L’adolescent à Mayotte : quel héritage, quelles perspectives ? Il s’agissait du thème de la journée organisée par la Maison des Adolescents (MdA) le vendredi 30 octobre à Dembéni. Réunissant plusieurs intervenants de différents horizons, l’évènement se voulait être un moment de réflexion et de partage de pratiques professionnelles.
Combo Abdallah Combo, sociologue rattaché à l’Institut Régional du Travail Social (IRTS), a d’abord offert une perspective historique sur les places et les rôles de chacun dans l’organisation familiale à Mayotte. Des acteurs traditionnels que sont par exemple les cadis, les fundis et le dago (village), aux acteurs plus récents que sont la Protection de l’enfance, la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ) et les associations, celui-ci a mis en lumière l’évolution profonde qu’a connue la société mahoraise. Pour lui, il s’agit de responsabiliser chacun de ces acteurs, et de mettre en place un travail de recherche afin d’obtenir une base de donnée fiable, permettant de réellement réfléchir au devenir des adolescents.
Anouoiri Chanfi, membre du Conseil cadial de Mayotte, a ensuite passé en revue les références éducatives de la culture mahoraise, insistant sur le rôle de la religion et sur les valeurs essentielles que celle-ci transmet aux jeunes. « La réussite d’un peuple, d’un pays, d’une communauté, dépend de son appareil éducatif », a-t-il martelé. « Lorsque nous ne savons pas où l’on va, il faut retourner d’où l’on vient. »
« A l’école coranique, on nous apprend à réciter, pas à comprendre »
La discussion étant ouverte au public, les questions et remarques ont fusé. « Comment est-on arrivés à un tel désir de violence chez certains jeunes à Mayotte ? », « Les professionnels doivent-ils d’abord s’occuper des adolescents ou de leurs parents ? », « La difficulté d’être ado à Mayotte n’est-elle pas liée au paradoxe entre valeurs traditionnelles et modernes ? »
La place de la religion a particulièrement touché l’auditoire. « Vous parlez de l’islam comme d’un ensemble de valeurs-refuges vers lequel il faudrait se retourner pour trouver une solution aux problèmes de l’adolescence à Mayotte. Mais qui connait ces valeurs ? J’ai fait dix ans d’école coranique et c’est la première fois que j’entends parler de ce que vous évoquez. On nous apprend à réciter, pas à comprendre. » a témoigné une jeune femme. « N’y a-t-il pas un décalage entre l’islam à Mayotte et les enjeux actuels ? » a renchéri une autre.
Elie Letourneur, psychologue à la MDA, a ensuite offert un aperçu de la diversité de la clinique adolescente à Mayotte. « Je vais vous raconter l’histoire d’un garçon, appelons le Georges… » a-t-il commencé avant de retracer le parcours de deux de ses jeunes patients, entrainant l’auditoire dans son quotidien de clinicien. « Il existe un chevauchement entre la culture communautaire et la culture occidentale. » a-t-il analysé. « Pour moi ce mouvement lié à la départementalisation, au mélange des influences, risque de maintenir les ados dans le trouble si on leur dit qu’ils doivent choisir entre toutes ces valeurs. »
« Il n’existe a pas de mot pour dire adolescence en shimaore », a alors rappelé Combo Abdallah Combo. « Comment parler de quelque chose qu’on ne peut pas nommer ? ». « Le concept même d’adolescence est un concept occidental », a approuvé Elie Letourneur. « Dans une société où l’on passe directement de l’enfance à l’âge adulte, comment faire comprendre cette idée aux parents ? C’est à nous tous, travailleurs sur ce territoire de garder nos distances avec nos propres représentations. »
Enfin, l’anthropologue Mohamed M’Trengoueni a proposé une réflexion sur les enjeux de transmission intergénérationnelle autour du statut d’adolescent. « Sans cet ensemble de garde-fous que l’on appelle valeurs, il est impossible de faire société », a-t-il insisté.
À la sortie, le débat s’est poursuivi entre spectateurs et intervenants. «C’est absolument passionnant », s’est enthousiasmée une auditrice. « Pour les primo arrivants à Mayotte c’est une mine d’informations, de compréhension des mutations que la société mahoraise vit depuis 40 ans ».
Marine Wolf