« Il n’y avait strictement rien à l’aller. Les personnes en question ont du voir le véhicule et son gyrophare passer et ont profité du temps de l’intervention d’environ une heure pour ériger un barrage. Le but était clairement qu’on ne puisse pas passer » nous indique le docteur Nora Oulehri, directrice du Service d’aide médicale urgente de Mayotte (Samu976). Un mode opératoire tristement classique : un lieu plus ou moins isolé, une route unique, des encombrants de tous types pour obstruer la voie et l’attente d’un usager passant par là. Lorsque la structure mobile d’urgence et de réanimation (SMUR) arrive, avec à son bord une victime prise en charge, aucun membre de l’équipe n’est bien entendu descendu pour dégager la chaussée. C’est alors que 3 individus armés de chombos sont sortis des fourrés et sont venus directement attaquer le véhicule. N’ayant pu s’introduire dans la cellule arrière où se trouvaient la victime donc, ainsi que l’infirmière et le médecin, les intéressés sont tout de même parvenus à atteindre la cabine de pilotage où le chauffeur ambulancier a su garder son calme, malgré des palpations plutôt virulentes en vue de dénicher un portable.
La violence aussi psychologique
Même s’il n’est à déplorer, fort heureusement, aucune victime physique à proprement parler, face à ce récent et dernier fait divers qui touche, une nouvelle fois et de plein fouet, le personnel du centre hospitalier mahorais, il n’en demeure pas moins que la triste expérience s’ajoute à un monticule de violences devenues quasi-quotidiennes et pour lesquelles les praticiens concernés se sont encore manifestés ce jour et s’étaient justement mobilisés, la semaine passée, pour faire entendre jusqu’aux portes de la préfecture, leur épuisement, leur peur et leur légitime colère face à tout cela.
Une mobilisation tout à fait comprise et même soutenue par la direction du CHM dont le directeur, Jean-Matthieu Defour, nous avait confié par téléphone tout l’impact global que cette singulière et complexe vie engendre : « Je suis un ancien soignant. Dans notre logiciel de soignants, nous sommes faits pour soigner les gens et il n’y a aucune possibilité ni place à se faire agresser et encore moins d’être empêché de travailler. En ce moment, soit nos personnels sont agressés et caillassés dans leur bus, soit il ne peuvent pas arriver en temps et en heure au CHM pour cause de délinquants sur la route, ou alors nos véhicules d’intervention ne peuvent se rendre sur zone, pour cause de barrages et/ou recommandations sécuritaires forces de l’ordre car la situation est trop tendue. Tout ceci fait que la gestion des plannings et roulements est complexe, les équipes de nuits doivent par exemple rester plus longtemps en attendant que la relève arrive, c’est de la fatigue extrême cumulée à l’appréhension tout a fait compréhensible de venir sur son lieu de travail etc. C’est quelque chose d’épuisant et je remercie sincèrement ces personnes tous les jours de faire le nécessaire pour être là malgré tout, tout comme je me dois de remercier la préfecture et l’ARS avec qui nous travaillons depuis des mois, de manière étroite et régulière, pour apporter des solutions face à tout cela ».
« Plus personne ne sort à la tombée de la nuit, jusqu’à nouvel ordre… »
Cette décision, c’est celle du Docteur Nora Oulehri, en charge du Samu 976 au regard de cet incident qui s’est déroulé ce mardi, sur les coups de 3 heures du matin. « Même si je ne suis pas physiquement sur le terrain, c’est ma responsabilité d’y engager ces humains et il n’est plus tolérable de risquer sa vie dans le cadre de ses fonctions. Les personnels se demandent chaque jour s’ils vont revenir d’intervention et rentrer sains et saufs chez eux après leur garde. Ça n’est pas viable de travailler la boule au ventre. J’ai fait parvenir ce matin un courrier à la direction du CHM ainsi qu’à l’ARS et au CTA (Centre de traitement de l’alerte / Sapeur-Pompier) de Mayotte; plus personne ne sort à la tombée de la nuit, jusqu’à nouvel ordre ». Cette situation d’insécurité, ayant depuis bien longtemps dépassé le stade du simple sentiment, c’est justement un argumentaire qui a été souligné auprès du préfet de Mayotte, Thierry Suquet, par la petite délégation de manifestants hospitaliers qui avait été reçue le 14 décembre dernier, demandant l’instauration de l’état d’urgence sur notre île. Une requête jugée apparemment « non adaptée au territoire » par le précité, selon des dires qui nous ont été rapportés par le personnel gréviste, n’ayant tout de fois pas interrompu son travail.
De son côté, le préfet de Mayotte, lors de sa dernière allocution officielle auprès de la presse, en fin de semaine dernière, n’a pas hésité à rappeler ses demandes express et appuyées, auprès du Ministère de l’Intérieur et des Outre-mer, en matière de renforts police et gendarmerie avec pour objectifs majeurs de « protéger la population » et « de garantir la libre circulation » au moyen notamment d’une occupation de terrain soutenue. Et au regard de cette entrevue avec les personnels soignants : « Les médecins sont sortis en disant ’’on est fatigué, on est crevé, on est conscient des enjeux et vous savez que notre objectif c’est que tout cela fonctionne mais on veut que l’État nous protège’’ et les engagements que nous prenons justement, ce sont des engagements pour la sécurité de l’ensemble des personnels » déclarait monsieur Suquet.
La régulation continue
Même s’il est donc question, dans l’immédiat, de cesser toutes sorties de véhicules de secours entre la tombée de la nuit et le lever du soleil, le système de régulation quant à lui continue bien entendu de tourner; le but sécuritaire légitimement revendiqué ne se voulant pas de laisser totalement tomber la population cela va de soi : « Nous allons donner aux gens un message, le but étant qu’ils se rapprochent le plus rapidement possible des CMR (centres de médicaux de référence) avec lesquels sont sommes en contact, notamment avec les médecins. Nous allons pouvoir aider ces-derniers dans leurs soins, les guider dans les prises en charge de façon à temporiser, jusqu’à ce qu’on trouve des solutions. Donc soit les gens ont les moyens de ramener leur famille directement au CHM, soit ils vont dans leur CMR et à partir de ce CMR, on s’organisera pour mettre en place un pont dès le matin suivant » nous précise le docteur Oulehri.
À l’heure de ces écrits, aucune communication officielle venant de la direction du Centre hospitalier de Mayotte, de l’ARS ni même des services préfectoraux au regard de ce droit de retrait qui prend donc effet dès ce mardi soir.
MLG