Il y a quelques jours, nous rapportions la conférence sur l’intégration des Outre-mer dans leurs régions, dont le 1er volet était consacré à celle de Mayotte et de La Réunion dans l’océan Indien. Où il ne fut question quasiment que des difficultés géopolitiques rencontrées par notre département, notamment dans la bouche du sénateur Georges Patient : « La contestation de l’appartenance de Mayotte à la France nuit à la coopération régionale et est utilisée par les pays rivaux pour affaiblir l’influence de la France dans la région ». Son collègue corapporteur du texte, Christian Cambon, demandait aux dirigeants français « d’arrêter d’avoir un double discours au sujet de Mayotte ».
Pendant cette conférence, les sénateurs ont cité leur collègue Thani Mohamed Soilihi, pour son apport au sujet, donnant une idée de l’influence de ce dernier sur ces problématiques de géopolitique.
Pas étonnant donc de le retrouver à un poste dont le libellé, Secrétaire d’Etat à la Francophonie et aux partenariats extérieurs, cache l’importance qu’il a pour le 101ème département français. Mais pour que cela fonctionne, encore faut-il que les élus locaux lèvent le nez du guidon et voient plus loin.
Tout d’abord, et comme nous l’avons souligné, la France a besoin de redorer son blason sur de nombreux territoires. Ils sont 320 millions de francophones dans le monde, dans une cinquantaine de pays, et donc autant d’interlocuteurs pour le nouveau secrétaire d’Etat.
Ensuite, et c’est sans doute le plus important, cette nomination clôt d’un coup la question de Mayotte, qu’elle soit débattue à l’ONU ou revendiquée ailleurs. En effet, le sénateur mahorais sera amené à siéger au nom de la France dans cette institution, et également à la Commission de l’océan Indien (COI). Et n’oublions pas qu’il est hébergé au sein du ministère de l’Europe et des affaires étrangères. On rejoint là la « stratégie des petits pas » prônée par la délégation sénatoriale aux Outre-mer, pour « faire face au mur comorien ». Nous avions d’ailleurs titré « Affirmer la souveraineté française pour ancrer Mayotte dans sa région… ou l’inverse », sans même imaginer que cela aller se concrétiser aussi rapidement.
Un Mahorais au sommet de la francophonie
Ce lundi, le conseil des ministres doit entériner le nouveau gouvernement, et dès les 4 et 5 octobre, Thani Mohamed Soilihi présidera le 19ème sommet de la Francophonie. Au niveau du symbole, il est difficile de faire mieux. Cette nomination est donc une chance pour Mayotte, et pour servir l’objectif induit, les élus locaux doivent venir en appui, il y aura peu d’occasions de le faire à ce niveau-là dans l’avenir.
Et pour accompagner au mieux le secrétaire d’Etat, seul ultramarin à entrer au gouvernement, ils doivent participer à l’ancrage de Mayotte dans sa région, donc à l’international. Le partenariat initié avec Madagascar sur le fourage par le président Ben Issa Ousseni doit être multiplié avec l’ensemble des pays. Pour cela, les parlementaires doivent insister pour obtenir auprès du gouvernement une adaptation de la législation pour importer davantage de la région quand on le fait seulement à hauteur de 0,7% des entrants actuellement. Cela permettrait de diminuer les coûts de transport, et donc de combattre la vie chère dans un contexte où les Martiniquais se soulèvent à nouveau sur cette problématique. Un levier de développement économique et donc de créations d’emploi à Mayotte.
Parmi les parlementaires, on peut imaginer que l’une va s’atteler plus particulièrement à cette tâche et fédérer l’ensemble des élus, c’est Salama Ramia, qui en tant que suppléante de Thani Mohamed Soilihi, intègre son siège et devient ainsi la première femme mahoraise à entrer au Palais du Luxembourg. Mayotte est donc représentée par 3 femmes parlementaires, Salama Ramia donc, et les deux députées Estelle Youssouffa, et Anchya Bamana. Le sénateur Saïd Omar Oili est donc bien entouré.
« Un rapport de force avec les pays sources »
Pour boucler le tableau des réjouissances, attardons-nous sur le profil du nouveau ministre aux Outre-mer, le LR François-Noël Buffet. Il s’agit donc à nouveau d’un ministère de plein exercice. Sénateur depuis 2004, c’est un connaisseur des Outre-mer. Il était venu à Mayotte, pour déjà y parler sécurité et immigration. Citons sa réflexion à propos de Mayotte et des Comores lors des questions au Gouvernement l’année dernière, alors qu’il s’adressait en tant que sénateur au ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, Gérald Darmanin : « Je suis convaincu qu’il faudra maintenir dans ce texte (projet de loi sur l’immigration, ndlr), l’idée qu’il ne peut pas y avoir de visas s’il n’y a pas de laissez-passer consulaires. Tant que nous ne mettrons pas en place un rapport de force puissant avec les pays sources (les Comores, ndlr), nous aurons beaucoup de mal et la situation risquera de perdurer. Mais il faut aussi donner un avenir à Mayotte, avec un projet économique et un investissement de long terme, qui sera seul garant, à terme, d’une vie normale pour nos concitoyens mahorais. »
Pour rappel, François-Noël Buffet était alors président de la Commission des lois au Sénat, avec comme vice-président… Thani Mohamed Soilihi. Un pont entre les deux hommes qui donne un éclairage supplémentaire à ces nominations.
Un possible nouvel alignement des planètes pour Mayotte donc, sur lequel il faut surfer.
« Un tournant décisif »
Plusieurs réactions favorables à Mayotte. Outre le sénateur Saïd Omar Oili que nous avons cité, qui parle d’un « honneur pour notre territoire », le président de l’association des maires de Mayotte (AMM), Madi Madi Souf, traduit la portée de cette nomination qui « marque un tournant décisif dans l’histoire politique de la République française en plaçant, pour la première fois, un Mahorais à un tel niveau de responsabilité (…), une reconnaissance de ses qualités, de son expérience politique et de son travail exceptionnel au service de de la République et de Mayotte ». Naturellement, il a un mot pour sa 4ème adjointe, Salama Ramia, qui devient « la première sénatrice de Mayotte ».
Le maire de Mamoudzou, Ambdilwahedou Soumaïla et son conseil municipal félicitent également Thani Mohamed Soilihi, en ne perdant pas de vue que « la Ville poursuivra naturellement les travaux déjà amorcés par les ministres démissionnaires afin de répondre aux besoins du territoire et de ses habitants. »
Un passage plus appuyé est réservé par le maire au nouveau ministre des Outre-mer, soulignant un « ministère de plein exercice bénéficiant ainsi de la plénitude des attributions constitutionnelles des ministres ». Il rappelle que le sénateur était « rapporteur pour le Sénat de tous les textes relatifs à l’immigration et l’asile depuis 2006 », et qu’il a « contribué au durcissement de la loi immigration en tant que président de la commission des Lois du Sénat. Sa connaissance des collectivités territoriales est un atout pour relever les défis du territoire ». Le maire invite le nouveau ministre des Outre-mer à Mamoudzou « afin de poursuivre les travaux débutés avec le précédent gouvernement. »
Anne Perzo-Lafond