La « parentalité », c’est d’abord, accepter de devenir parent, et de donner les conditions affective, matérielle, psychologique, morale, culturelle, sociale, nécessaire à l’épanouissement de son enfant. L’enjeu est de savoir pourquoi certains n’y arrivent pas.
C’est dans cette optique que le Sénat poursuit ses tables rondes sur le thème de la parentalité dans les Outre-mer. En mars, la parole était donnée aux associations locales en charge d’accompagner la parentalité de familles démunies, et également aux organismes qui les accompagnent, dont la Caisse de sécurité sociale, pour sa branche Caisse d’allocations familiale à Mayotte.
La table ronde sur Mayotte avait été l’occasion de brosser le tableau d’une société où un quart des femmes de 20-54 ans sont des mères isolées, dont plus de 80% vivent en grande précarité. Et dans un contexte de forts flux migratoires, dont 34% sont des femmes de 15 à 24 ans « qui arrivent sur un marché matrimonial », avait souligné le directeur d’Espoir et Réussite qui faisait valoir qu’ensuite, une fois mère, tous les appuis traditionnels familiaux d’entourage de l’enfant faisaient défaut, car restés dans leurs pays d’origine. Accentuant la probabilité de l’isolement, et de la désocialisation de l’enfant.
La Délégation sénatoriale outre-mer et la Délégation aux droits des femmes laissaient cette fois la parole ce jeudi aux représentants des administrations centrales et des caisses d’allocations familiales. Etaient donc présentés les outils qui peuvent venir en aide aux familles ultramarines. Atour de deux axes : comprendre les raisons de la persistance des différences de prestations entre les outre-mer et la métropole, « notamment en matière de complémente familial, et sur les prestations à Mayotte », indiquait la présidente de la Délégation aux droit des femmes, Annick Billon, et le manque de moyens humains et financiers sur les dispositifs de soutien à la parentalité outre-mer.
Parmi les sous-thèmes de ces axes, « quelle connaissance de leurs droits ont ces familles ultramarines ? », « deux tiers des enfants ne sont pas reconnus par leurs pères aux Antilles, comment les y inciter ? », « les financements structurels vers les associations sont-ils possibles ? », etc.
On a donc beaucoup parlé outil, finances, et peu de terrain, c’était le but de l’exercice.
Un bénéficiaire sur trois n’a que la CAF pour survivre
Comme le disait dans son intervention cash Annick Pétrus, sénatrice de Saint-Martin, « les outre-mer sont réputés comme des champions de la consommation des allocations familiales, mais c’est la situation de ces territoires qui le veut ».
Jean-Marc Belon, chargé des Outre-mer à la Caisse nationale des Allocations familiales (CNAF), illustrait ces propos : « Nos 5 caisses ultramarines versent des allocations à 1,4 million de personnes, soit un taux de couverture de 63% des habitants, contre 47% en métropole. » Une surreprésentation à la fois dans les allocations familiales, 74% d’allocataires, dans les foyers monoparentaux, 15%, sur le RSA, 1/3 contre 1/10 en métropole, « il faut comprendre que dans les outre-mer, un tiers des allocataires n’a que ce revenu CAF pour vivre, contre 17% des personnes en métropole. On voit que ces allocations jouent le rôle d’amortisseur social ».
Ce qui rend d’autant plus injuste la discrimination que subit Mayotte qui perçoit des demi-montants nationaux. Evoquant le « chemin qui reste à parcourir à Mayotte vers la convergence sociale », Isabelle Richard, Sous-directrice des politiques publiques à la Direction générale des Outre-mer, rappelait les propos d’Emmanuel Macron, « lors de sa campagne pour les présidentielles, le président de la République avait indiqué vouloir ramener l’échéance de la convergence de 2036 à 2031 », soit dans 8 ans.
Un peu long quand on sait qu’une partie des prestations est non contributives, c’est à dire qui ne dépend pas d’une cotisation préalable, comme c’est le cas du minimum vieillesse, qui vient d’être réévalué dans la récente réforme des retraites, sans atteindre toutefois le niveau national. Indiquant, à tort, que de « nombreuses prestations sont alignées » à Mayotte, elle conditionnait la hausse du SMIC brut, qui est de 75% du national, à la croissance des prestations, « un équilibre que doivent trouver les ministères de l’Economie et du Travail ».
