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Foncier à Mayotte : La loi Letchimy, une innovation législative « qui reste difficile à appliquer »

Le Conseil Supérieur du Notariat a organisé le 10 janvier dernier, à son siège parisien, un colloque portant sur les avancées permises par la mise en œuvre de la loi Letchimy. Y étaient notamment présents le ministre délégué chargé des Outre-mer, Jean-François Carenco, la présidente de la Commission d’Urgence Foncière de Mayotte, Bertheline Monteil, ainsi que le sénateur Thani Mohamed. Ce dernier revient sur les enjeux de cette demi-journée de travail.

« C’est l’ensemble du notariat français qui s’est emparé de la problématique du foncier dans l’outre-mer et notamment de la problématique de l’indivision successorale ». Le sénateur Thani Mohamed, ayant participé au colloque du Conseil Supérieur du Notariat (CSN), s’est félicité de l’organisation de ce temps d’échanges aux allures de points d’étape concernant l’application de la loi Letchimy du 27 décembre 2018.

Le sénateur Thani a apporté des éclairages concernant les échanges qui se sont tenus

De l’unanimité à la majorité simple, l’avantage de la loi Letchimy

En 2016, se remémore le sénateur, « nous avions fait le constat, dans un rapport d’information de la délégation sénatoriale à l’outre-mer, du caractère inextricable des indivisions successorales dans les outre-mer. Pour y remédier, nous avions émis la préconisation de modifier la loi pour passer à une règle de simple majorité au lieu de l’unanimité des indivisaires ». Antérieurement à cette loi, il n’était pas possible de vendre ou de partager un bien sans l’unanimité des héritiers. L’objectif alors affiché par cette dernière a été de relancer le marché immobilier dans les territoires ultra-marin où les biens immobiliers présents dans les successions en indivision prennent plusieurs générations à être réglées. Ainsi depuis 2018, le règlement des indivisions est rendu possible à partir du moment où 51 % des propriétaires du bien concerné sont d’accord entre eux.

L’expérience pratique des notaires pointent des difficultés

« Les notaires ont souhaité faire un premier bilan pour savoir où en est la loi et si des marges d’évolution sont possibles car ce sont eux qui doivent convoquer les indivisaires et trouver les solutions», fait remarquer le sénateur Thani. Les multiples intervenants auront fait le constat qu’il s’agit « d’une bonne loi » ayant permis « d’innover » en « dérogeant aux règles du code civil » en raison du caractère insoluble de la problématique de l’indivision dans les territoires ultra-marin. Néanmoins, précise le parlementaire, « c’est une loi qui reste difficile à appliquer car il faut connaître tous les indivisaires ». Autre écueil ayant été soulevé, selon lui, le fait de « notifier à tous les indivisaires, lorsque le notaire procède au partage, l’acte notarié y compris à ceux qui n’étaient pas favorables ».

La situation a Chiconi se révèle être inouïe

Prenant l’exemple de Mayotte, il tient à illustrer son propos : « les personnes concernées par le bien peuvent être nées dans une même famille mais présentes dans plusieurs villes différentes, en métropole, à La Réunion, à Madagascar ou encore aux Comores ». La difficulté prend une nouvelle tournure lorsque les successions n’ont pas été ouvertes alors même que les propriétaires sont décédés depuis des années. Certaines situations se révèlent être véritablement kafkaïennes, à l’instar de la commune de Chiconi. « Les deux tiers de la commune tiennent sur deux titres de propriété seulement […]. Depuis lors, les indivisions ont continué à s’amonceler sur les mêmes titres », constate le parlementaire.

Inciter les personnes concernées à régulariser les situations foncières

En outre, malgré la présence de cette loi, le sénateur note que « les personnes se complaisent dans une situation d’indivision voire ne payent pas d’impôts ». Or fait-il remarquer, « il faut savoir que ces parcelles de terres occupées ne sont pas assujetties aux impôts. Aujourd’hui, 70 % du foncier à Mayotte n’est pas titré, c’est un problème en matière de recettes fiscales pour les collectivités ». A ses yeux, il serait judicieux d’inciter ou d’obliger les personnes concernées, via des mécanismes à définir, à régulariser leur situation au regard de la loi Letchimy mais également conformément aux dispositions de la Commission d’Urgence Foncière (CUF) de Mayotte. Sur ce dernier point, il s’agit notamment de la procédure de prescription acquisitive. Les habitants qui sont sur un terrain sans titre peuvent se voir délivrer un acte de notoriété si la possession a été « continue, réelle, paisible, publique et non équivoque, et ce pendant trente ans ».

Ce colloque devrait permettre d’aboutir à de prochaines propositions législatives

Cette situation semble d’autant plus paradoxale dans la mesure où la CUF et la loi Letchimy offrent un certain nombre de démarches et procédures simplifiées censées faciliter les procédures. Ainsi concernant la CUF, note le sénateur, « on est dispensé des droits notariés car [elle] fait le travail que devrait normalement réaliser un notaire. Il n’y a donc pas beaucoup de frais à payer contrairement à une situation de droit commun ».

Des propositions législatives à venir pour faciliter l’utilisation de la loi

Selon le parlementaire, des propositions législatives devraient rapidement résulter des échanges issus du colloque. « Certes, reconnaît-il, on croule sous l’inflation législative mais si on essaye de régler les problèmes à droit constant, ce n’est pas possible. Il faut des textes dérogatoires, des textes particuliers. Et quand on applique ces textes on se rend compte qu’il y a encore des choses à améliorer ». Présent à cette rencontre organisée par le CSN, le ministre délégué chargé des Outre-mer, Jean-François Carenco, s’est montré selon le sénateur Thani, « ouvert à toute proposition qui pourrait aller dans le sens de l’amélioration du régime des titres fonciers ». Une gageure au regard de l’ampleur du labeur à réaliser à Mayotte puisque les parcelles répertoriées sans titre de propriété dans le département se chiffrent 80 000 ; situation dommageable pour les collectivités publiques qui se retrouvent limitées dans leur développement de projets structurants pour le territoire.

Pierre Mouysset

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