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L’opération de gendarmerie « Wuambushu » colle-t-elle aux besoins de Mayotte ?

Le ministre Gérald Darmanin ne souhaitant « pas faire de commentaires » sur l’opération, ses contours sont définis aux seules révélations du Canard Enchaîné. A Mayotte, on se dit que pour éviter que cela reste un coup de com’ ou un investissement politique raté, il ne faut pas se tromper de cible.

Compliqué de parler de Wuambushu sans communication officielle sur l’opération qui doit se tenir fin avril. Les informations dont nous disposons viennent tout d’abord des hôteliers de la place sollicités pour bloquer un mois et demi de lits pour les gendarmes mobiles à partir de cette date, corroboré par nos confrères des Nouvelles de Mayotte qui ont rendu public ce qui se tramait au ministère de l’Intérieur, que nous confirmait à demi-murmure le général Capelle. Le Commandant de la gendarmerie de Mayotte évoquait un positionnement sur la Lutte contre l’immigration clandestine. Nous avons sollicité les service de l’Intérieur, « le ministre ne fera pas de commentaire à ce sujet », avons-nous reçu pour toute réponse.

On peut néanmoins se pencher sur les détails révélés par le Canard Enchainé. L’opération baptisée Wuambushu, que l’hebdomadaire traduit par « reprise » – un mot qui semble laisser tout le monde pantois ici – aurait été validée par le président Emmanuel Macron lors d’un conseil de défense. Il s’agirait pour les 500 gendarmes envoyés, chiffre que nous ont livré les hôteliers de la place, de détruire un millier de cases en tôle, d’intercepter des étrangers en situation irrégulière, d’interpeller les délinquants qui attaquent passants et automobilistes, comme encore dans la soirée de jeudi dernier du côté de Dembéni.

Après les derniers chiffres des naissances livrés ce vendredi par l’INSEE, dont une très grande majorité est le fait de femmes venues des Comores, il y a de quoi s’inquiéter. Le taux d’adulte par enfant sur ce territoire dégringole encore, ce n’est pas pour rassurer sur leur encadrement dans un contexte de parentalité déficiente. C’est pourquoi et pour reprendre l’expression d’Emmanuel Macron sur ce sujet, « le statu quo n’est plus tenable ». Il faut prendre des décisions, doivent elles hérisser le Canard. Renforcer et rendre pérennes les moyens de lutte contre les entrées de kwassa reste le minimum syndical.

Anjouan, Comores
Les côtes d’Anjouan d’où partent les kwassas (Photo A.P-L.)

Deux niveaux de migration incomparables

Le sujet reste le lien entre immigration et délinquance sur un territoire où elle a aussi augmenté, de 14% en 2022 à Mayotte, notamment les agressions physiques. Si il n’y a aucun lien direct, c’est le phénomène induit par les migrations massives qui est en cause. La presse métropolitaine ne peut conserver une position dogmatique sur ce sujet, et comparer l’immigration encore symbolique sur un territoire de 550.000km2 qu’est l’Hexagone, et celle qui arrive quotidiennement sur les 374km2 de Mayotte. Elle laisse ici des centaines d’enfants sans écoles, des adolescents sans avenir, des adultes sans travail, etc., induisant une délinquance de survie inévitable.

Autre réaction de défiance et de critique ouverte à l’annonce officieuse de l’opération, celle de la section régionale du Syndicat de la magistrature. Là encore sur l’amalgame entre immigration et délinquance, « ainsi que l’instrumentalisation dont fait l’objet l’institution judiciaire qui se retrouve mise au service d’une politique pénale décidée par le ministère de l’intérieur ». Le communiqué fait référence aux brigades de 6 magistrats déployées par le ministre de la justice au tribunal judiciaire, et souligne que « ce sureffectif ponctuel intervient au moment de l’opération dite « Wuambushu » dont la presse révèle qu’elle est dirigée par Emmanuel Macron lui-même ». C’est pourtant le tribunal administratif qui est surchargé lors des différents recours introduits lors des démolitions de cases ou des expulsions, et non le judiciaire.

