S’inspirer de ce qui existe dans la nature, ce que l’on appelle « le vivant », pour mettre en place des solutions permettant de résoudre nos problématiques d’aujourd’hui, c’est ce qu’on appelle le Biomimétisme, et c’est un des objectifs de CEEBIOS (Centre d’Études et d’Expertises en Biomimétisme). Les représentants de la société étaient invités par l’Établissement Public foncier et d’aménagement de Mayotte (EPFAM) pour mener une réflexion sur « L’eau et le territoire : Vers des approches bio-inspirées pour des habitats résilients ». Une conférence qui se tenait ce mercredi à la technopole de Mayotte.
Pour Yves-Michel Daunar, directeur général de l’EPFAM, il s’agit désormais de proposer des aménagements qui collent aux défis de Mayotte et apportent également des réponses adaptées.
« La mission de CEEBIOS est à la fois d’interroger sur l’existence d’une stratégie inspirée du vivant pour répondre aux grands défis de Mayotte, dont l’eau, et à la fois proposer deux sites pilotes que sont les ZAC de Coconi-Ouangani et de Kahani. On cherche par exemple à proposer des nouveaux matériaux qui permettent de capter l’eau quand elle est absente. On observe le fonctionnement du scarabée de Namibi qui avec sa carapace capte des microgouttes. On va donc chercher à récupérer l’humidité qui est dans l’air au moyen des façades de bâtiment ou de tours d’eau », explique Anne Gaillard, urbaniste et paysagiste, responsable aménagement régénératif chez CEEBIOS.
Et ça va loin, « il faut intégrer la ZAC dans son écosystème naturel, en cherchant à lui faire jouer le même rôle que la forêt avec des matériaux adaptés afin que le cycle de l’eau ne soit pas perturbé ».
Le vivant s’invite aux cahiers des charges
La représentante d’une association présente dans l’assistance rebondissait : « A Tsoundzou nous avons un projet de Warka water, une tour d’eau munie de filets qui transforme l’humidité en eau potable. » Un projet qui recherche des financements, « et pourquoi pas de l’AFD ?! ».
CEEBIOS part des modèles biologiques qui ont fait leurs preuves au cours des milliards d’années, mais aussi des populations sur place, « on n’écoute pas assez les natifs du territoire, il faut les valoriser en adaptant ce qu’ils mettent en pratique depuis des générations. » Et dresser un pont entre eux, « des projets germent en Petite Terre qui peuvent intéresser la CCSud, il faut développer l’altérité. »
Pour ne pas laisser l’idée au stade de concept isolé, une expérimentation est mise en place pour qu’il devienne incontournable notamment dans les appels d’offre : « Nous venons en soutien des bureaux d’études notamment pour les deux ZAC pour enrichir la réflexion par des approches bio-inspirées. » En clair, les cahiers des charges seront rédigés en fonction de ces nouvelles pratiques. « Cela va permettre de poursuivre la restructuration de la filière BTC et de développer l’utilisation du bambou ».
Utilisation de 1% des eaux grises contre 85% en Israël
La paysagiste cite en exemple le futur Campus de Coconi-Ouangani : « Pourquoi ne pas le concevoir comme un énorme réservoir d’eau par ses façades et ses toitures ?! »
Pour que cela marche, CEEBIOS ne veut pas imposer, mais fédérer : « Il faut transmettre les connaissances par le biais du compagnonnage, par la co-construction. Contrairement à ce qu’on pense, dans les situations de crise, chacun ne tire pas la couverture à soi dans le monde animal, mais les termites par exemple se transmettent des informations pour pouvoir s’organiser. C’est ce que nous devons faire. »
Embarquer tout le monde dans le même bateau sur le sujet de l’eau donc, cela signifie que la règlementation aussi doit évoluer, surtout sur un sujet aussi vital. Et Anne Gaillard livre des chiffres suffisamment explicites : « Alors que 58% de l’eau potable est utilisée pour l’agriculture qui n’utilise que 6,8% d’eau verte, c’est-à-dire issue du sol, on s’aperçoit que les eaux grises sont sous-utilisées en France. » C’est-à-dire les eaux provenant des douches, baignoires, lavabos, lave-linge, etc. « Notre pays ne réutilise que 1% des eaux grises, contre 15% en Espagne et 85% en Israël ».
A coup sûr, dans quelques années, nos enfants nous demanderons comment nous avons fait pour continuer à tirer la chasse avec de l’eau potable ! Les échanges furent nombreux dans la salle à ce sujet, et il fut beaucoup questions des Agences régionales de santé et de la législation vue comme un frein.
Pour finir, les intervenants de CEEBIOS ont d’ores et déjà interrogé sur le futur Schéma d’Aménagement régional (SAR) de Mayotte, « il faut mettre en parallèle les futurs pôles urbains avec les bassins versants de Mayotte pour rendre le tout compatible dans l’intérêt du territoire. »
Anne Perzo-Lafond