Fin 2021, la première ministre Elisabeth Borne décidait d’envoyer à Mayotte une mission regroupant 8 inspections générales représentants 6 ministères, pour cibler les mesures à mettre en place dans la lutte contre l’isolement du nombre considérable de mineurs à Mayotte, donc une grande partie est déscolarisé. Ils produisaient 41 propositions dans le rapport sur « L’évaluation de la prise en charge des mineurs à Mayotte » remis en janvier 2022, mais qui n’a jamais été rendu public. Nos confrères de Mediapart en avaient dévoilé les conclusions sous ce tire « Le gouvernement cache un rapport sur la situation tragique à Mayotte ».
Nous avions également consulté ses 107 pages au diagnostic sévère : les moyens alloués sont insuffisants, en se basant sur une statistique de l’INSEE d’un total de 760.000 habitants en 2050, avec 28.000 naissances par an si rien n’est fait : « Une situation potentiellement explosive (…) une pression considérable sur les différents services publics déjà saturés (santé, école) comme sur l’habitat et l’environnement. »
Parmi les préconisations, un nouvel accompagnement financier de l’Etat à l’Aide sociale à l’Enfance (ASE) du conseil départemental : « Les montants devront prendre en compte les dépenses nouvelles en lien avec le nombre croissant de jeunes pris en charge et la diversification des structures d’accueil ».
Avant que ces informations ne tombent dans les oubliettes, la Chambre régionale des Comptes (CRC) donnait un grand coup de projecteur en publiant ce mois de novembre un rapport « Le coût de la politique de l’aide sociale à l’enfance », qui critique le déficit d’accompagnement de l’Etat figé aux 9,6 millions annuel, alors qu’il n’échappe à personne que le flux migratoire n’a pas faibli. Induisant une folle croissance du budget de la Protection de l’enfance qui grimpe à 44 millions d’euros, et ce n’est qu’une marche supplémentaire vers les sommets.
Menace sur l’accueil des 90% de non-assurés sociaux en PMI
Car la politique en faveur de l’enfance n’en est quasiment qu’à ses prémices depuis 7 ans à Mayotte, avec un budget de fonctionnement et des besoins en moyens humains et matériels qui vont croissants.
Un constat qui amène la première ministre Elisabeth Borne à annoncer sa venue à Mayotte le 8 décembre prochain. A cette occasion, elle doit notamment signer une nouvelle convention d’accompagnement du conseil départemental, histoire de rafraichir celle de 2016. Elle prévoit donc la réévaluation de la compensation de l’Etat en matière de Protection sociale, comme l’ont rapporté nos confrères du quotidien Le Monde, qui révèlent la somme de 100 millions d’euros, avec un rattrapage de 50 millions d’euros sur les sommes engagées en 2023.
Pour Madi Velou que nous avons contacté, c’est une mesure vitale, et, s’il se réjouit, attend d’en connaitre les modalités. « Si ces montants sont confirmés, c’est déjà une grosse évolution par rapport à 2016, mais il faut faire attention au rythme de la montée en puissance de nos besoins liés aux arrivées migratoires et aux naissances pour revoir ces chiffres tous les deux ans environ. Ensuite, nous devons discuter de l’accord cadre qui en dépend ».
Car faute de compensation suffisante, c’est dans le budget général du conseil départemental que les élus ont dû puiser pour l’Aide sociale à l’enfance et les PMI (Protection Maternelle et Infantile), privant par exemple des associations de subventions. « En 2022, 65 millions ont été alloué à ces deux services, pour 24 millions d’euros de compensation », avait indiqué le président du CD Ben Issa Ousseni. En comptant les résidus de 2016, c’est 30 millions d’euros qui manquaient l’année dernière, l’incitant à menacer de coupes sombres : « Nous envisageons de ne plus accueillir les personnes non assurées sociales en PMI. Elles sont 91,5% de la population accueillie en PMI, et 82% à l’ASE qui devront se rendre dans les services de l’Etat ou à l’hôpital. »
Expérimentation réussi sur les jeunes déscolarisés
En attendant que les montants soient confirmés et leur attribution finalisées, Madi Velou explique les attentes et les besoins : « La compensation annoncée à 100 millions d’euros sera affectée au budget annexe, pour financer toutes les actions mises en place par mon prédécesseur (Issa Issa Abdou, ndlr), comme les mises à l’abri, les Lieux de Vie et d’Accueil (LVA), les Maisons d’enfants à caractère social, les familles d’accueil qui sont agréées pour 3 enfants mais dans lesquelles nous plaçons jusqu’à 7 enfants en raison des besoins. Nous devons en recruter au-delà des 300 actuelles. »
Deuxième axe, la prévention spécialisée, qui consiste à cerner les jeunes en errance dans un maillage territorial, « l’ancien conventionnement de 3 millions d’euros n’est pas suffisant, nous ne sommes pas calibrés en nombre d’accompagnant individuels de ce noyau dur de jeunes qui mettent le bazar. »
Les fonds serviront aussi à décliner à plus grande échelle une expérimentation réussie, menée en coopération avec la préfecture à Tsoundzou : « Nous avons récupéré des jeunes déscolarisés à qui nous apprenons les bases d’un métier manuel. Car les placer en familles d’accueil ou en LVA, ça ne suffit pas, il faut les occuper et les former à poser des carreaux, construire un mur, etc. Et ça marche ! Il va y avoir un 2ème appel à projets. »
La formation des encadrants professionnels ou associatifs, et leur dotation en matériel, l’achat du logiciel métier indispensable pour centraliser les remontées d’information préoccupante dont la saisie est quasiment manuelle actuellement, le recrutement de plusieurs agents pour épauler la remarquable directrice de l’Observatoire Départementale de la Protection de l’Enfance (ODPE), « et éviter qu’elle s’essouffle et s’en aille ».
A côté de la compensation annuelle, 50 millions d’euros devraient également être annoncés par la première ministre, qui avaient été confirmés aux deux sénateurs mahorais sur le budget 2023 et devrait être répartie sur les postes actuellement en souffrance, dont le transport scolaire et le milieu associatif.
Dans les 10 jours à venir, Mayotte devrait donc accueillir deux ministres, Philippe Vigier et Elisabeth Borne.
Anne Perzo-Lafond