Coopération inter-forces de l’ordre

L’échange de renseignements doit primer entre les forces de l’ordre

La représentation locale du syndicat évoque également le télescopage de l’opération avec un autre calendrier, celui du projet de loi Asile et immigration, avantageux pour le ministre de l’Intérieur, qui devrait être examiné en première lecture au Sénat à partir du 28 mars 2023, « et renforcera, notamment, un droit dérogatoire à Mayotte avec en particulier une nouvelle atteinte au droit du sol, déjà largement amoindri sur le territoire. Nous dénonçons cette entaille dans nos droits fondamentaux hérités de la Révolution française. » Le syndicat de la magistrature réclame un statut permettant aux lycéens qui ont manifesté pour leur avenir devant le tribunal, « de se déplacer sur tout le territoire français afin notamment de s’insérer, s’éduquer et travailler ».

Si la suite du communiqué politise le sujet en sous-entendant qu’un retour en arrière serait possible en l’état actuel à propos de la fermeture de la frontière entre Mayotte et les Comores, on voit bien que l’opération va faire débat.

Débusquer les délinquants dans leurs quartiers

Et à Mayotte même, c’est le cas. « C’est encore du provisoire et un colmatage », dénonce un spécialiste de la sécurité, qui préconise depuis des années de revoir la méthode. On peut en effet mettre autant de forces de l’ordre qu’on veut, si la stratégie n’est pas la bonne, aucun résultat valable n’est à attendre.

Premièrement, la coopération entre les trois forces censées rétablir l’ordre ne se ferait pas concrètement : la police nationale, la police municipale et la gendarmerie. On pourrait même préciser qu’au sein de la gendarmerie, une partition se fait entre les territoriaux et les mobiles, les premiers ayant une organisation rodée et efficace, mais certains deviendraient frileux sur les routes à partir de 18h, ce que nous avait glissé un préfet, quand les seconds sont envoyés au charbon, mais sans connaissance du territoire. Ce qui amène à la deuxième remarque, s’occuper réellement de ceux qui posent problème.

L’effet boomerang de « Wuambushu »

Au regard de ce que vivent les habitants au quotidien, mener des contrôles routiers sur les permis de conduire, le port de gants en scooter ou les assurances, revient à faire regretter aux automobilistes que ces forces ne soient pas déployées quand ils en ont réellement besoin et qu’ils sont victimes de caillassages. Commençons par rétablir à 100% la sécurité sur les routes avant d’ennuyer un peu plus les usagers de la route. Car même si parmi eux se trouvent des clandestins ou des retardataires à l’assurance, ce ne sont pas ceux qui menacent la tranquillité publique. On se trompe de sujet, et les voyous observent ce manège d’un œil amusé depuis les hauteurs.

Les groupes de médiation citoyennes en proximité des jeunes

Ce qui amène à la troisième observation, cibler les délinquants sur leur lieu de vie. Un préfet s’y était engagé, « les forces de l’ordre vont aller sur les hauteurs dans les quartiers sensibles ». Une promenade médiatisée en compagnie de son successeur sur les hauteurs de Kawéni avait suffi pour constater que le représentant de l’Etat se faisait copieusement invectiver par des jeunes défiant la loi. Le territoire est minuscule et on cède du terrain sur ces zones. Quelques opérations ont été menées, qu’il faut amplifier, et accompagnées d’un drone pour un signal fort de reconquête.

Pour accroitre les chances de réussite, les participants aux réunions sécuritaires en préfecture doivent y inviter leurs collègues locaux, des officiers mahorais, le représentant des maires, et les parlementaires, qui connaissent parfaitement le territoire. Ce sont eux qui ont des remontées des associations de prévention de la délinquance, c’est avec eux que la stratégie de lutte contre la délinquance qui nuit au territoire plus que l’immigration, doit être menée. Avoir des informations de terrain permet aussi d’anticiper sur d’éventuelles actions de représailles qui ne manqueront pas de s’exercer sur les habitants, le jugement des coupeurs de route de 2016 la semaine dernière était à ce sujet, éclairant.

Autant de points qui, s’ils ne sont pas pris en compte pour l’opération qui se prépare se retournera contre son initiateur en cas de reprise de la délinquance dans les mois qui suivent.

Anne Perzo-Lafond

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