Le passage du Premier ministre à Mayotte le 30 décembre 2024 n’aura décidément pas été inutile. Il est aisé de toucher du doigt sur un petit territoire les effets de la pression migratoire. Notamment, sur l’accès aux services publics : les classes sont en rotation, c’est-à-dire que les élèves mahorais vont à l’école à mi-temps, le matin ou l’après-midi, l’hôpital est saturé, la prison surpeuplée, etc. Surtout, la pression migratoire empêche les mahorais d’accéder au droit commun, puisque les droits sociaux y sont de moitié de ceux du niveau national, par crainte « d’appel d’air », en témoignent les retraites qui se montent en moyenne à 700 euros et pour ceux qui ont cotisé toute leur vie. Ce qui incite ceux qui sont en poste à y rester et maintient le chômage des jeunes à son plus haut niveau. C’est pourquoi la population demande la levée de la territorialisation des titres de séjour, pour ouvrir la soupape de la cocotte minute.
C’est à ce titre que, interpellé sur sa déclaration d’une France qui approche d’un « sentiment de submersion » migratoire, François Bayrou se justifie, en expliquant que ses propos étaient fondés « sur la situation à Mayotte », mais poursuit en rajoutant, « et ce n’est pas le seul endroit de France (…) parce que toute une communauté de département français est confrontée à des vagues d’immigration illégale telles qu’elles atteignent 25% de la population ».
Accusé par les députés socialistes de « connivence » avec l’extrême droite, le Premier ministre répondait que l’immigration était « désormais une impasse, parce qu’il n’y a pas d’intégration (…) par le travail, par la langue et les principes ».
Déjà Michel Rocard…
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Une sortie punching-ball qui pourrait lui revenir en pleine face alors que le projet de loi de Finances 2025 doit être débattu ce jeudi en commission mixte paritaire (député et sénateurs) et qu’il a besoin des voies socialistes. On peut se demander si c’était le bon moment, l’avenir le dira. Mais on peut dire que le passage à Mayotte a décomplexé le discours de François Bayrou. La transposition du problème en métropole devait se faire un jour ou l’autre, c’est pourquoi nous avons toujours parlé de Mayotte comme un laboratoire pour la France.
Analyser les difficultés de la pression migratoire en soulevant l’absence de volonté d’intégration, c’est enfin ouvrir les yeux sur les quartiers chauds de Marseille, Paris où d’ailleurs, où les gangs font la loi et où les valeurs de la France n’ont pas été adoptées. Et ce n’est pas faire le jeu de l’extrême droite, mais au contraire lui couper l’herbe sous les pieds en étudiant la situation de manière cartésienne et dépassionnée.
Revenons plusieurs années en arrière, lorsque que le Premier ministre socialiste Michel Rocard s’était exprimé en 1989 à l’Assemblée nationale, « nous ne pouvons pas héberger toute la misère du monde. La France doit rester ce qu’elle est, une terre d’asile politique […] mais pas plus. » Il ajoutait plus loin, « Il y a, en effet, dans le monde trop de drames, de pauvreté, de famine pour que l’Europe et la France puissent accueillir tous ceux que la misère pousse vers elles ».
… et François Mitterrand
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Le président de l’époque, François Mitterrand avait lui-même indiqué la même année, que le chiffre de « 4,1 millions à 4,2 millions de cartes de séjour » atteint en 1982, ne doit « autant que possible pas être dépassé », rappelaient en 2015 nos confrères de Libération. Rappelons qu’à Mayotte, 35.000 de titres de séjour ont été délivrées en 2021, soit, ramené à la population, 11%, contre 7% sur le plan national lors de la déclaration du président Mitterrand.
Pour creuser un peu le concept d’intégration de ces années-là, Michel Rocard avait évoqué sa politique en 1990 devant le Haut-Conseil de l’immigration. Parmi les différents axes, il évoquait « une politique qui vise tout simplement à reconnaître à chacun les mêmes droits, dès lors qu’il accepte de respecter les devoirs qu’emporte avec elle la règle commune, et en particulier celle de respect de la laïcité de notre République ». Les accès aux services publics sont alors « autant de droits » dont peuvent bénéficier les personnes immigrées, « à la condition, bien sûr, qu’ils soient dans notre pays dans une situation régulière; nous ne pouvons accepter comme pouvant devenir des nôtres celui qui cherche à imposer sa présence en échappant à la loi commune », rajoutait-il.
L’immigration a bien sûr évolué depuis 1990, et s’est accélérée au rythme du différentiel de richesse entre pays développés et ceux qui veulent y tendre. Faute d’avoir pratiqué une vraie politique d’intégration, la France se retrouve dépassée, avec des valeurs dévoyées qui imposent des coupes franches dans les programmes enseignés aux élèves. Nous sommes plus dans une démission que dans une intégration.
Convenons qu’on ne peut plus se contenter de dire que l’immigration est une chance, puis de sombrer, mais bien de se donner une chance de l’immigration.
Anne Perzo-Lafond