Smart-city. Encore une appellation marketing bien pompeuse issue du jargon anglo-saxon ça ! Oui, certes ! Passant outre la linguistique et chauvine rébellion, il faut bien admettre que cette approche d’enjeux technologiques autour de la ville intelligente n’est pas si futuriste et aberrante que cela à en juger l’efficient concret et les preuves déjà faites qui commencent à jaillir çà et là, de par le Monde, pays émergeants inclus, et notre 101ème insulaire département français n’est, contre toute attente, pas si déconnecté qu’on pourrait le croire… Entretien avec l’une des personnalités phares de l’ingénierie informatique de notre île qui a notamment animé un webinaire tech mardi dernier, dans le cadre de cette Semaine de l’Innovation.
JDM : Pourquoi selon vous devrions-nous d’ores et déjà aborder cette thématique de smart-cities sur notre territoire ?
F.M. : Aujourd’hui, nous pouvons rendre nos villes plus intelligentes pour qu’elles soient participatives, collaboratives et qu’elles contribuent grandement à l’amélioration de vie de notre quotidien et ce, en divers volets. Mayotte fait incontestablement face à de nombreux défis parfois complexes, en termes de démographie, de violence, de crises, d’urgences…mais qui peuvent justement trouver des solutions et certainement de manière plus rapide par l’appui de technologies.
JDM : Entrons dans le vif du concret justement. En termes de mobilité et de densité de circulation, que pourrait par exemple nous offrir cette intelligente connectivité ?
F.M. : Je pense très sincèrement à l’heure actuelle que le temps que nous perdons sur nos trajets n’est pas exclusivement lié au fait que nous manquions de tracés et d’axes routiers. Nous n’avons pas d’information sur les flux ou sur la densité en temps réelle, nous ne savons pas utiliser intelligemment nos véhicules. Aujourd’hui nous le constatons tous, on met trois heures pour faire 20 kms mais il y a fort à parier que si nous avions des données quant à notre durée réelle de déplacement, les informations escomptées en ce sens, les niveaux d’embouteillages ou encore les potentielles propositions d’itinéraire(s) bis calculé(s), cela apporterait plus de limpidité comme il est cas dans de nombreuses autre villes aussi embouteillées dans le monde.
Une ville intelligente, c’est par exemple avoir demain des feux tricolores capables de s’adapter au besoin de la circulation et non une simple programmation linéaire. Une signalétique capable de savoir combien de temps il est plus judicieux d’adapter l’arrêt en fonction des heures de grandes affluences, plutôt que les heures creuses, c’est un outil d’une smart-city. Si un avion arrive le matin à Dzaoudzi, je sais pertinemment bien que cela aura des conséquences et sur la fluidité maritime et sur Mamoudzou par la suite. Et bien l’intelligence d’une ville connectée, c’est justement au moyen de tout un tas d’outils de mesures, prenant en considération un large ensemble de facteurs et informations en temps réel, de proposer des solutions plus efficientes.
JDM : Mais pensez-vous que nous sommes si connecté que ça à Mayotte ?
F.M. : Regardez par exemple aujourd’hui lorsqu’on parle de co-voiturage, instinctivement on pense à des applications qui nous permettent cette interconnexion. Cela était impensable il y a encore peu. Co-voiturage, cela voulait dire monter dans la voiture de sa voisine ou de son cousin mais regardez désormais. On ouvre son application, on entre son point de départ et sa destination, son horaire et hop, on réserve sa place. Cette petite chose banale par exemple, et bien c’est justement une composante d’une ville intelligente connectée. Donc on y est déjà dans une certaine mesure, oui.
JDM : Quel autre axe majeur serait-il important de prioriser quant à l’appui d’une smart-city ?
F.M. : Les ressources bien entendu. Nous sommes une île principalement basée sur de l’énergie fossile importée qui a sont coût et ses limites. Il serait judicieux d’intégrer une approche plus intelligente de notre consommation. Je m’explique, si nous partons dans cette idée de villes connectées, aussi tournées vers des alternatives renouvelables, et bien les outils technologiques peuvent nous aider à faire usage efficient du type d’énergie dont nous avons besoin sur l’instant. En gros, j’ai tout un panel de ressources énergétiques et plutôt que de trop tirer sur l’une à un mauvais moment, d’utiliser la plus polluante en fonction de l’heure ou encore de ne pas suffisamment stoker une autre, et bien mon approche smart-city assure justement cette équation grâce à une étude complète de mes besoins en temps réel, de ma consommation, du type de watts dont j’ai besoin, de l’énergie globale mise à disposition des usagers etc. Tout ceci se fait grâce à des calculateurs et cela s’appelle du smart-grid*.
Ce sont des technologiques qui font leurs preuves déjà ailleurs; on ne demande pas d’inventer les choses, elles existent ! Il est juste question de les adapter sur notre territoire et contrairement à ce qu’on pourrait croire, Mayotte n’est pas à des antipodes de cela, bien au contraire sachant que nous avons des solutions de performance énergétique qu’on ne trouve pas ailleurs. On a été capable de faire venir des batteries de Tesla ici, donc on est capable de faire venir d’autres technologies. Il me semble qu’EDM est déjà dans l’idée de compteurs connectés, c’est bien, cela permet à l’usager de sécuriser et suivre précisément sa consommation tout en facilitant la collecte de données. Finis les relevés irréguliers ou les estimations, on sait précisément à l’instant-T de quoi il en retourne en plus du fait qu’il soit question d’une approche participative conscientisée.
Si quelqu’un a pour habitude de faire tourner sa machine à midi mais qu’il se rend compte que justement à ce même horaire il y a un pic de consommation imputant un coût plus important, et bien il pourra alors changer son horaire faire tourner cette même machine quelques heures plus tard. Et cela est tout aussi intéressant pour la gestion énergétique d’EDM.
Je vous prends un autre exemple, on parle de plus en plus de véhicules électriques, demain on installe des bornes, il faudra parier que si tout le monde charge sa voiture au même moment, on risque de saturer le réseau électrique. On peut donc avoir des bornes intelligentes qui lors des heures de pointe se limitent à une certaine puissance et lorsqu’elles sont en capacité de constater une consommation moindre, elles pourront ainsi automatiquement basculer sur de la charge plus rapide. Voilà, ça aussi ce sont des ensembles et visions smart-city.
JDM : Nous parlons de ressources, je suis obligée de vous amener sur le terrain de l’eau…
F.M. : Aujourd’hui dans les problématiques, il est question d’une perte importante de l’eau au motif notamment de fuites et vétusté du réseau qui lâche en certains endroits. Grâce à des outils connectés qui permettent en temps réel de vérifier le débit d’eau et détecter rapidement les fuites, on peut bâtir un réseau hydrique intelligent. Et il peut en être également cas pour les compteurs des usagers car soyons honnêtes, beaucoup de gens sont peu à l’aise avec la manière de comptabiliser leur consommation. Un compteur connecté intelligent peut, par exemple, voir qu’un jour tu consommes beaucoup plus que d’ordinaire et t’envoyer une alerte sur tes smartphone ou boite mails, ce qui laisse présager que potentiellement tu as une fuite et tu ne vas pas laisser la chose perdurer pendant un mois pour finalement te rendre compte que tu as perdu 5 000 m³ d’eau et le payer le prix fort sur ta facture !
Cette participation permet de rendre les usagers plus conscients et proches des défis. Une ville qui sait exactement comment sa population consomme, dans quel quartier plus qu’un autre, à quelles tranches horaires etc. C’est s’offrir une manière plus efficace de traiter son réseau, de l’entretenir et de le dimensionner en conséquence. On ne cesse de répéter que d’ici 2030, la population de Mayotte va doubler, c’est bien, on fait des projections à grosses mailles globales mais paradoxalement au niveau infrastructure, on est en retard face à la réalité du terrain. Donc je me répète, les compteurs et les réseaux intelligents ça existe, au moyen notamment de sondes connectées qui permettent en temps réel de calculer la température, la quantité du débit d’eau, et même sa qualité; cela n’est pas rien au regard des enjeux de Santé publique. Plutôt que de faire des prélèvements et devoir les envoyer pour étude dans des laboratoires et autres intermédiaires de manipulation, là tout est instantané et tracé.
Regardez, aujourd’hui il y a des îles où l’on vous donne la température, la qualité de l’air, les taux d’humidité en fonction des zones et ce, en temps réel, nous c’est le bulletin météo global et sommaire de Mayotte la 1er lors des infos; là aussi, une ville intelligente peut s’ouvrir en ce sens.
JDM : Pensez-vous que les organismes et institutions soient prêts et aspirent à cette transparence ?
F.M. : Mon rôle notamment dans la présentation de mon webinaire sur cette thématique de smart-city était d’apporter des idées. Initialement ça n’est pas une question de besoins et de compétences mais bien d’information et d’ambition politique. Cette sensibilisation auprès de nos élus est indispensable. Les informer sur les intérêts réels et majeurs qu’ils ont à impulser des volontés précises à la base de leurs projets qui leurs permettront par la suite de justement faire plus d’économie, de garantir plus d’efficacité et de réactivité de leurs services et d’améliorer profondément la qualité de vie de leurs concitoyens, c’est une équation positive. Mayotte a la chance d’être un territoire où tout est en train de se faire et pour lequel les moyens conséquents à coup de millions voire de milliards sont attribués. Investir un peu plus à la base permettra juste de pérenniser les fonds de maintenance par la suite qui sont souvent relatifs aux impôts. Profitons des multiples chantiers pour y intégrer la notion de bâtiments intelligents justement. L’aspect environnemental est important.
Un bâtiment intelligent, c’est une construction qui sait se réguler, ne pas climatiser toute la journée, éteindre les lumières lorsqu’il n’y a plus personne, savoir exactement combien d’individus sont dans les murs ou en sortent, grâce à des systèmes de badges mais aussi des caméras détectrices, adapter sa température et sa consommation électrique; en bref, un bâtiment aux performances énergétiques et pour cela, il n’y a pas besoin de drastiquement changer le cahier des charges initial, bien au contraire. Sur des anciennes bâtisses la problématique peut se poser voire même ne pas pouvoir s’adapter mais sur du neuf, il faut justement prendre le bon départ et se calquer dans cette dynamique conscientisée. Encore une fois, l’idée et la décision ne viendront ni d’un technicien, ni d’un informaticien mais bien d’un donneur d’ordre qu’est le politique. Rappelons que Mayotte commence à avoir son approche smart justement, nous avons des lampadaires intelligents à énergie solaire, des caméras de vidéo-surveillance, des spots Wifi et le discours de certains élus va dans ce sens alors emboitons le pas à échelle départementale.
JDM : Et au niveau de la population, comment peut-on viser ce participatif ?
F.M. : Il faut qu’il soit question d’une ambition initiale justement prise dans son ensemble. Si le maitre d’œuvre crée un projet connecté mais juste pour lui et ses besoins, et bien il n’est pas allé au bout de la démarche. Je prends pour exemple les déchets, pourquoi ne pas envisager une ville avec des poubelles connectées. Alors vous me direz oui mais si on les vole ou les brûle ? Bon, entre nous, on n’a pas attendu qu’elles soient connectées pour se faire malmener justement, donc je continue mon argumentation : savoir lorsqu’une poubelle est pleine, prête à être vidée pour gagner du temps lors d’une tournée, éviter de bloquer inutilement la circulation, savoir exactement combien de tour(s) le camion va faire, c’est pas mal comme approche.
