Mayotte : La psychiatrie au bord du gouffre

Après Chido, la psychiatrie à Mayotte est en ruines, oubliée des priorités et privée de moyens.

À Mayotte, la violence n’est pas une exception : elle fait partie du quotidien. Agressions, vols, menaces… rares sont ceux qui n’ont pas été témoins ou victimes. Chaque jour, des femmes, des hommes, des enfants vivent avec cette peur omniprésente qui se glisse dans chaque geste, chaque silence, chaque nuit sans sommeil. Mais lorsque le corps résiste encore, c’est souvent l’esprit qui cède.

Des soins psychologiques devenus inaccessibles

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L’intérieur du centre médico-psychologique après le cyclone

Sur le 101ème département français, avoir besoin d’aide psychologique n’a rien d’exceptionnel. Ce qui l’est, c’est d’en obtenir. Depuis le passage dévastateur du cyclone Chido, le 14 décembre 2024, accéder à une consultation médico-psychologique (CMP) relève du miracle, ou de la malchance. Le centre est introuvable. Les bâtiments ont été soufflés par le cyclone. Les panneaux encore debout indiquent des portes closes. Les informations sont contradictoires.

Lorsqu’enfin, après bien des détours, un patient parvient à trouver le bureau des consultations, il est souvent renvoyé : « Il faut rappeler pour un rendez-vous », martèle une secrétaire, sans fournir de perspective calendaire, ni interroger le patient sur les motifs de sa venue. « Je suis venu pour mon traitement, ils m’ont dit de revenir mais je ne sais pas quand car je viens de Trévani je ne sais pas quoi faire« , confie avec désarroi Amine. « C’est comme si tout était fait pour décourager les patients de consulter car on ne sait même pas où est la salle de consultations du CMP actuellement et quand les patients arrivent, parfois ils sont renvoyés sans qu’on sache bien pourquoi, c’est effrayant« , indique Agathe*, une infirmière en psychiatrie.

Quand la psychiatrie se transforme en urgence permanente

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Faute de consultations disponibles à temps, de nombreux patients psychiatriques décompensent et finissent aux urgences du CHM

Le Centre hospitalier de Mayotte, unique établissement hospitalier de l’île, assure une prise en charge psychiatrique d’urgence, mais ne dispose que de dix lits d’hospitalisation pour l’ensemble des habitants. Aucun lit d’hospitalisation en psychiatrie n’est disponible pour les enfants, alors que près de la moitié de la population a moins de 18 ans. Ces derniers, confrontés aux mêmes violences, traumatismes et souffrances que les adultes, se retrouvent souvent sans solutions adaptées. Certains sont transférés en urgence vers des établissements spécialisés de La Réunion, d’autres sont laissés à l’abandon faute de prise en charge. Parmi eux, certains sont adressé vers le centre médico-psychologique pour enfants et adolescents (CMPEA) de Mtsapéré, qui les prend en charge, dans la limite de ses capacités. Dernier recours avant qu’il ne soit trop tard.

Des structures endommagées, des équipes livrées à elles-mêmes 

Les CMP répartis entre Mamoudzou, Bandrélé, Sada, Pamandzi et Dzoumogné devraient permettre un suivi régulier des patients adultes ayant besoin d’une prise en charge médico-psychologique. Mais à Mamoudzou, où se concentre une part importante de la population de Mayotte, le bâtiment du CMP a été gravement endommagé par le cyclone Chido. Désormais voué à la démolition, aucun site de remplacement de ce centre n’a encore été annoncé. « Ce service de psychiatrie est le seul à ne pas avoir été relogé après le cyclone », indique une soignante du CMP.

Depuis plusieurs semaines, les professionnels de santé se partagent un bureau unique, sans espace confidentiel, ce qui réduit les consultations à des échanges sommaires. « De nombreux patients repartent sans avoir été reçus car on ne peut prendre qu’un patient à la fois », explique une infirmière en psychiatrie. Les équipes d’infirmières et de psychologues sont présentes, prêtes à travailler, mais privées de locaux, décrit-elle. « Dans les CMP périphériques, les équipes arrivent encore à maintenir un lien avec les patients déjà suivis mais à Mamoudzou, la file active de patients s’est délitée. » Et depuis plusieurs mois, les visites à domicile ont été suspendues.

