En novembre dernier, le groupe parlementaire La France insoumise – Nouveau Front Populaire (LFI-NFP) avait demandé l’abrogation de la réforme des retraites portée par le gouvernement. Ce jeudi 6 février, la proposition de loi du groupe de la Droite républicaine (DR) visant « à renforcer les conditions d’accès à la nationalité française à Mayotte » a été débattue, huit semaines après le passage dévastateur du cyclone Chido sur le 101ème département français. L’examen de ce texte a fait l’effet d’une bombe, tant sur le fond que sur la forme. À 9h du matin à Paris, à l’heure du débat de l’examen de la proposition de loi, l’hémicycle était presque vide, faisant dire à la députée socialiste, Colette Capdevielle, que les députés préféraient aller à la piscine, plutôt que de parler de Mayotte.
Un texte pour durcir les conditions d’accès à la nationalité française à Mayotte
Le texte examiné vise à durcir les conditions d’acquisition de la nationalité française pour les enfants nés à Mayotte en renforçant la loi du 10 septembre 2018 défendue par l’ancien sénateur mahorais Thani Mohamed Soilihi, désormais secrétaire d’Etat à la Francophonie et aux partenariats internationaux. En 2018, Thani Mohamed Soilihi avait obtenu qu’un enfant né à Mayotte ne puisse accéder à la nationalité française qu’à condition qu’au moins un de ses parents ait été présent sur le département de manière régulière et continue trois mois avant sa naissance. Les Républicains, soutenus par le gouvernement, proposent désormais d’étendre cette durée à un an et d’impliquer les deux parents dans le processus, pour « lutter contre les reconnaissances frauduleuses de paternité », a répété à plusieurs reprises le ministre de la Justice, Gérald Darmanin. Le député Philippe Gosselin, rapporteur de la proposition de loi, justifie cette mesure par l’argument selon lequel une majorité de la population à Mayotte est d’origine étrangère et « souvent en situation irrégulière. » Selon lui, cette pression migratoire engorgerait les services publics et perturberait la vie économique de l’île.
« Aucune étude n’a évalué l’efficacité de la loi de 2018 »
Au début de l’examen de cette proposition de loi, la députée du groupe Écologiste et Social, Dominique Voynet, est montée au créneau. « Pourquoi adopter une nouvelle législation sans évaluer la précédente ? Aucune étude sérieuse sur la réforme de 2018 n’a été menée pour justifier un réexamen de cette loi. Pourtant le Sénat appelait à la constitution d’un rapport sérieux sur cette loi », a-t-elle déclaré à propos de l’intérêt de durcir une loi dont les impacts n’ont pas pu encore se mesurer. « Les observateurs ont même dit que l’outil législatif n’a pas eu d’impact sur la pression migratoire », a soutenu la députée du groupe Socialistes et apparentés, Colette Capdevielle. D’après la députée, en l’absence de données sur les conséquences de la loi de 2018 sur la pression migratoire, il n’y a « aucune raison de passer d’un délai de trois mois à un an pour accorder ou non la nationalité française à un enfant né à Mayotte de deux parents étrangers. » Plus encore, « aucune étude ne donne d’impacts du droit du sol sur la pression migratoire », a défendu un député LFI-NFP. En effet, on imagine mal comment pourraient se mesurer les effets de cette loi adoptée en 2018 sur l’acquisition de la nationalité française chez des enfants, où cet examen se fait à la majorité, puisque les enfants nés en 2018 n’auront que 7 ans cette année.
