Le regard dans le vide, assise sur un lit de camp pliable au milieu d’une centaine de personnes dans le gymnase du collège de Kwalé à Tsoundzou, Déborah Amina Mugabo, 32 ans, désespère. Le 9 janvier dernier elle a accouché dans le lycée Younoussa Bamana où elle avait trouvé refuge après le passage du cyclone Chido. Son enfant né prématurément a été pris en charge par le service de néonatologie du Centre hospitalier de Mayotte (CHM), et la jeune femme allait lui rendre visite régulièrement notamment pour l’allaiter. Mais depuis son évacuation le 20 janvier en direction du collège de Kwalé, impossible pour elle de voir et de toucher son bébé. L’entrée et la sortie de l’établissement est bloquée par un barrage mis en place par les habitants du quartier et les parents d’élèves, qui réclament la reprise du collège avant la rentrée prévue le 27 janvier prochain. « On a tous des enfants, on ne devrait pas pouvoir nous priver de voir nos enfants ! », insiste-t-elle, « en plus ma poitrine me fait très mal car je ne peux pas allaiter”.
« Pour une femme ici, c’est impossible de vivre », ajoute-t-elle, « il n’y a que deux toilettes pour toutes ces personnes et on n’a pas d’électricité ni d’eau. La préfecture doit trouver une solution ». La jeune femme a déposé sa demande d’asile à Mayotte après avoir quitté la région du Nord-Kivu en République Démocratique du Congo, où elle a perdu ses parents et son premier mari, tous morts à cause de la guerre qui ravage le pays. Une fois en Tanzanie avec ses trois enfants, elle est montée à bord d’une embarcation bondée en direction de l’archipel. « Quand j’ai grimpé dans le bateau, on m’a dit que mes enfants allaient me suivre, mais ils n’ont pas réussi et depuis je n’ai plus de nouvelles d’eux », confesse-t-elle la voix fébrile.
Une ambiance calme dans les gymnases
Comme elle, la majorité des personnes qui se trouvent dans le collège sont des demandeurs d’asiles ou bien des réfugiés en attente d’obtention d’un titre de séjour. Certains sont arrivés du lycée Younoussa Bamana, d’autres sont là depuis plusieurs semaines. Ils viennent principalement de la République Démocratique du Congo, du Burundi et de Somalie.
Ce mercredi 22 janvier, deux jours après l’arrivée des personnes dans les deux grands gymnases du collège, l’ambiance est calme. Des familles avec des bébés se reposent, de jeunes femmes se font des tresses, la majorité des hommes sont couchés sur des matelas tandis que les enfants jouent ensemble. Un peu à l’écart quelques femmes enceintes se sont regroupées tout comme des personnes en situation de handicap, comme Abdi Mustafa et Ayub Ali Mohamed, deux amis somaliens. Le premier a une jambe en bois et le second de graves brûlures tout le long de sa jambe suite à l’explosion d’une bombe. « On met trois heures pour aller aux toilettes », signalent-ils, résignés. « Tout ce que je veux c’est partir d’ici », confie Nadhoimati, venue d’Anjouan, son fils dans ses bras. Un sentiment partagé par la plupart des personnes installées dans le bâtiment.
Dans la cour du collège la pluie est intense et seuls quelques enfants continuent à jouer au basketball. Des familles installées sur le bitume récupèrent leurs maigres affaires détrempées avant de s’abriter, tandis que d’autres en profitent pour se laver les dents.
« Ils ont déplacé le problème en amenant les gens à Kwalé »
A 30 mètres, de l’autre côté du grillage, le collectif des parents d’élèves du collège de Kwalé et les habitants du quartier ont hissé des tentes pour se protéger de l’averse. Tous sont déterminés à rester devant l’établissement le temps que la préfecture prenne en charge les centaines de personnes installées. La rentrée scolaire est prévue pour lundi prochain, le 27 janvier, et ils ne décolèrent pas. « C’est injuste de mettre ces gens dangereux ici, ce sont des animaux », lance une parent d’élève qui souhaite garder son anonymat, « en plus à Tsoundzou il y a beaucoup d’affrontements, laisser ces gens là, c’est la mort ». « Ils ont déplacé le problème en amenant les gens à Kwalé ! Je ne peux pas laisser mon enfant ici », ajoute un autre parent d’élève, qui ne souhaite pas donner son nom, « on attend une solution, pourquoi pas les loger dans des hôtels ? En tout cas on ne veut pas de violences ».
Et si des deux côtés de la barrière personne ne souhaite que la cour d’école se transforme en bain de sang, 5 jours seulement avant de recevoir des enfants, certains affirment être prêts en cas d’affrontements directs. Lundi soir, dès l’arrivée des bus transportant les personnes en exil au collège, des affrontements ont eu lieu entre des groupes de jeunes et la police et depuis la tension n’est pas retombée.
La nourriture reste bloquée aux abords du collège
Un homme à scooter se rapproche de la grille du collège un sac de riz et quelques provisions entre les jambes. « Je ramène de quoi manger aux personnes à l’intérieur », explique-t-il, trempé par la pluie. Mais très vite les habitants du quartier lui interdisent de livrer la nourriture et l’homme repart dépité. A l’intérieur, certaines personnes n’ont pas mangé depuis trois jours. « Quand on veut sortir pour chercher à manger c’est bloqué, des gens vont mourir à cause de ce barrage », témoigne George, un réfugié venu du Burundi. La plupart des exilés ont peur de sortir de l’enceinte du collège au risque de se faire attaquer.
Plus loin, à l’entrée du collège de la musique retentit, les membres du collectif des parents d’élèves et des habitants se mettent à danser et chanter sous la pluie devant les banderoles réclamant la reprise de l’établissement. « Je sais que ce n’est pas normal d’être dans le collège« , constate, toujours assise, Déborah Amina Mugabo, « et quand j’entends à l’extérieur les femmes dire que l’éducation de leurs enfants est importante, que la prise en charge médicale de leurs enfants est importante, je veux leur dire que nous aussi on a des enfants, il faut aussi se soucier des enfants d’autrui !”.
Une situation « temporaire »
De son côté la préfecture que nous avons contactée annonce que la situation est « temporaire », sans donner plus d’informations sur une date éventuelle d’évacuation du collège ou sur une solution de relogement. D’autres établissements sont concernés par la présence d’exilés, notamment le lycée professionnel de Kawéni. Ce matin, les personnes installées dans le collège de Passamainty ont été expulsées sans solution de relogement. Reste à voir dans les prochains jours ce qu’il adviendra du collège de Kwalé.
Victor Diwisch