 Des conditions d’hospitalisation dénoncées

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Une chambre d’isolement

La situation critique de la psychiatrie au Centre hospitalier de Mayotte (CHM) ne date pas d’hier. Le cas de Chido n’a fait que mettre en lumière un mal profond, déjà dénoncé à plusieurs reprises. En octobre 2023, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) tirait la sonnette d’alarme : les conditions d’hospitalisation dans le service de psychiatrie du CHM étaient jugées indignes. Le rapport évoquait des chambres insalubres, sans mobilier, éclairées en continu, placées sous vidéosurveillance jusque dans les toilettes. Isolement pratiqué hors cadre légal, contention sans registre : la liste des manquements était longue.

Plus grave encore, les mesures de privation de liberté n’étaient pas systématiquement portées à la connaissance du juge, en violation des garanties prévues par la loi. Dans un climat de pénurie généralisée – personnel insuffisant, matériel manquant – un agent résumait alors la situation d’un constat glaçant : « Ce n’est plus un lieu de soin, c’est un lieu de relégation. » Des transferts de patients sous escorte, menottés et en plein jour, venaient compléter ce tableau déjà accablant.

Plusieurs années plus tard, la situation semble figée. Depuis le passage du cyclone Chido, les patients hospitalisés en psychiatrie prennent leurs repas dehors, sous un abri de fortune. Le chaos ambiant dissuade de plus en plus de patients suivis en centre médico-psychologique de s’y rendre. Certains patients, atteints de pathologies chroniques, abandonnent tout simplement leur parcours de soins. Une psychiatre libérale tente, seule, de pallier les carences du service public.

Le taux de réhospitalisation en psychiatrie au CHM avoisine aujourd’hui les 50 %. Une donnée alarmante, dans un contexte où les patients cumulent troubles psychiatriques, grande précarité et situations administratives irrégulières. « Quand tu cumules maladie mentale, précarité et absence de papiers, l’accès aux soins devient alors impossible. Comme des balles perdues pour toujours », déplore Agathe.

Une crise profonde et peu visible 

Pourtant, depuis le passage du cyclone Chido, la direction du Centre hospitalier, sur tous les fronts des conséquences sanitaires et logistiques dévastatrices laissées par cette catastrophe sans précédent, affirme faire « tout son possible » pour garantir la continuité des soins et permettre aux équipes de travailler.

Mais sur le terrain de la psychiatrie, la situation semble immuable. Le manque de psychiatres à l’échelle nationale, la faible attractivité de Mayotte et les lourdeurs administratives, constituent des obstacles bien identifiés. Néanmoins, les professionnels de santé en psychiatrie insistent : disposer de locaux adaptés et dignes est une condition minimale pour exercer dans ce secteur particulièrement sensible. Agathe résume les besoins avec lucidité : « Qu’est-ce qu’il faudrait ? Il nous faudrait déjà des locaux pour accueillir les patients dans de bonnes conditions. Ensuite, il faudrait des psychiatres et davantage d’infirmiers. Les psychologues sont également là, elles sont prêtes à travailler, mais il n’y a pas de bureaux. »

D’après cette infirmière en psychiatrie, l’accueil joue un rôle central dans le soin : « L’accueil en psychiatrie, c’est 70 % du travail. » Au-delà des moyens, c’est un principe fondamental qui est en jeu. « Je voudrais vraiment que l’accès aux soins pour les patients soit favorisé par l’ensemble du personnel travaillant dans le service de psychiatrie, quel que soit leur statut. Il faut renforcer l’accueil du patient. »

En 2025, alors que la santé mentale devient une « Grande cause nationale« , à Mayotte celle-ci apparaît comme une ombre effacée dans l’indifférence. Les professionnels le disent sans colère, mais avec gravité : la psychiatrie ne vacille plus, elle disparaît en silence.

* Le nom a été modifié à la demande de la personne.

Mathilde Hangard

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