Datés de 2009 à 2011, les faits ont plus de 10 ans, et font partie de ces vieilles enquêtes qui arrivent tardivement devant le tribunal de Mamoudzou.
A l’époque, la SCEA Ferme de Kahani envisage la construction d’un abattoir à volailles à Kahani. Un projet qui n’est pas sans rappeler celui inauguré il y a quelques mois par la société AVM… Soit 10 ans après. Ironie de l’histoire, l’entrepreneur a été brièvement président de la toute jeune société AVM en 2017, avant de voir son mandat révoqué.
Ce projet ancien n’a donc finalement lui jamais vu le jour, mais il devait être convainquant sur le papier, puisque l’entrepreneur a obtenu diverses subventions pour le mener à bien. Il s’était notamment fait établir une « fausse facture acquittée de fourniture de matériel » par la société Alvaro, spécialisée dans la construction d’abattoirs, pour un montant de presque 61 000€. Somme jamais versée à la société métropolitaine. Si la gérante de cette dernière était poursuivie pour « faux », ayant signé cette facture falsifiée, le Mahorais l’est lui pour avoir « détourné des subventions versées par l’Etat et le conseil général de Mayotte » selon les conclusions du juge d’instruction en charge de l’affaire.
Selon l’enquête, le chef d’entreprise aurait aussi entre-temps vendu le site concerné par le projet d’abattoir sans en avertir ses financeurs, empêchant « l’Etat et le Conseil général de prendre toutes les dispositions nécessaires aux fins d’obtenir en temps utile le remboursement des subventions versées ».
A l’issue d’un long procès qui s’est tenu ce mercredi, plusieurs questions restent en suspens. L’avocate de la société métropolitaine s’interroge notamment sur l’absence de l’Etat et du Conseil Départemental, qui ont perdu des dizaines de milliers d’euros, et ne se sont pas fait représenter au procès. « C’est notre argent ! » s’insurge la juriste.
Les réquisitions, 10 000€ d’amende dont 8000 avec sursis pour l’homme et autant pour sa société, semblent également bien éloignées des sommes supposément détournées et disparues. La métropolitaine, qui aurait simplement signé une facture « pensant bien faire », s’est vu requérir 200€ d’amende avec sursis, à titre « symbolique ».
Ambiance délétère entre avocats
Mais ce qui aura le plus marqué l’audience, c’est le crêpage de chignon entre les deux avocates de la défense : Me Mattoir pour l’entrepreneur mahorais et Me De Prato, du barreau de Nîmes, pour la métropolitaine.
Cette dernière a en effet appris en arrivant au tribunal -après une nuit d’avion avec sa cliente- que sa consœur mahoraise demandait un renvoi. Toutes deux s’accusant mutuellement de manquer à la déontologie des avocats dans un spectacle qui tranchait avec l’ambiance confraternelle et habituellement feutrée du palais de justice.
« Je suis respectueuse du droit de la défense, mais je dois dire que farouchement je vais m’opposer à cette demande de renvoi que j’estime totalement dilatoire, s’est exclamée Me De Brito à la barre. « Nous sommes dans un dossier d’information judiciaire ouverte en 2013, Me Mattoir était dès 2015 constituée » poursuivait-elle, estimant que sa consœur avait eu le temps de connaître le dossier. Me Mattoir et son associé Me Ibrahim arguant quant à eux que c’était à la Nîmoise de les contacter avant de venir sur le territoire. Une passe d’arme qui a conduit la présidente à recadrer Me Ibrahim. « Ca serait bien de changer de ton quand vous vous adressez au tribunal » l’a-t-elle tancé. Laquelle présidente a fini par se ranger de l’avis de la procureure Sarah M’Buta qui s’opposait au renvoi demandé par Me Mattoir, ouvrant la voie au procès durant lequel l’ambiance n’était guère retombée.
Sans doute soucieux de prononcer sa décision dans une atmosphère dépassionnée, la juge a renvoyé son jugement au 10 novembre prochain.
Y.D.