de nouvelles personnes s’y ajoutent et la rivière reste le lieu de toutes les sources. Honesty me le montre lorsqu’il boit l’eau d’une rivière, qui ressemble davantage à un écoulement d’eaux usées et de déchets, qu’à une source d’eau potable : « On remplit des jerricans, on boit, prépare à manger, nettoie notre bébé, avec cette eau, on se lave et on fait même nos besoins dans cette eau. »

Honesty m’explique que beaucoup d’habitants de Cavani viennent les aider en leur apportant de l’eau, de la nourriture et même des couches pour leur bébé, mais certains autres disent qu’ils ne font qu’augmenter les problèmes d’une île déjà en prise à de grandes difficultés sociales et économiques. A cela Honesty répond : « Nous ne sommes pas des délinquants, nous ne consommons pas d’alcool, ni des drogues, certains occupants du camp, sont en conflit avec des délinquants de Mayotte, et sont alcoolisés et drogués, mais ils sont peu nombreux (…) J’ai honte, je ne veux pas que l’on ait cette image de nous (…) Je comprends que certaines personnes consomment des drogues car la situation est difficile. Mais nous ne sommes que des témoins de ces problèmes, la plupart des réfugiés dans ce camp, sont des êtres humains, respectueux, qui ne demandent qu’une vie meilleure (…) Certains soirs, je ne dors pas, je veille sur ma famille, on se relaie entre somaliens pour surveiller nos tentes, nous ne voulons pas être des cibles ou entraînés dans ces violences, tout ce que nous demandons c’est une vie meilleure. »

Si dans ce camp, l’attente est vécue comme très difficile, l’avenir est tout aussi incertain. Les places dans les hébergements d’urgence sont extrêmement limitées et trois mois après l’obtention d’un droit d’asile, les personnes logées temporairement, ont l’obligation de quitter ces lieux. 

Honesty nous confie qu’il peut aussi compter sur un ami pour lui prêter un peu d’argent pour continuer d’étudier le français et les mathématiques. A cet ami, Honesty lui a fait la promesse de le rembourser, lorsqu’il aura accompli son rêve, d’une vie simple, « a life of simple joys »**

 

Mathilde Hangard 

 

* Pour préserver l’anonymat de cette personne, son nom a été changé.

** Traduction de l’anglais : une vie de simples joies.

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