Mayotte ne compte pas assez sur les « 1000 premiers jours »
A travers ces interventions, était donc acquis le lien entre prestations sociales et amélioration de la parentalité, « mais surtout l’accès à l’emploi, car cela casse le cercle vicieux de la pauvreté, ce qui met en évidence l’enjeu de la formation des jeunes mères. » Un travail qui est mené depuis l’année dernière avec la mise en place de la feuille de route des « Mille premiers jours », à savoir que le lien affectif et d’amour doit se jouer avant tout sur ce laps de temps pour l’épanouissement de l’enfant. « Certains territoires comme Mayotte sont en retrait alors que les besoins y sont les plus importants », indiquait Anne Morvan-Paris, Sous-directrice de l’Enfance et de la famille à la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS). Elle invitait à « appuyer les compétences locales », un « vrai enjeu » dans les outre-mer.
Un argument souvent évoqué, pour masquer l’absence de sollicitation des capacités locales. Les CAF développent toute une batterie de dispositifs, « 91 Conventions territoriales globales* (dont plusieurs à Mayotte, ndlr) touchant 62 communes ont été signées », sur les accompagnement de l’enfance, de la jeunesse, de l’animation locale, etc.,11 lieux d’accueil parents-enfants mis en place, 108 actions menées sur la parentalité. Mais la même Caisse se dit aussi confrontée à l’insuffisance de cofinancement de ses partenaires les collectivités locales. De son côté, le président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer Stéphane Artano demandait au représentant de la CAF, d’émettre moins d’appels à projets, et « davantage d’aides structurelles aux associations ». Un déficit de travailleurs sociaux pour accompagner les familles était souligné.
Le non-recours aux allocations atteint des niveaux très élevés, notamment à Mayotte où les bénéficiaires du RSA devraient être plus nombreux, ou en Guyane, sans autre compréhension du phénomène que « des raisons d’illettrisme ou de difficulté de langue », rapidement retoqué par la présidente Billon. Alors que d’autres explications sont avancées, dont « une approche culturelle », et détaillées justement ce mercredi lors de la signature de la Convention d’appui à la lutte contre la pauvreté (CALPAE) à Mamoudzou. »
« Tous les 3 ans, elle refait un bébé »… une économie circulaire
Si le concept des « Mille premiers jours » est novateur, sa première version a « oublié la place des pères », ce qui sera rectifié dans la seconde feuille de route. Un élément indissociable des problématiques de parentalité, et c’est encore Annick Pétrus qui en livre un témoignage qui sera salué comme « en prise direct avec la réalité ».
Elle illustrait ce que beaucoup avant elle appelait « l’argent braguette » en soulignant la fatalité qui entachait les territoires ultramarins, dont le sien en raison de la pauvreté : « Les difficultés se reproduisent de génération en génération. Lorsque j’étais directrice d’école, une maman m’avait dit que tous les trois ans, elle refaisait un bébé, car elle perdait les allocations à ce moment là. Quand une fille voit sa mère faire vivre le foyer comme ça, elle va reproduire le schéma. Certains utilisent les allocations intelligemment, mais beaucoup détournent ces aides notamment celles de la rentrée scolaires qui ne doivent plus être utilisées pour payer la traite de la voiture, mais pour l’enfant. A l’école, les élèves mangent à leur faim du 1er au 15 du mois, mais ensuite, le frigo est vide. Bien sûr, la CAF ne peut pas aider à la gestion des allocations familiales, mais il faut accompagner les associations. Pourquoi ne pas leur verser à eux les aides pour qu’ils accompagnent les familles à gérer leur budget ? » La sénatrice soulignait également la méconnaissance des outils mis en place par les collectivités, « en signant une convention territoriale globale, j’ai moi-même découvert qu’un bénéficiaire du RSA peut profiter d’une garde d’enfants pendant un entretien ou sa recherche de travail. »
Un sujet est curieusement resté sans réponse, alors qu’il peut être bénéfique pour la compréhension du phénomène comme nous l’expliquions plus haut : la dimension culturelle et le contexte de chaque outre-mer : « Dans la société polynésienne ou kanake, comment gère-t-on la parentalité ? », interpellait Annick Billon sans recevoir de réponse.
Suite et fin lors de la future synthèse des travaux des diverses tables rondes.
Anne Perzo-Lafond
* Convention de partenariat qui vise à renforcer l’efficacité, la cohérence et la coordination des actions en direction des habitants d’un territoire.