« Exaspération », « irresponsabilité », « inconséquence »… ce sont les mots les plus entendus parmi cette foule d’élus et d’anonymes, en réponse à un appel qui l’était tout autant.
Le rassemblement était prometteur, il le fut. Avec une affluence que Mayotte n’avait pas connu depuis la manifestation de 2011 lors du décès d’El Anziz. On savait que l’insécurité était un thème fédérateur, on ne se doutait pas à quel point l’exaspération allait inciter la population à descendre dans la rue.
Toutes communautés confondues, les habitants ont dit leur ras le bol des agressions et des violences, « Mayotte, la France qui souffre », pouvait-on lire sur une pancarte, ou « Stop à la violence, les vols qui amènent à tuer des innocents ».
Beaucoup de maires étaient présents, ceints de leur écharpe tricolore, pour évoquer le décès de ce père de famille de 38 ans bien sûr, mais aussi les violences à répétition, comme celles de Doujani-Cavani : « Face à cet enchaînement d’actes intolérables, nous demandons le classement de Mayotte en Zone de sécurité prioritaire pour mettre des moyens en adéquation avec les besoins. Ce ne sont pas des médiateurs qu’il nous faut, mais nous aider par exemple à accroitre notre effectif de police municipale », nous lance Anchya Bamana, maire de Sada, entourée de
Le président du département : « Nous avons notre part de responsabilité »
L’appel à manifester n’a toujours pas été officiellement revendiqué, une tête de cortège s’est formée malgré tout, drapeaux français en main, pour se rendre à la préfecture. Devant les grilles, les enfants de l’école « Je veux savoir », ont entonné une Marseillaise.
Les élus du département, en réunion pour évoquer le suivi de programmation des fonds européens avec des commissaires européens, ont décidé d’interrompre et de se joindre au mouvement.
Le président Soibahadine Ramadani nous a tenu un discours franc : « Face à l’insécurité et les dérives inquiétantes, nous avons une part de responsabilité. Nous devons améliorer la prise en charge des enfants et travailler sur la médiation, notamment avec notre corps cadial ici présent. » S’il rappelle que la sécurité est le domaine de l’Etat, il confirme ce qu’a annoncé hier le préfet Seymour Morsy : « Nous travaillons main dans la main avec l’Etat sur une feuille de route unique, notamment sur la mise en place d’un Centre d’hébergement pour mineurs. Nous avons budgétisé au titre du Plan pluriannuel d’investissement 25 millions d’euros de réhabilitation de plateaux sportifs. »
Autour de 6.000 personnes
Difficile de chiffrer le nombre de manifestants, même les syndicalistes en restaient muets. On pourrait évaluer entre 6.000 et 8.000, mais il est compliqué de suivre un cordon qui s’étire de la préfecture à la place de la République. Surtout que faute d’organisateurs réels, une partie est descendue par la mairie quand d’autres partaient vers le conseil départemental.
Si l’unité domine, certains lancent des petites piques, « on n’aurait jamais eu une telle manifestation si ça n’avait pas été un mzungu », ou à l’inverse « si ça n’avait pas été un mzungu, le couteau n’aurait pas été planté dans le cœur. » En dehors de ces réactions marginales, l’ensemble parle unanimement d’une goutte d’eau qui fait déborder un vase commun.
L’homme le plus optimiste du cortège, c’est celui qui râle le plus fort contre les élus : Julien Gauquelin, initiateur de l’association AJKE de Kawéni, qui vit parmi les jeunes et travaille au collège K1 : « Sur 1.400 élèves, environ 5 sont réellement violents. Il suffit de mettre en place les outils pour les suivre. Pas plus tard qu’hier, j’en ai maîtrisé un qui allait lancé un caillou sur d’autres. S’il est viré, il va aller où ? Les élus doivent porter des projets rapidement, de centre d’accueil et la PPJ doit arrêter de dire qu’il met en place des formations, c’est faux. C’est nous qui avons réinséré deux jeunes qui sont en train de s’en sortir. » Créer un cercle vertueux, même avec peu de jeunes au départ, c’est son objectif.
« Quand il aura mon âge… »
Une autre association de Kawéni, l’AJVK était aussi représentée par Scott son président, qui livre son témoignage : « La victime, Christophe, ça aurait pu être mon père. Je partage la souffrance du petit car quand il aura mon âge, il se dira qu’il a vu mourir son père sans avoir rien pu faire. J’ai pas pu dormir vendredi soir. A sa place, je n’aurais plus envie de vivre à Mayotte, je lui adresse toutes mes condoléances. » Abattu parce qu’un travail était fait pour calmer ce quartier et redorer son image…
Si les élus étaient souvent montré du doigt, l’Etat aussi bien sûr, pas seulement pour sa compétence en matière de sécurité, amis aussi de maitrise de flux migratoire, comme le pointe Bacar Ali Boto, 1er adjoint au maire de Mamoudzou : « Tout le monde est en danger, quelque soit son statut social. La balle n’est plus dans le camp du préfet, mais dans celui du gouvernement. La vidéo surveillance que nous allons mettre en place ne va pas changer grand chose. Le problème vient des immigrés clandestins qui sont en survie ici, pour se nourrir, pour dormir. Ce sont nous les citoyens qui en supportons les charges, alors qu’un statut de réfugié leur permettrait de répondre à leur besoins primaires. »
Et après ça ?
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte