« Lorsque qu’il y a plusieurs années nous avons décidé de nous intéresser à la prise en charge des auteurs de violences conjugales et, plus largement, aux auteurs de violences faites aux femmes en Martinique, nous nous sommes heurtés à l’hostilité de nombreuses associations féministes. Or, la prise en charge de ces auteurs est un élément essentiel dans la prévention de la récidive », a déclaré Fred Galva, le directeur du CPCA de Martinique et psychologue spécialisé dans ce domaine, invité d’honneur de la conférence. « La Martinique a été l’un des pionniers dans la création des CPCA en outre-Mer, nous pensons donc que leur expérience a beaucoup à nous apporter dans ce domaine », explique Pablo Lordelot, le directeur du CPAC de Mayotte. Beaucoup d’autres acteurs impliqués dans la prise en charge de ces violences étaient également invités à cette conférence comme des membres de la gendarmerie, des magistrats, des psychologues, mais également Taslima Soulaïmana, la directrice régionale aux droits des femmes et à l’égalité entre les hommes et les femmes à Mayotte, particulièrement concernée par cette question.
Au cours de cette conférence, tous ont expliqué leur rôle respectif dans le processus de prise en charge des violences conjugales et des violences faites aux femmes en général. Car, s’il y a également des femmes autrices de violences, celles-ci sont très majoritairement perpétrées par des hommes qu’ils soient, ou non, en couple avec la victime. « Je pense qu’il ne faut pas s’enfermer dans la seule problématique des violences conjugales, mais l’élargir aux violences faites aux femmes car bien souvent ces violences vont de pair avec des représentations de la virilité basées sur la domination des hommes, représentations toujours très ancrées au sein de nos sociétés », analyse Fred Varga qui ne minimise pas pour autant la dimension individuelle de ces violences. « Bien souvent, ces auteurs ont d’abord été des victimes et reproduisent les schémas qu’ils ont vécus dans leur enfance », indique-t-il.
Comprendre l’histoire et les traumatismes des auteurs pour faire éclore une prise de conscience
Le CPCA de Mayotte est tout récent puisqu’il a été créé en 2020. En tant que structure déléguée du procureur, il propose aux auteurs de suivre des stages de responsabilisation en lieu et place de poursuites pénales. « Les auteurs sont évidemment libres de refuser », précise Pablo Lordelot. Les auteurs non poursuivis par la justice ont également la possibilité de se présenter au CPCA, mais ce cas de figure ne s’est évidemment pas encore présenté pour le moment. Ce serait trop beau… Les journées de stages durent 8h pendant lesquelles un psychologue et un travailleur social discutent avec les auteurs sur la question de la violence. « Ils les font réfléchir sur les impacts qu’ont leur violence sur la victime, son entourage, leurs enfants s’ils en ont et cherchent à provoquer en eux une remise en question de leur comportement en leur tentant de faire éclore une prise de conscience », détaille Pablo Lordelot. Le CPCA de Mayotte, créé il y a seulement trois ans, ne bénéficie pas de suffisamment de recul pour savoir si les auteurs ainsi pris en charge ne récidivent véritablement pas. Ces chiffres seront disponibles dans les années à venir.
Fred Galva a en tout cas été ravi de constater que ces structures étaient déjà en place à Mayotte, même s’il convient à présent de les faire fonctionner et évoluer correctement. Un conseiller pénitentiaire présent dans le public a déploré l’éviction des cadis de ces problématiques, remarque niée par Taslima Soulaïmana qui a affirmé que, même si ce n’étaient pas officiel, ceux-ci continuent à jouer un rôle important de médiation à Mayotte. « Souvent, les femmes victimes de violences conjugales ont davantage tendance à se tourner vers eux que vers la police ou la gendarmerie pour des raisons culturelles et ils se révèlent très précieux dans leur rôle de médiation », a-t-elle déclaré.
La conférence s’est conclue par le visionnage d’un court métrage intitulé « J’ai cessé de battre ma femme », réalisé par l’association martiniquaise « Elles aussi ». Ce film mettait bien en exergue l’engrenage de la violence au sein des couples, souvent motivée par la jalousie et les représentations traditionnelles de ce que doit être la virilité, à savoir une domination de l’homme sur la femme sous peine d’être traité de « macumé » (« homosexuel » en créole martiniquais). « Il y a encore une très forte inégalité des rôles sociaux dans nos sociétés », explique Fred Galva, « la prise en compte de l’enfance des auteurs est également essentiel », poursuit-il. Dans le film, on entend en effet l’auteur déclarer « quand j’étais petit, ma mère ne sortait jamais de la maison, elle n’avait pas le choix ! ». Ceci peut , si ce n’est justifier, au moins expliquer sa rage à la vue de sa femme libre de sortir à sa guise de la maison, générant en lui des soupçons d’infidélité qui ont finalement débouché sur des violences. « Ce film montre bien l’appropriation du rôle social que lui attribue son genre, le poussant à la domination et faisant le nid de la violence », explique le psychologue martiniquais. Ce dernier affirme également que les femmes qui perpétuent des violences, souvent homosexuelles, ont également intériorisé ces principes de virilité, d’où pour lui la nécessité de briser ces représentations génératrices de violences.
Nora Godeau