Mayotte : une stratégie quinquennale ambitieuse face aux limites persistantes de la lutte contre l’immigration clandestine

Bien qu’érigée en priorité pour le développement et la reconstruction de l’île, la lutte contre l’immigration clandestine à Mayotte révèle ses limites depuis vingt-cinq ans.

La refondation de Mayotte, inscrite dans une stratégie quinquennale 2026-2031, entend répondre aux défis majeurs du territoire, parmi lesquels la lutte contre l’immigration clandestine. Ce plan s’appuie notamment sur le renforcement des capacités de surveillance et d’interception, ainsi que sur une réorganisation institutionnelle du territoire. Pourtant, les bilans récents, notamment ceux de la préfecture de Mayotte, ainsi que les analyses critiques d’élus comme le sénateur mahorais Saïd Omar Oili, soulignent que la voie sécuritaire seule peine à enrayer durablement les flux migratoires de l’île, posant la question d’une autre approche.

Une stratégie quinquennale centrée sur le renforcement sécuritaire et institutionnel

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Entre 2023 et 2024, les activités de la lutte contre l’immigration clandestine ont été moins efficaces (tableau figurant dans la stratégie quinquennale du CIOM pour le développement et la reconstruction de Mayotte de 2026 à 2031)

Le plan stratégique 2026-2031 pour Mayotte, présenté en juillet 2025, s’articule autour de trois axes majeurs : protéger la population locale, garantir l’accès aux ressources essentielles et préparer l’avenir du territoire. Au cœur de cette démarche, la lutte contre l’immigration clandestine (LIC) figure en priorité. La stratégie prévoit ainsi un accroissement significatif des capacités de surveillance maritime et terrestre, la réhabilitation des infrastructures (radars, vedettes, CRA) et la mise en place d’un état-major opérationnel interministériel dédié (EMOLIC). Le président de la République a par ailleurs fixé comme objectif une augmentation notable du nombre de reconduites à la frontière, condition jugée essentielle pour la réussite de la reconstruction post-cyclone Chido.

Des résultats en demi-teinte, entre baisse des interceptions et critiques parlementaires

Le sénateur de Mayotte, Saïd Omar Oili, avait reproché la diffusion tardive du rapport préfectoral concernant l’immigration, pointant du doigt un déficit de transparence lors des discussions sur la refonte de Mayotte.

Pourtant, malgré les ambitions affichées, le bilan préfectoral de 2024 révèle une baisse de 21 % des reconduites à la frontière et une réduction de 25 % des interceptions en mer, avec seulement 61 % des kwassas détectés interceptés en 2024, contre 79 % en 2023. Ce constat suscite la méfiance de certains élus, dont le sénateur Saïd Omar Oili, qui dénonce un « manque de transparence » et regrette que « la représentation nationale a été privée d’informations essentielles » au moment des débats sur la loi de refondation pour la reconstruction de Mayotte, adoptée le 10 juillet dernier. Pour le sénateur, ces chiffres « illustrent encore une fois l’échec des politiques publiques de lutte contre l’immigration clandestine » et témoignent d’un « décalage entre les politiques publiques et la nature de leurs effets sur le territoire », tel qu’il l’avait exprimé en conférence de presse le 19 juin dernier. 

Vers une nécessaire révision de l’approche migratoire : sociale, régionale et éducative

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Le 19 juin dernier, Saïd Omar Oili, dressait un constat sévère sur l’inefficacité des politiques migratoires depuis 25 ans à Mayotte, appelant à une refonte urgente et globale de l’approche régionale et sociale du territoire.

Au-delà des chiffres, la critique principale formulée par le sénateur Oili est que, malgré les moyens déployés, l’État met un point d’honneur à maintenir une politique migratoire ambitieuse, même si celle-ci montre ses limites à Mayotte. En effet, la stratégie actuelle privilégie une approche sécuritaire, qui ne suffit pas à enrayer durablement l’immigration. Dans un rapport dressant un bilan de 25 ans de lutte, il souligne que « près d’un habitant sur deux est de nationalité étrangère à Mayotte », dont une majorité en situation irrégulière, et que les moyens déployés en mer sont paradoxalement moins efficaces que les interpellations sur terre.

Face à cet échec, il plaide pour une « refonte urgente et globale » de la politique migratoire, intégrant notamment une coopération renforcée avec les pays voisins (Comores, Madagascar, pays d’Afrique de la région des Grands Lacs), mais aussi une prise en compte des enjeux sociaux et éducatifs locaux. Il rappelle notamment que « l’école est obligatoire » pour les enfants étrangers, alors que les infrastructures sont largement insuffisantes, aggravées par les conséquences du cyclone Chido, compliquant encore l’intégration et le développement du territoire.

La stratégie quinquennale 2026-2031 affiche certes une volonté forte de renforcer la lutte contre l’immigration clandestine, mais ses limites démontrent que les approches antérieures, tout en étant coûteuses, n’ont pas porté leurs fruits, ce qui impose aujourd’hui une révision profonde et nécessaire.

Mathilde Hangard

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