Au début de l’année 2024, certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées ont fait l’objet de scandales pour non-respect de la réglementation des eaux en bouteille. Quelques semaines plus tard, l’opinion publique découvrait dans la presse que des forages illégaux existaient depuis plusieurs années et dont l’Etat avait connaissance. Une crise de confiance grave des français comme citoyens et consommateurs avait alors éclaté à l’égard des pouvoirs publics concernés et des industriels du secteur.
Le directeur délégué du BRGM ouvre le bal
Dans ce contexte, une commission d’enquête sur « les pratiques des industriels de l’eau en bouteille et les responsabilités des pouvoirs publics dans les défaillances du contrôle de leurs activités et la gestion des risques économiques, patrimoniaux, fiscaux, écologiques et sanitaires associés », a été créée à l’initiative du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Mardi 10 décembre 2024, la commission a auditionné deux premiers acteurs pour « faire toute la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours », a déclaré son président Laurent Burgoa, sénateur LR du Gard. À 17h, le directeur général délégué et directeur scientifique, du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), Christophe Poinssot, a été la première personne à être auditionnée. Le représentant du BRGM a décrit le fonctionnement des eaux souterraines en France, et les impacts qu’elles peuvent subir en raison des activités humaines et des changements climatiques.
« Seuls 3% des eaux sur Terre sont des eaux douces »
Le spécialiste a rappelé que l’eau était avant tout « une question de territoires », où dans certaines régions, les eaux de surface et les eaux souterraines sont tantôt majoritaires ou minoritaires, et associées à des besoins variables d’un territoire à l’autre. « Un tiers des eaux douces sont des eaux souterraines. On a cent fois plus d’eau dans nos sous-sols que dans les lacs et les cours d’eau. C’est lié aux précipitations qui s’infiltrent dans le sous-sol et qui remplissent ces nappes d’eaux souterraines. Le sous-sol c’est une éponge et l’eau, dans ces sous-sols, bouge, elle n’est pas immobile. Les nappes phréatiques sont de dynamique variée, certaines vont être très perméables aux pluies ou à des épisodes de sécheresse, d’autres nappes sont plus inertielles, elles mettront plus de temps à réagir aux événements », a-t-il expliqué pour contextualiser ce dense sujet. Les territoires n’étant pas logés à la même enseigne, en ce qui concerne la quantité des ressources en eau disponibles, Christophe Poinssot a immédiatement mentionné ses échanges avec le sénateur Saïd Omar Oili, vice-président de la commission d’enquête, à propos du cas très spécifique de Mayotte, frappé depuis 2024 par une crise hydrique sans précédent. « On observe une variabilité de la qualité de la ressource en eau dans les territoires, notamment en outre-mer, en fonction du climat, de la position géographique. Mayotte est très typique et la gestion de la crise sur l’eau n’est toujours pas terminée. » D’après le président de la commission, l’exemple de Mayotte sert largement de justification urgente à la tenue d’ « une réunion spéciale sur les départements d’outre-mer pour cette commission d’enquête. »
« On n’a pas d’information pour dire aujourd’hui si la nappe est en bonne santé »
Au sujet de la qualité des eaux souterraines, dont certaines seront conditionnées dans des eaux embouteillées, Christophe Poinssot confie que le réseau pluviométrique du BRGM permet aux scientifiques « d’avoir un recul performant sur les analyses ». Néanmoins, si le spécialiste de l’eau affirme que « les nappes souterraines sont marquées par l’activité humaine » et que les « limites de détection sont extrêmement faibles », permettant au BRGM « d’avoir des signaux précurseurs » avant toute difficulté sur la qualité de l’eau, l’analyse de la qualité de ces nappes dépend de leur activité : « Sur des nappes phréatiques dynamiques, on va voir rapidement ce qui ne va pas, mais sur les nappes inertielles on le voit moins bien car cela (ndlr : polluant) met plus de temps à partir. » Le directeur du BRGM a confié que le suivi quantitatif de ces nappes était suffisamment robuste au sein du bureau de recherche, mais moins précis sur l’état qualitatif de ces ressources : « On n’a pas d’information pour dire aujourd’hui si la nappe est en bonne santé, si elle est exploitée par des industries. On a un suivi sur ces nappes sur le niveau, s’il baisse ou monte mais on a surtout un résultat globalisé des activités. »
« Si la contamination vient de la surface, cela contamine toute la nappe »
À propos des scandales qui ont touché les eaux minérales, le directeur du programme « Eaux souterraines et changement global » au sein du BRGM, Alain Dupuy, a ajouté que les contaminants en provenance de la surface des sols étaient plus difficiles à traiter : « Si la contamination vient de la surface, cela contamine toute la nappe. Si c’est un point de passage c’est plus facile à traiter. Si c’est une contamination plus généralisée, c’est l’intégralité de la ressource qui est mise à mal donc il est plus compliqué de trouver une solution. » Mais quid des périmètres de protection du captage. À ce sujet, le directeur délégué du BRGM a insisté : « Un forage bien fait ne fait pas de courts-circuits avec les nappes d’eau. »