Une « brèche » xénophobe en arrière-plan
Mais rapidement, à mesure que l’hémicycle se remplissait, le ton est monté. « En plein chaos, vous vous attelez au sujet de l’immigration, l’éternel cible de tous les maux, « le bouc-émissaire » du cyclone et du 101ème département français », s’est exclamée l’ancienne ministre de l’Environnement, Dominique Voynet. « Les habitants ne viennent pas sur l’île dans l’espoir de devenir Français, mais pour accéder à des besoins fondamentaux, parce qu’ils ont faim, qu’ils ont besoin d’accéder à des soins de base, à l’eau potable et de travailler, souvent dans des conditions précaires et clandestines. », provoquant la colère de la droite. D’après la députée, cette proposition de loi ne fait que détourner l’attention des véritables défis auxquels le territoire de Mayotte est confronté et nourrit un discours populiste favorable à l’extrême droite. Près d’une heure et demi après le début de ces débats, la gauche s’enflamme contre « les suprémacistes blancs » qui osent tout dans une « logique coloniale », défend le groupe parlementaire La France insoumise – Nouveau Front Populaire. « Le gouvernement et la Droite républicaine sont obsédés par l’immigration, au point d’oublier les urgences sociales et humanitaires qui frappent le territoire », déclare Dominique Voynet, accusant le gouvernement de nourrir une « idéologie raciste » à travers ses propositions législatives. Elle affirme que ce texte, tout en étant présenté comme une réponse à l’immigration, ne fait qu’aggraver la situation auquel est confronté Mayotte après le passage de Chido, en stigmatisant une partie de la population et en détournant les priorités du territoire. « Plus un mot sur les soins, l’eau, la réhabilitation des écoles, des logements, et le nombre de disparus. Pour certains l’émotion aura duré quelques semaines, pour d’autres quelques heures », a-t-elle déploré. « Le droit au sol restera un pilier de notre République, pour l’ensemble de notre territoire. Ouvrir le droit du sol c’est ouvrir une brèche dans laquelle les idées d’extrême-droite s’infiltrent. C’est un texte indigne pour nos concitoyens », estime la députée socialiste Colette Capdevielle, reprenant les mots de l’ancien président de la République, Jacques Chirac, qui déclarait le 11 mars 2007 : « Ne composez jamais avec l’extrémisme, le racisme, l’antisémitisme ou le rejet de l’autre. Dans notre histoire, l’extrémisme a déjà failli nous conduire à l’abîme. C’est un poison. Il divise, il pervertit, il détruit. Tout dans l’âme de la France dit non à l’extrémisme. »
Derrière cette loi, la crainte d’une réforme constitutionnelle globale sur le droit du sol en France
De l’autre côté de l’hémicycle, le Rassemblement national a critiqué une mesure nécessaire mais encore « trop timide » face à la pression migratoire massive, en provenance des Comores. Si la présidente du groupe Rassemblement national, Marine Le Pen, a déclaré que son groupe allait voter cette loi, elle constituait cependant un « signal pas suffisant » pour « faire cesser cet appel d’air de l’immigration clandestine. » La députée de la 5ème circonscription des Pyrénées-Atlantiques, Colette Capdevielle s’est affligée : « Vraisemblablement, le ‘trumpisme’ a traversé l’océan Atlantique ce matin ! » et en déclarant que le texte débattu portait atteinte « au principe d’égalité de tous les enfants et des citoyens de la République » inscrits dans la Constitution française du 4 mars 1958. « Ce texte est un cheval de Troie pour remettre en cause le droit du sol en France, c’est une réforme constitutionnelle cachée », a soutenu la députée Écologiste et social, Sandrine Rousseau, ce à quoi la députée du Rassemblement national, Marine Le Pen a répondu : « Le droit du sol n’est pas dans la Constitution française. Par une simple loi, nous pourrions, et même nous devrions supprimer le droit du sol à Mayotte et sur l’ensemble du territoire national, et faire cesser cet appel d’air de l’immigration clandestine. » Interrogé par nos confrères de Réunion La 1ère, jeudi 6 février au matin, avant l’examen de cette proposition de loi, François Hermet, maître de conférences en Sciences économiques à l’Université de La Réunion, a dénoncé l’inefficacité de cette approche pour lutter contre l’immigration illégale. Selon lui, les motivations profondes des migrants restent liées aux inégalités de développement entre l’archipel de Mayotte et les Comores. L’accès à une vie meilleure, plutôt qu’à la nationalité, constituerait d’après lui, le véritable moteur de ces trajectoires humaines, coûte que coûte.
Après plusieurs heures de débats houleux, l’audience a été suspendue jusqu’à 21h30 (heure de Paris).
Mathilde Hangard