Mayotte classée « désert médical total » : toute l’île en zone prioritaire

Depuis le 29 septembre, l’Agence régionale de santé (ARS) a placé 100 % du territoire de Mayotte en zone d’intervention prioritaire (ZIP). Une décision inédite en France, qui consacre la gravité de la crise sanitaire sur l’île.

Mayotte ne dispose que d’un médecin pour 2.000 habitants, contre 3,5 en moyenne en métropole. Dans certains villages, les patients doivent parcourir plusieurs dizaines de kilomètres pour consulter un généraliste ou un pédiatre. À l’hôpital de Mamoudzou, seul établissement public, les urgences débordent, les maternités saturent, les soignants s’épuisent. Jusqu’ici, le zonage distinguait des secteurs « sous-dotés » et d’autres « en tension ». Désormais, toute l’île est rangée dans la catégorie la plus critique, « très sous-dotée ». 

Des aides financières pour attirer les praticiens

Wuambushu, Gérald Darmanin, Jean-François Carenco, Mayotte
Les dispositifs financiers visent à encourager l’installation et le maintien des praticiens sur l’île, confrontée à une pénurie chronique.

Ce classement ouvre la voie à des mesures incitatives : prime à l’installation pouvant atteindre plusieurs dizaines de milliers d’euros (via le contrat d’aide à l’installation des médecins), exonérations fiscales, aides au maintien et à la création de maisons de santé, financements pour l’achat de matériel.

L’objectif est double : attirer de nouveaux médecins et soutenir ceux déjà installés. « C’est une bonne nouvelle pour ceux qui voudraient venir, explique un jeune médecin de Mamoudzou. Mais encore faut-il que le reste suive : logement, sécurité, scolarité des enfants, accès à l’eau… Sans ça, l’argent ne suffira pas ».

Les soignants en poste bénéficieront eux aussi d’avantages élargis : primes de maintien, soutien aux remplacements, financement de projets de coordination. Autant de leviers pour éviter l’épuisement et le découragement de ceux qui tiennent encore le système à bout de bras.

Les habitants dans l’attente

Mayotte, Jacaranda, offre de soins,
Les habitants doivent souvent patienter longtemps pour consulter un médecin, un reflet de la pénurie de praticiens sur l’île.

Dans les communes de Kawéni, Chiconi ou Mtsamboro, les habitants espèrent un effet concret. « Pour consulter, il faut souvent poser une journée entière. Quand mon fils a eu de la fièvre, je me suis levée à 2 heures du matin pour aller à Mamoudzou et attendre dans la file », témoigne Mariama, mère de trois enfants.

L’ARS mise notamment sur la création de Maisons de santé pluridisciplinaires, le développement de Centres de santé associatifs et le recours accru à la téléconsultation. Mais la pénurie touche l’ensemble des professions : infirmiers, sages-femmes, kinés, orthophonistes. Les arrêtés publiés en même temps classent d’ailleurs toutes ces professions en zone « très sous-dotée ».

« Pour vivre à Mayotte, il faut aller bien mais dès que tu as un problème de santé, c’est compliqué. Pour un problème médical un peu spécialisé, il faut aller à La Réunion, et tout le monde n’a pas les moyens de prendre l’avion », confie un enseignant, installé sur l’île depuis quatre ans.

Un défi au-delà du zonage

Mayotte, CHM, Urgences, box pédiatrique, box adulte, déchocage, Frédéric Lecenne, Christophe Laplace, médecins,
Un jeune garçon est pris en charge par une médecin urgentiste dans la salle de déchocage à l’hôpital de Mamoudzou.

Ce classement ne résoudra pas, à lui seul, les obstacles structurels : manque de logements, de transports, d’écoles et de sécurité. « On ne fera pas venir des soignants du jour au lendemain simplement avec une prime, prévient une infirmière. Il faut un cadre de vie attractif. C’est un tout à construire ».

Les chiffres démographiques compliquent encore la donne. Près d’un habitant sur deux a moins de 18 ans. Mayotte détient la natalité la plus élevée de France, et les besoins en santé augmentent d’année en année.

Un « laboratoire » pour la politique nationale ?

Jamais un département n’avait été entièrement classé en ZIP. Mayotte devient ainsi un cas d’école pour le ministère de la Santé, qui pourrait y tester de nouvelles stratégies : recrutement de médecins salariés, déploiement de missions itinérantes, incitations à la formation locale, revalorisation des carrières hospitalières.

Le nouvel arrêté entrera en vigueur dès sa publication au recueil des actes administratifs de la préfecture. Il pourra être contesté dans les deux mois, mais aucun recours n’est attendu. L’île entre donc, officiellement, dans l’ère du « tout sous-doté ».

Pour les habitants, une seule question reste : ce classement inédit changera-t-il enfin l’accès aux soins, ou ne sera-t-il qu’un signal de plus face à une situation déjà très tendue ? Car à Mayotte, la pénurie médicale dépasse la seule question de la santé, elle reflète aussi les défis complexes du quotidien sur l’île.

Mathilde Hangard

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