Rappelant qu’à l’origine, était la compagnie nationale Air France, ayant « la charge d ‘un service public » et donc bénéficiant de subventions de l’Etat ou de collectivités métropolitaines ou ultramarines. Ce concept d’accompagnement public de la desserte ultramarine dès l’origine est important à garder à l’esprit, car malgré la libéralisation du secteur en 1990, il devait officiellement perdurer.
Le processus d’ouverture du marché du transport aérien s’est effectué de 1992 à 1998 sous l’égide de la Commission européenne. Parallèlement, les Etats membres ont eu la possibilité de mettre en place des obligations de service public. C’est ainsi qu’en France, depuis le 1er avril 1997, des obligations de service public sont imposées sur les liaisons entre la métropole d’une part, et la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et la Réunion, d’autre part, indique le rapport rédigé alors que Mayotte n’est pas encore un DOM. Elles portent sur l’exploitation des lignes tout au long de l’année, avec au moins une fréquence hebdomadaire, la capacité hebdomadaire offerte pendant les quatre semaines les plus « creuses » (basse saison) ne peut être inférieure au quart de la capacité hebdomadaire pendant les quatre semaines les plus chargées (haute saison), l’existence d’un tarif enfant (2-12 ans) réduit de 33 %, l’acceptation des évacuations sanitaires sur le premier vol en partance, un nombre d’annulations de vols ne dépassant pas 10 % du programme d’exploitation, etc.
En contrepartie, un régime de défiscalisation en faveur des investissements productifs dans les collectivités d’outre-mer a été institué par la loi Pons du 11 juillet 1986, qui touche notamment les compagnies aériennes implantées en outre-mer, applicable à Mayotte. « Les flottes des compagnies implantées outre-mer ont bénéficié de ce régime d’aide fiscale ».
Saison des pluies de hausses des tarifs
Les aides de l’Etat prennent également d’autres formes. Les subventions du FIATA (Fonds d’intervention pour les aéroports et le transport aérien) peuvent « prendre en charge jusqu’à 80 % de la compensation financière demandée par un transporteur pour l’exploitation d’une liaison aérienne », en fonction des obligations de service public relatives à cette liaison. Ou bien, par le régime des congés bonifiés des fonctionnaires de prise en charge des frais de voyage de l’agent et, le cas échéant, du conjoint et des enfants à charge, par l’Etat. Cette majoration est de 40% à Mayotte. Ou encore l’Aide à la Continuité Territoriale et le passeport mobilité Études de LADOM.
Face à cela, des hausses de billets d’avion, « très mal acceptées » par les populations originaires des outre-mer, indique le rapport d’il y a 20 ans. Les dirigeants des compagnies entendus par le rapporteur les justifient par des raisons toujours invoquées de nos jours, une augmentation des coûts fixes, dont le kérosène, des taxes, crise du tourisme…
Des hausses également dues à ce que le député appelle un « désordre tarifaire », c’est-à-dire la saisonnalité des tarifs. Cela consiste pour une compagnie à augmenter le prix du billet en haute saison pour compenser la baisse du trafic touristique en basse saison. « A cette période, les transporteurs aériens s’appuient sur la clientèle dite ‘captive’ des Domiens se rendant en outre-mer pendant les vacances scolaires. Il est devenu difficilement acceptable pour les populations originaires d’outre-mer de payer trois fois plus cher un billet pour un vol en été qu’un touriste européen se rendant aux Antilles entre janvier et juin. Ces écarts de prix n’ont jamais été aussi importants et sont de plus en plus mal ressentis. »
Ce dernier point est particulièrement d’actualité à Mayotte où les prix des billets d’avion défient toute concurrence ultramarine. « Il n’y a pas d’adaptation à la clientèle domienne en matière de clauses de réservation (date limite d’achat, séjour minimum, séjour maximum…) », pointe le rapport dont c’est la première des recommandations. Un parallèle peut être fait, toute proportion gardée, avec des tarifs préférentiels réservés pour les passages maritimes de clientèles d’iliens en métropole, comme c’est le cas à l’île aux Moines (Golfe du Morbihan). Or, il n’existe pas réellement de tarifs réduits sur les dessertes aériennes de l’outre-mer, à l’exception de la réduction de 33 % pour les enfants de deux à douze ans qui est une obligation de service public imposée aux compagnies aériennes depuis 1997. Un travail de la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) devait permettre de « repenser la politique tarifaire pour certaines catégories de passagers ».
Un prix plafond en haute saison
Pour les enfants, « se pose le problème de l’inégalité de traitement provoquée par le régime des congés bonifiés. Les enfants de fonctionnaires ont leurs frais de voyage pris en charge par l’administration de leurs parents. Un tarif réduit permettrait de corriger en partie cette inégalité. »
Intéressant aussi cette préconisation de l’instauration d’un prix maximum en haute saison. Les écarts de prix entre haute et basse saison sont « très mal ressentis car difficiles à justifier. » L’instauration d’un prix plafond en haute saison « peut tout à fait être inscrite dans les obligations de service public comme cela existe sur certaines liaisons aériennes en Europe (Sicile, Açores, …). » Il ne s’agit pas de provoquer la faillite des compagnies aériennes, qui devront être concertées, également pour éviter tout effet d’aubaine, comme « un renchérissement excessif des tarifs en basse saison », ou un « manque de places disponibles en haute saison ».
Mettre en place également un billet social pour évènement familial permettrait aux personnes frappées par la perte d’un parent proche et désireuses de se rendre à l’enterrement de bénéficier d’une tarification particulière, « y compris si elles doivent être surclassées faute de places. Ce dispositif pourrait être étendu aux événements familiaux majeurs (naissance, mariage, …) ». Un dispositif qui demande un contrôle strict pour éviter les abus, et qui permettrait ainsi qu’à la douleur de la perte d’un proche, s’ajoute la difficulté de financer le déplacement pour les obsèques.
Autre recommandation, l’implication des collectivités locales, dont « le rôle ne doit pas être négligé », en citant… la compagnie Air Austral en exemple. On en comprend aisément la raison, de petite compagnie régionale dans laquelle Air France détenait 34 %, elle a vu plus loin en se dotant de longs courriers et 20 ans après le rapport, la compagnie réunionnaise est toujours là, avec un capital qui était quasiment totalement détenu par la région, ce qui en fait un « modèle en la matière ». Désormais, un groupe d’investisseurs privés en détient plus du tiers, et la compagnie a vécu des années post-Covid sous perfusion de l’Etat et de la Région.
En tout cas, ce focus sur le rôle des collectivités locales permet de raviver les attentes en matière de compagnie locale, les actionnaires mahorais étant minoritaires au capital d’Ewa Air. Le projet Zena Airlines était en attente de consolidation, à suivre.
Joël Beaugendre invite l’Etat à impulser les mesures, en réclamant entre autres, la mise en place d’un observatoire des tarifs « au niveau de la DGAC » qui aurait un rôl ;e de veille, et centraliserait les données de toutes les compagnies aériennes.
Un rapport rédigé avant l’ère Covid qui a engendré des perturbations dans les cieux habituellement bleu d’Outre-mer, mais qui reste anormalement d’actualité.
Anne Perzo-Lafond