A observer les péripéties des intercommunalités nord et sud, on en arrive à se demander comment celles d’ouest et d’est ont fait pour s’entendre, pour Petite Terre en binôme expérimenté, ce fut plus facile.
Nous n’allons pas revenir dans les détails des avancées et des renoncements dans le sud. Simplement, il faudra se souvenir que la politique de la chaise vide, des conseillers communautaires de Bandrélé et Bouéni, privant l’assemblée de quorum, avait sonné le glas de l’entente, et n’avait permis qu’une élection symbolique.
Les deux conseillers dissidents de Bandrélé qui avaient rejoint Chirongui avaient été viré manu militari et remplacé dès le lendemain par leur maire, une permutation illégale, qui ne pouvait qu’entacher de nullité la nouvelle élection du bureau. D’ailleurs il y en eut deux, une avec les anciens conseillers, l’autre avec les nouveaux. Deux bureaux pour une même interco, deux mandats de dotation auprès du payeur, « de toute ma carrière, je n’ai jamais vu ça ! », s’exclame au téléphone Farida Boubakeur, Directrice des relations avec les collectivités locales.
Le tribunal devra trancher
Elle a saisi la Chambre régionale des comptes pour y voir plus clair, sans compter que le conseil d’Etat doit se prononcer sur l’invalidation des conseillers de Bouéni…
Une des deux intercommunalités du sud a malgré tout continué à avancer, en se basant sur l’élection, même symbolique, tenue en présence de 15 conseillers sur 30, « la notion de quorum n’est pas un élément du code électoral », revendique-t-on là-bas, en déclarant que toute décision, y compris en terme de vote de budget, est exécutoire tant que le juge n’a pas rendu son verdict. « Mais elle est illégale », soutient Farida Boubaker.
La balle est donc dans le camp du tribunal administratif qui devra trancher. Mais en attendant, les communes se seront mises en difficulté.
La communauté de communes peut compter sur deux ressources : la fiscalité des administrés et la dotation globale de fonctionnement de l’Etat. La première est calculée par les services fiscaux en prenant le taux moyen pondéré des taux nationaux. Ce qui ferait une recette fiscale de 2,17 millions d’euros pour l’interco du sud.
Les habitants vont voir rouge
C’est un chapitre qui va intéresser de prés la population. Les habitants risquent de voir rouge en voyant double : ils devront payer une taxe d’habitation à la commune et une à l’interco. Pareil pour la foncière.
Quand on voit ce qu’ont donné les taux à Tsingoni et Koungou, il y a de quoi s’inquiéter. « Lorsque des charges sont basculées de la commune vers l’interco, la première devra baisser d’autant ses taux et la seconde les augmenter, pour ne pas impacter davantage le contribuable », précise Farida Boubakeur. Mais qui va le contrôler ? « Les élus », nous répond-on, comme pour enfoncer le clou… On se prend à rêver d’une tutelle sans fin de la préfecture ou à vie à la Chambre régionale des comptes…
En réalité, et pour ne pas plomber les ménages, les élus peuvent voter des taux plus bas, surtout lors de la 1ère année, ce qu’ils auraient l’intention de faire.
Quant à la deuxième ressource, la dotation globale de fonctionnement de l’Etat, les interco n’en percevront que la moitié cette année 2016. Soit pour le sud, 464.135 euros selon la préfecture, 572.673 euros selon la communauté de commune du sud, corroborés par le site gouvernemental des dotations, mais dont elle est privée, n’ayant pas voté le budget avant le 15 avril… Elle n’est pas la seule, puisque dans le grand nord de Mayotte, ça n’est pas plus gai.
« Mitterrand était de Jarnac »
Là, on est carrément très en retard, puisqu’en dehors de Koungou, aucune des trois autres communes, Bandraboua, Mtsamboro et Acoua, n’ont encore élu leurs conseillers communautaires. Et c’est la fronde : « Nous avons adressé au préfet une demande de reparamétrage de l’interco nord », nous explique un élu. Qui exclurait Koungou au motif que son maire revendique la présidence de l’intercommunalité, lui qui préside déjà le syndicat de collecte et de traitement des déchets, le SIDEVAM 976.
« Nous mettrons chaque année 4 millions d’euros au pot de la communauté de communes, soit 8 à 9 fois plus que les autres, c’est normal qu’on la préside », nous explique-t-on à Koungou. « François Mitterrand était de Jarnac », répondent les autres, « ce n’est pas la commune qui contribue le plus au développement du pays ! »
Surtout que dans la notion d’intercommunalité, prévaut l’entente et le consensus. C’est donc le porteur de la meilleure vision pour le territoire qui doit la présider. Faute d’avoir compris ça, c’est de 1,019 millions d’euros de dotation dont se prive le nord, et de 6,63 millions d’euros de revenus fiscaux (toujours selon les standards nationaux de la préfecture).
Un petit espoir pourrait venir d’un délai supplémentaire si les communes arrivent à s’organiser d’ici la fin de l’année, « même si le budget est de toute façon réglé par la Chambre régionale des comptes, elles pourraient bénéficier au moins de leurs recettes fiscales, que nous avons récupérées après leur avoir avancées », explique-t-on du côté de la préfecture.
Pour les communes nord, entrées dans une zone de fortes turbulences, le paradis intercommunal n’est pas encore gagné.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte