Chloé est soulagée. Essoufflée mais soulagée d’affronter le froid de métropole. Car avec lui, vient le temps des soins, d’une prise en charge médicale qui lui faisait défaut à Mayotte. Pourtant, si les médecins parisiens l’attendent, si son généraliste mahorais la pressait de les rejoindre, Chloé a failli manquer les rendez-vous. La faute à une nouvelle perte de mémoire, séquelle parmi tant d’un covid acharné qui l’envoie en métropole à la rencontre de spécialistes ? Raté. Chloé était-elle encore trop à court de souffle pour se rendre à l’aéroport ce mardi 9 janvier ? Toujours pas. Non, c’est bien certaine de la portée de ses justificatifs que la jeune femme se présente pour embarquer. « J’étais un peu plus inquiète pour mon compagnon, car même si je ne peux pas conduire, que j’ai besoin d’aide au quotidien, ce n’était pas lui le principal concerné », note-t-elle.
Mais lorsqu’il présente ses documents à l’une des fonctionnaires de la police aux frontières chargée de les contrôler, l’affaire est établie en quelques secondes et voilà qu’on peut lui souhaiter bon voyage. En revanche, la policière à qui Chloé fournit sa paperasse ne l’entend pas de cette oreille. « Je lui ai tendu mes justificatifs avec une lettre que mon médecin avait rédigée exprès, expliquant qu’il fallait absolument que j’aille en métropole pour voir des spécialistes qu’on ne trouve pas ici. J’avais aussi des preuves de ces rendez-vous mais elle m’a dit que ça ne suffisait pas », raconte la jeune femme, encore abasourdie. « Elle m’a dit que j’aurais très bien pu écrire la lettre moi-même ». Le ton est donné.
Et restera le même pendant une vingtaine de minutes. Chloé a beau montrer la demande d’évacuation sanitaire remplie par son médecin, explique que la commission censée statuer se réunit trop tardivement par rapport à ses rendez-vous mais que l’evasan produira ses effets rétroactivement, rien n’y fait. « J’étais hyper en colère à l’intérieur, complètement perdue, c’était tellement injuste ! J’ai cru que j’allais rester coincée ici, avec un refus de soin émis par une personne qui n’est absolument pas légitime pour en juger. C’était tellement violent alors que j’espérais enfin pouvoir être soignée », revit la jeune femme. Pour sauver ce voyage tant espéré, la jeune femme se résigne à montrer ses mails. Des échanges médicaux, de patient à médecin que la policière lit avec attention. Sans oublier les commentaires. « C’était horrible, en plus avec tout le monde autour… »
Secret médical bafoué
Devant la teneur des conversations, évidement intimes et éminemment confidentielles, la fonctionnaire de police finit par entendre raison. « Quand j’ai appelé mon médecin pour lui raconter, il était hors de lui, furieux ! Il m’a dit qu’il ne comptait pas en rester là », indique celle qui aura finalement pu voyager. Et passer les contrôles sans encombre à Paris. « Le policier a lu les justificatifs attentivement, dont la lettre et c’est passé. Et c’est juste normal, c’est comme ça que ça doit se dérouler mais avec cette policière à Mayotte c’était juste de l’abus de pouvoir, du pure arbitraire », lâche Chloé, le souffle court dans le froid de Paris.
Une « loterie », diront d’autres. « On ne sait pas comment ça marche, quelles sont les règles, on dirait que c’est à la tête du client alors qu’évidement en cette période on ne voyage pas pour le plaisir, et puis forcément, on fait les choses bien au niveau des justificatifs, explique un voyageur.
Émilie, elle aussi, pensait avoir fait « les choses bien ». Et elle non plus ne voyageait pas
de gaieté de cœur. « Je me suis renseigné sur le site d’Air Austral qui renvoie sur celui de la préfecture pour ce qui est des motifs impérieux ». Pour la professeure, son « motif impérieux d’ordre personnel et familial » est forcément valide. « Mon grand-père, dont je suis très proche, a été hospitalisé et décline très rapidement. J’ai contacté son médecin qui a rédigé une lettre expliquant la situation et que mon grand-père avait besoin de moi à ses côtés », livre-t-elle avec peine. « Je me doutais bien qu’ils allaient être tatillons à l’embarquement alors j’ai aussi présenté une ordonnance d’hospitalisation et mon livret de famille », poursuit Émilie.
Le grand flou
Mais comme une trentaine de personnes le 8 janvier, la professeure est mise de côté. Et c’est une représentante de la préfecture qui prend en personne le relais de la PAF. Laquelle contacte le médecin du grand-père avant de livrer son verdict. C’est un refus d’embarquement. « Elle a considéré que comme il y avait déjà ma mère en métropole, que comme ce n’était ni mon père, ni ma mère, ce n’était pas un motif impérieux. Mais c’est une interprétation très arbitraire, ça ne correspond pas du tout à la réalité des liens », se désole la professeure. « En gros, je dois attendre que mon grand-père meurt, sachant que dans ces conditions je ne pourrais même pas aller aux funérailles », conclut-elle, « tellement triste de voir que la famille n’a donc aucune valeur à leurs yeux ».
Si l’administration n’est effectivement pas réputée pour son humanisme, elle l’est cependant pour son goût des procédures et des règles. Or, tous les voyageurs s’étonnent de l’immense flou qui règne autour de la notion de motif impérieux. Sur Facebook, nombre d’internautes se demandent bien sur quel pied danser, chacun évoquant des refus ou des accords dans la plus grande incohérence. Du côté d’Air Austral, les consignes ne sont pas plus claires. « On ne fait que relayer ce que nous dit la préfecture, nous n’avons pas plus de précision sur les motifs jugés impérieux ou non que ce qui est indiqué par la préfecture », explique le service communication. « Mais je sais que depuis l’annonce du préfet, il y a eu un durcissement des contrôles par la police aux frontières ». Sans blague.
G.M.