Au plus fort des violences subies ces dernières semaines par une grande partie de la population de l’île, nous avons contacté l’écrivain et conférencier Mouhoutar Salim en sa qualité de membre de l’Observatoire des violences à Mayotte, espace essentiel d’échanges sur ce territoire, sous-exploité par le conseil départemental qui doit le piloter. C’est à titre personnel qu’il nous livre donc cette tribune, portant sur les ressorts de cette délinquance. Un nouvel éclairage après le témoignage d’un jeune sur l’objectif des affrontements entre bandes, qu’avait recueilli notre journaliste Mathilde Hangard, sur les hauteurs d’un village.
AU SUJET DES RELATIONS CONFLICTUELLES A MAYOTTE
Les phénomènes de violence sont aussi vieux que le monde. Si par le passé, la violence à Mayotte s’exprimait dans un cadre ritualisé notamment le « MURINGUE », et qui avait pour effet l’instauration et l’entretien des relations pacifiques entre les individus et les groupes, force est de constater que depuis 2012, date à laquelle, un jeune de 17 ans est poignardé à mort dans l’enceinte du lycée BAMANA à MAMOUDZOU, on recourt de plus en plus à la force à des fins de domination, d’accaparement, ou de destruction. Depuis, une chose semble faire l’unanimité à Mayotte, c’est une violence juvénile soutenue, impactant la sécurité de la population. Et en ce mois de novembre noir, cette question de la violence juvénile est de nouveau au centre des préoccupations et des discours publiques et politiques à Mayotte.
Risuhukaribisa[1]
Les Mahorais ne manqueront pas à leur grande tradition d’hospitalité. Ils regardent comme un honneur et un signe remarquable de considération, la visite le 8 décembre prochain, de la Première Ministre E. BORNE, accompagnée de ses Ministres de la Santé et celui en charge des Outre-Mer. Pour l’heure et malgré le contexte social lourd, de crise d’eau, que vivent les Mahorais depuis plusieurs mois et qui s’est aggravée avec cette nouvelle crise exceptionnelle de violence juvénile, Mayotte est unie pour souhaiter à Madame la Première Ministre, une très sincère bienvenue chez elle à Mayotte.
Une violence au cœur de l’actualité
Au mois de novembre de cette année 2023, plusieurs faits-divers sombres impliquant des jeunes ont eu lieu dans des nombreuses communes de l’île, notamment à MAMOUDZOU, KOUNGOU, TSINGONI, DEMBENI, OUANGANI et SADA. Ces faits qui n’en restent pas moins très graves (callaissage, incendie des véhicules, des cases et maisons d’habitation, violences physiques…) mettent la société mahoraise, en présence d’une situation de rupture, marquée par des conduites de plus en plus agressives des jeunes et peu courantes dans le réseau traditionnel d’autorité. Les mahorais parlent d’un « Novembre noir ».
En effet, à la différence de la jeunesse mahoraise d’antan où les situations de rupture sociale étaient facilement maîtrisables par les procédures traditionnelles de régulation sociale et de gestion de conflits (RADHI) (Bénédiction) ou le (SULUHU) (Réconciliation), qui tendaient principalement à rétablir l’ordre social et l’unanimité au sein du groupe social, succède de nos jours la spirale sans fin des conflits, des ruptures des liens familiaux et sociaux, des problèmes de scolarité, des comportements à risque, des frustrations, de délinquance juvénile et des violences jusqu’à l’homicide en (2013, 2017, 2019, 2020…). Cette situation suscite de nombreuses réactions publiques dans les réseaux sociaux, dans la population et chez leurs élus. Tous expriment leur volonté de lutter contre cette violence juvénile et sollicitent le soutien du gouvernement qui donnerait à cette lutte la dimension nécessaire à sa réussite. Par ailleurs, cette violence s’exprime le plus souvent sous forme d’affrontement entre bandes rivales de deux villages différents (COMBANI/MIRENENI, ILONI /DEMBENI par exemple). Et c’est leur caractère non maîtrisable et surtout l’usage d’armes d’anéantissement qui caractérisent cette violence.