« Un sujet de santé publique qui pourrait devenir majeur »
Entendu à 18h, le chercheur, Sylvain Barone, membre de l’unité mixte de recherches Gestion de l’eau, acteurs, usages de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) n’a pas tourné autour du pot sur la question des scandales autour de la qualité de l’eau, où plusieurs industriels du secteur agroalimentaire appliquaient à leurs eaux en bouteille des traitements interdits. « Malgré l’existence d’une série de directives européennes, de nombreux sujets liés à la qualité de l’eau sont mal traités et font l’objet d’une actualité forte », a-t-il déclaré, en citant l’exemple de la France, poursuivie par la Cour de justice de l’Union européenne, pour son incapacité à améliorer la qualité de ses eaux, en raison d’une teneur en nitrates trop élevée. « Il y a aussi la question des polluants éternels et l’actualité porte sur la présence assez généralisée de ces substances », a-t-il ajouté. « Cela pointe un sujet de santé publique qui pourrait devenir majeur. Toutes les eaux sont concernées et notamment les eaux destinées à la consommation humaine. Tout cela peut altérer la confiance des usagers et des citoyens. », bien que l’édition 2024 du baromètre kantar/centre d’information sur l’eau montre que 80% des français ont confiance dans la qualité de l’eau du robinet distribuée.
« Ce qui frappe c’est l’ampleur de la tromperie »
Ces scandales sanitaires ont été portés à la connaissance du public, grâce à des signalements et des auto-signalements, dont la presse s’en est fait l’écho. Pour le chercheur, « ce qui frappe c’est l’ampleur de la tromperie, qui relève d’une pratique courante et qui pourrait perdurer en l’état actuel des contrôles de les dissimuler », alors qu’un rapport de l’inspection générale interministérielle du secteur social (IGAS) rendu en 2022, révélé publiquement grâce aux investigations des journalistes de France info et du Monde, a révélé qu’au moins 30% des marques françaises d’eaux de source et minérales avaient recours à des traitements non conformes pour masquer la présence de contaminations microbiologiques et chimiques, tels que des pesticides, des PFAS*. En octobre 2023, une note de l’ANSES transmise au gouvernement révélait des contaminations régulières sur de nombreux puits du groupe Nestlé et estimait que ces non-conformités « ne devraient pas conduire à la production d’eaux embouteillées ».
Nestlé s’acquitte d’une amende et échappe à un procès public
Mais alors que l’entreprise Nestlé est contrainte de payer une amende de 2 millions d’euros après avoir conclu une convention judiciaire d’intérêt public avec la justice, le chercheur, Sylvain Barone, s’étonne de l’inexistence d’un procès public pour ce sujet : « Nestlé s’acquitte de sommes très importantes mais on se demande dans quelle mesure cela est réellement important pour cette entreprise, qui réalise un chiffre d’affaires colossal chaque année, cela apporte de l’eau aux moulins des minéraliers », le chiffre d’affaires annuel du groupe Nestlé dépassant les 97 milliards d’euros. Par ailleurs, lors des arrêtés sécheresse pris dans un contexte de manque de ressource en eau, pour restreindre les prélèvements opérés sur les ressources et la consommation d’eau le chercheur s’est interrogé sur l’absence d’intégration des producteurs d’eau en bouteille dans ces limites : « Les producteurs d’eau en bouteille ne sont pas soumis à cette obligation. On se demande si ce n’est pas parce qu’ils pallient à ces crises qu’ils n’y sont pas soumis. », sous-entendu que les industriels auraient d’importants intérêts à gagner lors de ces épisodes.
Une crise de confiance à ne pas prendre à la légère
Dans ce contexte, « la question de la transparence et la confiance sont importantes mais les choses ne bougent pas encore », estime le chercheur, qui voit d’un mauvais oeil les conséquences de ces agissements à plus long terme. « Peut-être qu’à terme cela va tellement altérer la confiance des consommateurs que l’on verra des systèmes d’auto alimentation en eau qui pourraient faire peser sur les consommateurs des risques encore plus grands sur leur santé. » Pour le spécialiste de la gestion de l’eau, il est nécessaire de procéder à davantage de contrôles, malgré un système administratif qu’il juge perfectible : « Il faut donc mieux et plus contrôler » les acteurs, les installations, lors du processus de fabrication de l’eau destinée à la consommation humaine. Les auditions vont se poursuivre, jusqu’à ce que la commission rende son rapport au plus tard le 20 mai 2025.
Mathilde Hangard
* PFAS : L’acronyme désigne les per- et polyfluoroalkylées, des substances chimiques qui ont pour principale caractéristique d’être extrêmement persistantes dans l’environnement.