Après avoir sanctionné il y a 15 ans, pour ses irrégularités, le parfumeur Jean-Paul Guerlain qui régnait sur la filière ylang à Mayotte, l’Etat a décidé de la relancer par là où elle avait chuté : les coûts de la main d’œuvre.
Celui dont la réputation de « nez exceptionnel » avait amené à Mayotte en 1995 pour exploiter l’ylang-ylang, en était reparti dans les années 2000 après un contrôle de la Direction du travail (la DTEFP à l’époque) : une trentaine de cueilleuses en situation irrégulière avaient été contrôlées sur son exploitation de 20 hectares à Combani. Il s’était défendu en arguant de la difficulté à trouver des travailleurs saisonniers régulier, surtout plus cher, et avait claqué la porte sur son expérience mahoraise.
A l’époque, Mayotte pouvait exporter prés de 20 tonnes d’essence d’ylang… un âge d’or qui ne conservera comme trace que le parfum « Mahora » de Guerlain, puisque nous n’exportons quasiment plus.
Car depuis, le SMIG n’a cessé de converger vers le SMIC métropolitain, posant le problème du rendement de ces exploitations agricoles. Pour contrer la main d’œuvre moins chère en provenance des îles voisines, la DAAF propose de compenser les surcoûts en passant par un acteur qui a des compétences dans ce domaine, l’Europe.
Les ylangières, de vielles dames
Mais pour convaincre Bruxelles, il faut avant tout structurer la filière, et ça, à Mayotte, c’est compliqué. L’enquête menée sur le terrain traduit en effet plusieurs difficultés.
L’objectif est de faire vivre « plus d’une centaine de familles agricoles, sans compter les emplois induits ».
Ont été enquêtés 76 exploitants pour 82 parcelles et 116 ha, dont 10% ne faisaient pas partie des déclarants 2016, qui sont déjà en dessous de la réalité. Le potentiel est donc important en terme de surface d’exploitations.
87% des parcelles sont accessibles par un engin de type 4X4, avec toutefois de grosses difficultés potentielles dans 31% de ces cas. A contrario, 14% ne sont accessibles qu’à pied, ce qui va poser problèmes si ces exploitants voulaient adhérer à la vente de fleurs et au système de collecte organisée.
L’âge des ylangières varie de 6 mois à 60 ans, avec une moyenne de 32 ans et leur densité avoisine 400 arbres à l’ha. 60 ans un bel âge pour un ylang ! Mais s’ils peuvent encore correctement produire jusqu’à prés de 60 ans, il va falloir lancer rapidement un programme de nouvelles plantations, pour ramener l’âge moyen autour de 15 à 20 ans.
Tout dépend du prix
L’entretien est correct sur 95% des plantations, « 56% des arbres sont en excellent état ». Mais l’optimisation de la production appelle à retailler les ylangs, ce que la moitié des propriétaires sont enclins à faire. En terme de productivité, 44% des arbres ont un potentiel de fleurs de plus de 2 tonnes/ha, 85 % peuvent produire plus de 1,5 t. La DAAF en tire une première conclusion : « L’extrapolation conduit à 4,8 à 5 tonnes d’Huile Essentielle complète, qu’il est possible de produire immédiatement, en situation de reprise massive de la cueillette. »
Un défi qui ne peut être relevé sans l’implication forte des producteurs : « 94,7% des exploitants interrogés déclarent avoir envie de poursuivre ou reprendre leur activité de producteur d’ylang, à condition que le prix devienne attractif. A la question sur l’effort de replantation pour lequel ils pourraient investir, les 3/4 s’en disent prêts, au moins en remplacement des pieds chétifs ou morts. Les autres (27%) sont généralement trop âgés, sans espoir de reprise, pour le faire. »
Un cofinanceur au parfum
En matière de mutualisation, ça coince : les deux tiers des exploitants veulent rester autonome en continuant à cueillir par eux-mêmes. Il va donc falloir travailler avec les autres pour mettre en place un service de livraison automatique à la distillation. Ce qui pourrait ensuite, en intéresser d’autres.
Les 32/73 ayant déclarés vouloir continuer à distiller ont les surfaces parcellaires les plus grandes (2 ha en moyenne) et représentent 57% de la production, soit 2,4 tonnes d’Huile Essentielle en production d’aujourd’hui. Pour autant, les 30 alambics visités sont dans un état variable : 23% sont en très bon ou bon état et 15% sont en mauvais état ou hors d’usage, ce qui réduit d’autant les velléités à distiller par eux-mêmes.
93% des enquêtés ont déclarés être favorables à une adhésion à une structure collective, association ou coopérative. Mais, seulement 13% ont envie de prendre des responsabilités dans cette structure. 89% estiment pouvoir pérenniser leur exploitation.
En conclusion, si dans l’immédiat, la DAAF estime la production grâce à une distillation mutualisée à 1,8 tonnes d’huile essentielle, il reste à trouver le préfinancement pour ces fonds européens qui pourraient prendre en charge 100% du financement des techniciens d’encadrement, et 75% des investissements. Des acteurs privés vont être recherchés.
A.P-L.
Lejournaldemayotte.com