Comme pour l’immigration clandestine où nous n’avons d’yeux que pour les arrivées, en oubliant les départs, la déforestation nous fait oublier le gain en végétalisation du territoire. C’est le premier point de l’étude de la Direction de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Forêt (DAAF) qui porte sur une comparaison dans le temps sur une zone réduite du territoire (4 km x 3 km), englobant les terroirs de Tsararano, Ongojou et Dembeni.
Pas beaucoup de choix à Mayotte où la période de comparaison 1950-1989, a été déterminée par l’existence d’images prises par avion. Par contre, en 2015, il s’agit d’images satellitaires de la constellation Pléiades, d’une précision de 0.5 m, « capable de fournir une analyse fine de la végétation », précise la DAAF.
Sur les 3 dates, les surfaces inhérentes aux 6 catégories de couvertures ont été calculées, retracées dans le tableau joint. En renfort des photos, la DAAF a pu compiler des témoignages, « en particulier, il faut remercier Mr M’Kouboi Ali, 86 ans, du village de Tsararano ».
Le sol nu reverdit
Comme le montre le tableau, il apparait nettement que les surfaces en sol nu ont fortement régressé depuis 1950. Pour la DAAF, c’est le résultat des politiques d’interdiction des « écobuages » et de reforestation des padzas avec Acacia mangium (plante pionnière importée d’Australie). « Cette essence forestière a démontré son efficacité pour limiter l’érosion, même si aujourd’hui elle est critiquée du fait de sa grande capacité de dissémination et de la lente décomposition de ses résidus en matière organique. L’ONF tente maintenant de la remplacer par des espèces indigènes ».
Mais si d’un côté, des sols nus se sont reboisés, parallèlement, et pour des raisons différentes, des villages entiers se sont créés, faisant passer les surfaces bâties de 5ha en 1950 à 127 ha en 2015.
Par exemple, le village de Tsararano n’existait pas en 1950. « Il est né vers 1985 de la volonté de l’administration de regrouper 3 anciens villages en bord de route sur le lieu actuel et ainsi faire des économies de voiries d’accès. Il s’agissait des villages de Mavingoni (habitants originaires de Madagascar et Anjouan) au sud de l’actuel village, et au nord, de Songoro Mbili (Anjouanais ayant acheté les terres) et Bangweni (originaires de Sada). »
Recul de la forêt primaire
« Le village d’Iloni, qu’on voit aussi apparaitre sur la carte de 1989, est lié au déplacement pour cause de paludisme de la population d’un ancien village situé en bord de l’actuelle plage du même nom. »
Les comparaisons ne font qu’entériner le constat que la DAAF juge inquiétant, visible sur la carte de 2015, de « l’implantation anarchique de bangas dans les campagnes, qui crée un mitage du paysage au mépris de la loi Littorale, qui interdit de construire en dehors des villages. » Surtout qui se fait à un rythme accéléré.
Passant de 688 ha à 556 ha, le recul de la forêt d’origine est plus net encore dans la zone sud si on fait abstraction de la reforestation des padzas sur Tsararano et Dembéni.
Le « Jardin Mahorais », petits espaces cultivés de manioc et de bananes, fait reverdir un tant soit peu les espaces, mais au prix de forte déforestation. Pas toujours au détriment de l’infiltration des eaux de pluie quand ils sont plantés sous couvert d’arbres fruitiers comme les manguiers, jaquiers, arbres à pain et cocotiers. Ces surfaces ont progressé de 272 ha à 340 ha, soit +25% entre les 2 dates.
De la canne à sucre à la banane
Toujours sur cette période, les cultures en zone de plaine ont été complètement modifiées. Ainsi, la plaine de Tsararano a connu un bouleversement radical dans les an- nées 1960 et 70. « En 1950, excepté les bordures de rivière peuplées de bambous et quelques palmiers Phoenix sur la partie Est, toute la plaine parait complètement nue. En effet, après l’arrêt de la culture de canne à sucre au début du 20ème siècle, la famille Fevez, propriétaire de l’ensemble des terres alluviales de la rivière Dembeni, s’est lancée dans la production de citronnelle, qui était transformée en huile essentielle dans son usine de Dembeni. La culture de sisal est également pratiquée dans le coin ouest de la plaine. »
Sur l’image de 1989, ce paysage a déjà complètement changé, avec un morcellement important des grandes parcelles, l’apparition d’une végétation de taille moyenne (bananes, agrumes, etc.) et l’implantation de parcelles maraichères.
Et sur l’image de 2015, on constate le maintien de la bambouseraie de bord de cours d’eau et l’existence de parcelles maraîchères. La végétation a pris de l’ampleur et il reste encore quelques prairies pâturées (entre le nouveau marché et la station d’épuration), importantes dans le cadre de la préservation d’un oiseau rare et menacé, le crabier blanc.
Les arbres en protecteur des récoltes
Comme en métropole, l’évolution sociale conditionne les modes d’occupation de l’espace, en déduit la DAAF, mais aussi, l’évolution législative, qui impacte sur les coûts de la main d’œuvre, et qui induit des changements de culture. « Peut-on pour autant en tirer des hypothèses pour l’avenir ? », s’interroge le service de l’Etat.
La disparition des grandes exploitations dont l’objectif était la culture de rente (canne, citronnelle, sisal puis ylang) a laissé place à l’installation de petits paysans qui ont modifié radicalement le paysage : les grands champs ouverts de fond de vallée se sont végétalisés sous l’effet de la mise en place de cultures vivrières et maraichères, créant une biodiversité qui n’existait pas dans la phase précédente. De même, les grandes surfaces boisées ont été défrichées pour mettre en place le modèle dit « du jardin mahorais » ou cohabitent plus de 15 espèces par hectare. « Au final, avec la reforestation des padzas, la surface occupée par les ligneux (les arbres) n’a pas baissé autant qu’on l’imagine, mais c’est une végétation ligneuse éparse qui s’est mise en place, protégée par le fait que les exploitants mahorais y cultivent leurs plantes vivrières ».
Toutefois, avec le vieillissement de la population agricole, la généralisation de la double-activité où l’agriculture n’est qu’un appoint aux revenus et le recours important à une main d’œuvre extérieure informelle qui n’a pas le souci d’une exploitation en « bon père de famille », on voit apparaître des surfaces en monoculture de manioc pour la vente, qui ne supporte pas de cohabiter avec les arbres. L’extension de ces surfaces constitue une menace importante du fait des phénomènes érosifs qu’elle provoque et de leurs conséquences sur la biodiversité terrestre et marine.
La DAAF appelle à utiliser les technologies de pointe (drones, images satellitaires de haute précision) « dont le coût de mise en œuvre est raisonnable. Il est donc aujourd’hui possible de suivre et de quantifier à l’échelle de l’ensemble de l’île l’évolution des pratiques agricoles afin d’agir à temps au bon endroit pour limiter celles qui ont un impact négatif ».