Pas de vacarme assourdissant signe habituel du travail des pelleteuses ce lundi matin pour le début de destruction du quartier informel de Jamaïque. En revanche, un travail de fourmi de démolition de leurs propres cases par les habitants. Les va-et-vient n’arrêtent pas dans les étroits chemins boueux entre deux cases, des jeunes ados portant des tôles, quand d’autres se mettent à trois pour acheminer la poutre qui va permettre de rebâtir. Nassim Bacari, père de famille habitant Jamaïque, est de nationalité française, et a pris la tête d’un collectif d’une quarantaine d’habitants en situation régulière. Il veut nous montrer le courrier rédigé à l’attention du préfet. Tout d’abord, pour qu’il n’y ait pas d’amalgames, et malgré un contexte qu’ils reconnaissent comme tendu : ils condamnent les violences, « des agissements de bandes de délinquants (qui ont) saccagé les habitations et terrorisé leurs habitants ces derniers jours », et regrettent d’y avoir été assimilés, « nous avons été qualifiés de ‘sauvages’. »
Ils reviennent néanmoins sur le timing déstabilisant des opérations de destruction, « annoncée tardivement », et menées en période de confinement et en saison des pluies, de fortes pluies même ce lundi. Cela a « généré de l’incompréhension, de la colère même chez certains. » Ils se disent désormais « résignés ». Tout en démolissant les tôles et les piquets, ils expliquent avoir été contactés par l’ACFAV (Aide aux victimes), mais sans véritable solution : « On nous a proposé des relogements provisoires, mais sur Dembéni. Or, je suis installé ici depuis 20 ans et mes 11 enfants sont scolarisés ici à Koungou, en primaire et au collège. Je ne sais pas comment faire. »
Dans leur courrier, ils demandent un terrain sur la commune de Koungou, « que nous sommes prêts à acheter, mais le maire de la commune reste invisible depuis le 26 février. » Comprenant que le sésame c’était le titre de propriété, Nassim Bacari est allé frapper il y a quelques jours à la porte de la direction de Cananga, propriétaire de la parcelle démolie, « mais ils m’ont demandé d’apporter l’argent immédiatement, c’est impossible. » Licencié d’une entreprise de transport, il est actuellement sans emploi.
Il estime en plus que l’action passe en partie à côté de sa cible, « il y a deux parties dans le quartier Jamaïque, et celle où résident les délinquants n’est pas intégrée dans le périmètre. »
« Il n’y aura plus de quartiers interdits »
Autant de sujets sur lesquels nous avons interpellé le préfet Jean-François Colombet lors d’une conférence de presse ce lundi après-midi. C’est le représentant de l’Etat et l’homme qui répondait aux médias, évoquant une intervention sur un quartier « criminogène », une opération qui est amenée à se reproduire « sur plusieurs autres endroits de l’île », mais qui n’est pas « humainement facile ».
« Il n’y aura plus de quartiers interdits à Mayotte, alors que jamais auparavant des opérations de cette ampleur se sont tenues, je tiens à le souligner, il n’y aura plus de zones de non droit à Mayotte. » Cette opération qui vise 234 cases, répond à plusieurs de ses objectifs : « Mener une opération de sécurité contre les multiples agressions des ambulances et des gendarmes, lutter contre l’immigration clandestine, et enfin contre l’habitat illégal. »
Sur le premier, les quatre opérations de sécurité avec de très nombreux tirs de grenades lacrymogènes la semaine dernière à Koungou dans le cadre d’actes de violence, aura permis l’arrestation de deux individus « impliqués au delà des caillassages, rapportait le colonel de gendarmerie Capelle, les bandes ne sont plus présentes sur les lieux, grâce à l’implication d’une centaine de gendarmes dans le dispositif ». A ce sujet, le préfet indiquait que l’arrêté de destruction avait été pris avant les évènements du 24 février. En matière de lutte contre l’immigration illégale, 184 étrangers en situation irrégulière étaient reconduits à la frontière.
En matière de lutte contre l’habitat illégal, c’est plus compliqué puisque si 234 cases doivent être détruites, « dont 40% sur la seule journée de lundi », selon le préfet, d’ici mercredi matin, certains ont déjà replanté leurs poteaux plus loin, dans le quartier ETPC. « C’est de la compétence du maire dans ce cas qui dans le cadre du régime de flagrance peuvent appeler ma directrice de cabinet pour avoir l’autorisation d’agir. » Il explique que depuis octobre, 595 en tôle ont été détruites.
« Ce n’est pas humainement facile »
En matière de relogement, le travail a été fait, rapporte le préfet, « trente familles ont répondu favorablement à nos propositions d’hébergement d’urgence, soit 120 à 200 personnes. Et pour ceux qui sont envoyés sur d’autres communes, je précise que le rectorat se penche sur leurs cas pour rescolariser les enfants. »
Toutes les identités des occupants des lieux ont été relevées, précise le représentant de l’Etat, avec plusieurs cas de figure : « L’enquête sociale a mis en évidence des manquements dans l’accès aux droits pour de nombreuses familles de ressortissants français. Ils ont droit à de l’accession sociale. Celle-ci est très en retard, mais la SIM et la CDC sont à bloc pour rattraper tout ça, avec un milliard alloué à cet effet pour Mayotte ». D’autres détenteurs de titres de séjour sont défavorablement connus, notamment pour des caillassages : « Ils seront donc convoqués par la commission de suppression de titres, pour le leur enlever. »
Les occupants des cases ce lundi se plaignaient d’avoir été informés tardivement, trop pour se retourner, après 20 ans vie sur place pour Nassim Bacari. Entre « mauvaise foi », selon le préfet, « le texte a été publié le 28 février, et affiché en mairie », et manque de communication, les intéressés n’étant pas toujours au fait de la vie publique, c’est un vrai sujet. « C’est pour cela que j’annonce dès maintenant qu’il y aura d’autres opérations. A Dzaoudzi quartier Cetam, quartier de La Vigie, et quartier Moya, à Boueni à Chirongui, etc. Celle de Koungou est la plus grosse opération liée à la loi ELAN, une autre avait été menée dans le cadre d’une décision judiciaire (terrain Batrolo à Kawéni, ndlr). Jusqu’à présent, il était plus facile de penser que les inconvénients de mener de telles actions étaient supérieurs aux avantages. Il fallait s’y mettre. Or, détruire un bidonville, ce n’est pas facile à faire, il faut être courageux, ce n’est pas humainement facile. Et c’est une demande forte de la population, et de maintien de la sécurité publique. »
L’opération était menée en dépit du confinement, qui rend incongru de jeter des occupants hors de leur case, ou de la saison des pluies qui plaçait le département en vigilance ce lundi matin, , « la saison cyclonique nous y autorise ».
Si cette opération a un coût, « environ 400.000 euros », dixit le préfet, « elle n’a pas de prix face aux troubles quotidiens à l’ordre public à Koungou ! »
Anne Perzo-Lafond