Tsararano, Combani, Mramadoudou, Koungou, Majikavo, Ouangani. Il y a un mois, c’était Dzoumogne et Bandraboua, et on pourrait remonter loin comme cela. Les habitants de ces zones au bitume noirci par les barrages et jonché de bris de vitre d’automobiles caillassées, sont excédés et en arrivent à bloquer eux-mêmes les routes, compliquant encore la tâche des gendarmes comme ce fut le cas à Mramadoudou, et à Tsararano, dans la commune de Dembéni, la nuit dernière.
« C’était la guerre ! », est l’expression qui revenait sur toutes les lèvres de ceux qui se rendaient à leur travail ce mardi matin en passant par Tsararano, « ils ont brulé une moto et un camion de gendarme ! », témoignent nos interlocuteurs. Signe de la volonté de s’attaquer aux symboles de la République de la part des semeurs de troubles. Dimanche dernier, jour de début de la guérilla, une maison située à Iloni a été incendiée, mettant en danger une famille de six enfants.
Des violences qui ont une nouvelle fois détruit, commerces, véhicules, et traumatisé les habitants, mais aussi bloqué l’activité économique et sociale de l’île. A quelques dizaines de kilomètres de là, le pétrolier Largo Excellence n’a pu être accosté au terminal pétrogazier, en raison de l’absence de membres d’équipage d’un remorqueur, bloqués dans le Sud. Dimanche soir, c’est un vraquier, le Sheng Xiang Hai, qui n’a pu quitter le port, le pilote ayant été bloqué par un barrage enflammé à Koungou peu avant 19h. Une paralysie qui coute cher aux armateurs qui n’hésiteront pas à se détourner de Mayotte lorsque c’est possible. Dans les entreprises, les administrations, même constat, tout tournait au ralenti.
Jusqu’à quand ? Des solutions momentanées seront trouvées, pour un retour précaire au calme, avant que tout redérape 10 km plus loin. Terrorisés, les habitants n’osent plus sortir le soir et prendre le risque de faire partie des nouvelles victimes.
« Que ceux qui n’ont rien à faire là repartent chez eux ! »
Une réunion se tenait ce mardi à la mairie de Dembéni, entre les représentants de la gendarmerie, un comité des sages du village, et des élus, dont le maire Moudjibou Saïd. Lorsque nous le contactons au téléphone, vers 15h30, les agressions se poursuivaient, c’est un maire ébranlé qui nous répond : « Une cinquantaine de jeunes cagoulés, mais identifiés comme venant de Tsoundzou, viennent de pénétrer dans le Douka Be de Tsararano et de le piller de denrées alimentaires. Ils sont repartis vers les hauteurs, et attendent sans doute que le soleil se couche pour revenir. Hier, c’était les jeunes de Iloni et Dembéni qui s’affrontaient. »
Étant donné que les membres de son conseil municipal sont originaires des différents villages concernés, ils sont partis en délégation derrière le maire et accompagné par le colonel de gendarmerie Olivier Casties lui-même, et du comité des sages pour visiter les villages concernés. « Un succès mitigé », indique l’adjoint au commandant de gendarmerie de Mayotte qui connait bien le territoire et prêche pour l’intermédiation, « nous voulons que ceux qui n’ont rien à faire là repartent chez eux ! Une bonne partie de la population est descendue sur la route, certains pour dénoncer les violences, d’autres pour alimenter la guerre de villages, mais ils se mêlent aux émeutiers, compliquant notre tâche pour libérer l’axe routier. » Ces adultes ont un rôle à jouer auprès des jeunes, mais certainement pas en bloquant la circulation, « c’est leur vie qui est en jeu face à des jeunes prêts à tout ».
Plusieurs décisions ont été prises, dont certaines n’ont jamais trop fonctionné. Moudjibou Said a décidé avec ses adjoints la mise en place d’un couvre-feu sur Dembéni, « la mesure entre en vigueur dès ce soir. De 19h à 4h du matin, aucun mineur ne doit circuler sur l’ensemble des villages de la commune, à savoir Ongojou, Ironi-bé, Iloni, Tsararano, Dembéni et Hajangua, et ceci pendant 3 semaines. » Nous l’interrogeons sur les moyens mis en œuvre pour le faire respecter, « les forces de l’ordre nous ont garanti y veiller. »
Détruire les planques
Olivier Casties veut bien, en coordination avec la police municipale, mais nuance: « Si un enfant de 8 ans traine dans la rue, on ne va pas le mettre en prison. Que faire s’il n’a pas de parents à contacter ? » Sans ironiser, c’est un des pans du travail de la prévention spécialisée, et un lien avec les associations serait la bienvenue. Le maire nous indique d’ailleurs avoir conventionné au mois d’octobre avec trois associations, « nous les avons dotées de 10.000 euros chacune pour qu’elles déclinent à Mayotte le dispositif de parents relais. » Une organisation qui a fait ses preuves en prévention, mais pour ce qui est de la situation actuelle, c’est plus compliqué, « Ce mineurs, ils ont l’intention de tuer, même les gendarmes mobiles n’y arrivent pas, un de leur camion a été incendié. » La présence d’habitants n’a pas aidé à les refouler, réitère le gendarme.
Carte à l’appui, Olivier Casties estime que la destruction de cases qui servent de planque à ces jeunes sur certaines zones, est incontournable, « quand je l’évoque, on me répond que c’est un processus long, mais il faut bien commencer par quelque chose. » Surtout que comme des aimants, la tôle appelle la tôle, et les nouvelles constructions affluent, alors que l’action de flagrance pourrait être menée par la mairie sur signalement des policiers municipaux.
60% de garçons sans père
La scène rappelle les émeutes de mai-juin en métropole, et il est intéressant à ce sujet d’écouter Michel Aubouin, préfet honoraire, inspecteur général de l’administration, qui a travaillé longtemps dans les quartiers sensibles, et qui était invité sur le plateau TV de LCI après l’agression du jeune Thomas à Crépol. Aux journalistes qui l’interrogeaient sur un risque d’autodéfense de la population face à un ras-le-bol et d’une possible guerre civile, il répondait : « On a vu lors des émeutes de mai-juin des gens commencer à s’armer, et on pourrait assister à des mouvements massifs de la population pour protester contre une insécurité devenue insupportable. Un des problèmes de fond est qu’il manque beaucoup d’adultes, beaucoup de pères de famille. Les émeutes de mai et juin sont le fait à 60% de garçons qui ont grandi sans père, disent les statistiques de l’Inspection générale de l’administration. »
Une analyse plus vraie qu’ailleurs à Mayotte où selon l’INSEE, un tiers des familles est monoparentale, et « dès le plus jeune âge », et avec une maman isolée, le plus souvent sans papier, à la tête d’une famille nombreuse. Qui va faire respecter le couvre-feu si l’essentiel n’est pas inculqué dans la famille ?
Anne Perzo-Lafond