Première cause : l’immigration clandestine
Malheureusement, tous ces faits divers sont les symptômes bien visibles de ce nouveau syndrome qui affecte l’actuelle société mahoraise. Il s’agit de ce décor désormais permanent de la déferlante migratoire clandestine dans le département le plus pauvre de France avec ses bidonvilles tentaculaires.
Cette immigration clandestine est aujourd’hui une des questions sociales les plus sensibles à Mayotte en raison de l’attractivité de l’île pour les populations des îles voisines et plus particulièrement, des Comores, mais aussi de Madagascar, de Maurice, des pays d’Afrique de la zone des Grands Lacs et des Etats bordant le Canal du Mozambique. Ces migrants sont attirés par des salaires beaucoup plus élevés à Mayotte que ceux pratiqués dans leurs îles ou pays respectifs. Malheureusement, force est de constater que, cette forte attractivité, légitime pour chaque individu désireux d’améliorer son niveau de vie, ne s’opère pas le plus souvent dans la légalité et entraîne une situation exceptionnelle pour le département français le plus jeune et le plus pauvre de France. Ce flux d’immigration est rendu plus aisé par la situation géographique de Mayotte, située à 70 km de l’île d’Anjouan et à proximité des côtes africaines et de Madagascar dont les côtes les plus proches se trouvent à 350 km des côtes mahoraises.
Sans renier en rien la tradition d’hospitalité de la République française d’accueillir les ressortissants de ses anciens territoires, Mayotte, petite et fragile, est au bord de toutes les ruptures sociales, et les conditions du séjour clandestin exposent la population immigrée elle-même à tous les dangers, notamment : logement insalubre et délinquance élevée. Sur ce dernier point, il semble qu’il soit interdit d’énoncer à Mayotte l’évidence pourtant bien réelle d’un taux de délinquance beaucoup plus fort chez les clandestins. Ce serait une manifestation de racisme et de xénophobie, alors qu’aucun mahorais ne dit que les Comoriens sont naturellement plus délinquants. Ils disent seulement que toute population vivant dans la clandestinité administrative et la pauvreté économique est condamnée à recourir plus que d’autres à la délinquance.
Même si les Mahorais compatissent aux problèmes des clandestins, à leur habitat précaire, à leurs conditions d’hygiène défavorable, à leurs difficultés économiques et sociales, ils ne peuvent néanmoins accepter que leurs services publics soient submergés par l’immigration clandestine, que les terrains urbains soient envahis par des bidonvilles, que la délinquance et la violence progressent de façon alarmante, que tous les trafics s’installent entre les Comores et Mayotte. En bref, Mayotte hérite de la misère dont profitent les dirigeants comoriens.
La population clandestine est évaluée au tiers de la population mahoraise. Dans quelle autre collectivité de la République accepterait-on de tels ratios ? On dit souvent aux Mahorais que l’immigration clandestine serait inévitable à raison de la proximité et des différences de niveaux de vie. Il convient de préciser ici que ces facteurs sont les mêmes – et parfois plus puissants entre le MAROC et l’ESPAGNE ou entre la TURQUIE et la GRECE, et pourtant l’immigration y est fortement maitrisée. A laisser l’immigration progresser au-delà du niveau déjà atteint, on risque d’autres problèmes autrement plus graves. En effet, nombreux sont ceux qui pensent que Mayotte est une poudrière qui risque de s’embraser très prochainement.
Deuxième cause : les inégalités sociales
Les liens entre inégalité et qualité de vie ne sont pas inédits, ils sont évidents. Non seulement les inégalités ont toujours été responsables de divisions, mais elles sont tenues responsables des nombreuses divisions rencontrées dans les sociétés. A Mayotte, elles sont responsables de la compartimentation de la société mahoraise en plusieurs groupes sociaux, qui contribuent chacun à sa manière à la construction
[1] Bienvenue
Salim MOUHOUTAR – Auteur-Conférencier
Membre de l’Observatoire des Violences de Mayotte
Membre de l’Observatoire de la Parentalité de l’Océan Indien