Pour sa 4ème visite à Mayotte, le programme de la visite du ministre des Outre-mer prenait le contrepied des précédentes. Après avoir ouvert jadis un Comité de suivi de la ressource aux médias et avoir prêché la transparence, c’est en plus petit comité que s’est tenu un comité de pilotage avec les services de l’Etat, sans point presse. Pas de médias non plus pour la rencontre avec « les forces vives et les élus » sur le Projet de Loi Mayotte. Plus d’un s’est étonné de ce format de rendez-vous quatre jours après le grand raout du CIOM en tête à tête rue Oudinot, mais il s’agissait d’enregistrer les propositions de la société civile, chose qui n’avait pas été fait pour le précédent projet de loi, c’est à saluer. Ce mercredi, il était prévu que le ministre couvre les champs culturels et scientifiques. Il a malheureusement été rattrapé par la patrouille de caillasseurs qui a une nouvelle fois fait l’actu, la pluie et le beau temps.
Le beau temps justement, parlons-en, puisqu’il nous a valu la mine beaucoup plus fermée que d’habitude de Philippe Vigier. Il a alimenté les échanges sur la crise de l’eau, le démarrage attendu précocement de la saison des pluies n’ayant pas eu lieu, le « à quelques jours près ça va passer », lancé par un ministre optimiste le mois dernier ne tient plus la route, les coupures vont certainement être élargies… « à quelques jours près ».
Il s’agissait aussi à la fois d’une préparation de la visite d’Elisabeth Borne, et d’un passage de Philippe Vigier par la case Mayotte, avant de sauter dans celle de La Réunion, puis de Maurice et enfin, à la COP28 à Dubaï (Emirats arabes unis).
Et toujours le sentiment d’impunité…
Ayant assisté à la rencontre avec le ministre qui s’est tenue de 17h30 à 19h ce mardi au conseil départemental, en présence de quelques maires, des parlementaires dont un en présentiel, les autres en visio, et de conseillers départementaux, le tout nouveau maire centriste de Dzaoudzi Labattoir, nous livre un retour.
Si le sujet phare était le projet de loi Mayotte, pour lequel le gouvernement a donc déjà reçu les propositions des élus, et doit se prononcer sur ce qui relève du législatif et de la gestion courante d’un département, il n’a quasiment pas été abordé. « Nous avons signalé au ministre que ce qui nous préoccupait, c’était l’instant T, qu’on pouvait parler de mesures, mais ce que la population attend, c’est de constater une amélioration. ‘Comment je sors de chez moi en toute sécurité, est-ce que mes enfants vont revenir de l’école blessés ou pas ? Que notre quotidien est sous pression. »
Les élus ont fait remonter un constat d’échec de l’appareil d’Etat, « on se sent vulnérables face à ces hordes de jeunes qui ont un sentiment d’impunité. Nous lui avons dit notre agacement de voir ces jeunes dehors à peine interpelés ». La plainte habituelle contre un système judiciaire qu’ils jugent toujours inadapté à la délinquance juvénile. « Le ministre a reconnu qu’il y avait encore beaucoup de choses à faire. »
Présent à la réunion, le député LR Mansour Kamardine confirme, « de la 1ère à la dernière prise de parole de la société civile comme des élus, c’est le ras-le-bol des violences qui dominait ».
« La République est touchée, mais on dirait qu’elle a baissé les bras »
La parade contre la délinquance pour les élus, c’est « un plan d’urgence sécuritaire, » et, bien qu’aucun bilan n’ait été tiré de la 1ère, demandent « une deuxième opération Wuambushu », témoigne encore Mikidache Houmadi : « Avec le vacarme médiatique que ça a fait, les délinquants ont arrêté leurs agressions, la peur avait commencé à changer de camp. Or, on est reparti dans l’autre sens avec l’incendie du camion de gendarmes mobiles ce mardi à Tsararano, la République est touchée, il semble qu’elle ait baissé les bras. Ça nous inquiète. »
L’annonce de l’envoi d’un escadron de 72 gendarmes mobiles, n’a pas été faite par le ministre délégué pourtant présent sur place, mais par son big boss Gérald Darmanin. Elle va dans ce sens. Mais à coup d’aller-retour d’escadrons et de pelotons, on ne sait plus où on en est, et on se demande si c’est la rue qui gouverne et décide des politiques sécuritaires à Mayotte. A plusieurs reprises nous avions fait le parallèle chiffré avec un territoire comparable en métropole, en insistant sur les paramètres mahorais qu’il faut garder comme indicateur pour « mettre plus de bleu dans la rue » : la moitié de la population a moins de 17 ans, dont une partie en errance et même la partie scolarisée participe aux émeutes. Des familles pour un tiers monoparentales, nombreuses, « la maman part vendre quelques fruits, en pendant ce temps-là, elle ne sait pas ce que font ses enfants », glisse Mikidache Houmadi, « la question des mineurs isolés doit être traité en urgence car cela devient dangereux. »
« 290.000 demandes de régularisation en attente à la préfecture »
Le territoire ne peut plus ignorer ces familles alors que les liens de solidarité villageois sont distendus. Une idée à creuser serait d’adapter la prévention spécialisée aux familles, c’est-à-dire que chaque commune, par son CCAS – ils sont encore très récents à Mayotte – doit accompagner ces familles dans leur parentalité pour ne pas risquer de se retrouver avec un enfant caillasseur. L’Observatoire de la violence dont on n’entend plus parler, a toute sa place.
Pour le maire de Dzaoudzi qui a écouté avec attention le président de la République sur sa volonté de décentraliser par la loi 3DS, pourquoi pas : « Dans ce cas, il faut laisser chaque territoire proposer ce qu’il y a de mieux et nous savons que le titre de séjour territorialisé qui ne permet pas de sortir de Mayotte n’est pas une bonne chose. Moi, je n’ai pas trouvé la définition de ‘l’appel d’air’ dans le dictionnaire ! »
Le député Kamardine nous livre un chiffre incroyable qu’il certifie exact : « Il y a actuellement 290.000 demandes de régularisation en stock à la préfecture de Mayotte », soit l’équivalent du chiffrage de la population de Mayotte par l’INSEE en 2017. « C’est cette donnée qui a incité le ministre Darmanin à approuver la non-régularisation des entrées irrégulières ».
Mercredi matin les navettes CADEMA qui relient Dembéni à Mamoudzou avec son flot de salariés embarqués, ont dû faire une nouvelle fois demi-tour, en pleine visite ministérielle dans le Sud de l’île…
« Sous la pression de tous ses interlocuteurs, le ministre a indiqué vouloir rendre compte à Gérald Darmanin et à la Première ministre », indiquait le député, ce qui a valu cette décision de l’envoi d’un escadron de gendarmerie, « on nous a assuré de son envoi rapide ».
Anne Perzo-Lafond