Concernant le tri sélectif, allié à une manière de connecter tout ça, cela permettrait de voir comment les usagers participent en ce sens, voir leur implication et pourquoi ne pas envisager de les récompenser, par un cumul de points, un cadeau ou un allégement de taxes. Encore une fois, c’est rendre acteur chacun. C’est un peu comme les bons de réduction dans les supermarchés, certains gardent leurs coupons et s’en servent et d’autres s’en moquent mais à l’arrivée, il y aura toujours plus de participation que de ne rien faire ou proposer. Les outils sont là, ils peuvent efficacement accélérer l’accès à la résolution d’un certain nombre de problématiques, il n’y a qu’à s’en servir.
JDM : Dernière question, comprenez-vous que la notion du dématérialisé puisse faire peur ou, au contraire, puisse apparaitre bien obsolète au regard d’autres enjeux et priorités de notre île ?
F.M. : Aujourd’hui il est important de définir et bien encadrer les axes dont nous avons besoin. Lorsqu’on parle de smart-city les gens ont dans la tête un vieux film de Science-fiction avec des voitures qui volent et autres pensées loufoques. Pour Mayotte, ce qu’il serait intelligent de comprendre, c’est que cette notion de villes intelligentes a son fort intérêt, notamment autour du Développement durable pour mieux gérer nos ressources insulaires qui ne sont pas illimitées, pour voir un intérêt autour des services des usagers dématérialisés — sachant notre petite superficie alliée à une forte démographie — pour éviter justement qu’ils soient dans l’obligation de se déplacer et amplifier inutilement cette densification de flux; c’est tout cela l’intelligence pratique des villes connectées.
Nous voulons que Mayotte soit principalement une île économiquement viable par son Tourisme; il nous faut savoir préserver notre patrimoine naturel face aux enjeux démographiques et d’urbanisation. Et tout ceci peut justement être développé grâce au soutien des solutions intelligentes et connectées. Comment pouvons nous aspirer à solutionner des problèmes avec des idées des années 50 alors que nous sommes en 2023. Utilisons à bon escient ces outils modernes déjà développés. C’est un peu la métaphore de l’Homme qui doit transporter une charge lourde, à qui on donne les outils pour construire un voiture mais qui rétorque qu’il n’a pas le temps de monter cette voiture sous prétexte qu’il doit aller livrer cette charge lourde ailleurs…
En gros, pourquoi m’interdire un moyen qui me permet à l’arrivée d’attendre mon objectif avec plus de facilité, sous prétexte que cela me fait perdre du temps au départ alors que je n’ai même pas essayé ? Cette approche de smart-city est un moyen de soutien efficace et efficient face à nos défis et aux aspirations vers lesquelles nous souhaitons nous diriger.
Mayotte est une île qui est très bien couverte en termes de connectivité, les bases sont là, il suffit juste de passer clairement en revue ce dont nous avons besoin, de faire un point précis d’où nous en sommes. Santé, Services, Ressources, Habitat, Déchets… De montrer que des outils peut-être déjà en place peuvent avoir plus large utilité. Je prends l’exemple des caméras de surveillance, pourquoi ne pas aussi les utiliser pour de l’observation connectée du traffic routier et de la gestion de flux de circulation en temps réel etc. Comprendre que les problématiques d’aujourd’hui doivent être solutionnées avec les moyens d’aujourd’hui. Bien sûr que la Technologie ne fait pas tout mais cette approche de smart-city est de plus en plus exploitée à travers la planète alors servons-nous en également.
MLG
*Le smart grid est un réseau électrique qui intègre les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), comme par exemple les objets connectés. On parle de « réseau électrique intelligent ». Concrètement, un smart grid est capable de transmettre des informations en temps réel sur les usages et les consommations d’électricité à tous les opérateurs du réseau (producteurs, distributeurs, consommateurs). Son objectif est simple : utiliser ces informations pour ajuster les flux d’électricité et garantir une meilleure efficacité énergétique du réseau.