S’inspirant très largement des travaux de l’universitaire David Le Breton, la séquence de ce mardi après-midi mettait le doigt sur une réalité très prégnante de Mayotte : les conduites à risques des adolescents. Un sujet qui résonne d’autant plus au sein d’un territoire où plus de la moitié de la population est mineure, où la délinquance juvénile atteint les 30 % et où les insuffisances structurelles poussent le nombre de mineurs à prendre en charge à augmenter constamment.
Le risque est ainsi abordé sous différents prismes : pour les familles, il s’agit là d’une norme de respectabilité, d’honneur. Pour les professionnels, il se définira plutôt par une conception occidentalisée de la promotion de la santé. Enfin, la conclusion des deux psychologues cliniciennes en charge de la séquence, c’est que le risque « renvoie à la possibilité que les actions humaines aient des conséquences qui peuvent affecter ce que les êtres humains valorisent ».
Moncef Mouhoudoire, de l’association Nariké M’sada, explique la démarche. « Questionner les conduites à risque chez l’adolescent revient à interroger la notion de jeunesse dans deux temporalités différentes de la société mahoraise : la société traditionnelle, et la société moderne ». Qu’est-ce alors qu’être jeune ? Un âge, un état d’esprit ? La résultante d’une définition collective ? M Mouhoudoire met ainsi en lumière les profondes mutations de la société mahoraise. Et ce en expliquant qu’avant, le passage vers le monde adulte se faisait avec le rite du mariage en tant qu’indicateur. « Les rapports entre individus étaient organisés au travers d’un système de rôle (…) l’interdit en était le garant ». Et ces interdits sont bien évidemment genrés, tout particulièrement lorsque l’on prend l’exemple de la sexualité : ce que l’on considère comme une conduite à risque chez les filles, est encouragé chez les garçons.
Moncef Mouhoudoire explique qu’avant, « le champs des conduites à risque n’était pas aussi large que de nos jours », évoquant l’exposition à la consommation de substances (une réalité du territoire, dont la prévention fait l’objet d’appels à projets préfectoraux) la prise de risques et les violences sexuelles, etc… Selon Moncef, il y aurait une multitude d’origines : échec scolaire, situation administrative, agression, renfermement sur soi, dépression, chômage, polyconsommation, etc…
Une quête identitaire ?
Les psychologues de Mlezi Christelle Bilhou et Lucie Kiledjian expliquent que le contexte social a évolué, que « le groupe où s’élabore l’identité de chacun commence à s’essouffler face aux mutations sociales en cours ». Elles mettent ainsi en lien les conduites à risque avec les mutations sociales mais aussi familiales, soulignant que la souffrance adolescente et les conduites qu’elle entraîne mettent en lumière les problématiques intrafamiliales comme sociétales. Ainsi, la question de l’identité reste centrale, notamment les problèmes de statut pour les mineurs non accompagnés.
Et Mme Bilhou de citer l’anthropologue Emmanuel Terray : « Les frontières nationales jouent dans la réalité un rôle très différent de celui qui leur est officiellement attribué : leur fonction n’est pas d’empêcher les migrants de passer, chacun sait aujourd’hui que cela n’est pas possible, elle est de faire en sorte qu’en passant, les migrants subissent un changement radical de statut ». Christelle Bilhou reprend : « On rajoute à cela que la dispersion familiale, les séparations multiples ou les ruptures, poussent souvent le jeune à vérifier la fiabilité du lien à l’adulte, à travers des conduites qui malmènent son entourage ». Le sentiment d’exister recherché par l’adolescent peut avoir été fragilisé… Ainsi, avec ces conduites à risque, l’adolescent vient coller à la définition qu’on lui donne, qu’il s’agisse de délinquant ou encore de « sousou » (prostituée). « Au-delà de ces conduites, c’est le malaise de toute une société qui est exposé » reprend la psychologue clinicienne.
Le recours aux institutions, une conduite a risque ?
En janvier 2022, l’instruction conjointe du ministre de l’intérieur et du ministre des outre-mer au préfet de Mayotte entendait « porter une attention particulière à la délinquance des mineurs ». « Afin de prévenir le ralliement de jeunes mineurs en errance aux bandes violentes et éviter ainsi leur basculement dans la délinquance, nous avons décidé de conduire à Mayotte une expérimentation avec un consortium d’associations, en coordination étroite avec les élus » ( Retrouvez l’instruction ici ) était-il alors rappelé.
Mais selon les psychologues cliniciennes, les institutions peuvent « être perçues comme un outil de dévergondage, voire une instance de surveillance des parents par l’Etat ». Il est ainsi rappelé le primat d’un système de référence sur l’autre, et le sentiment inhérent de dépossession de la fonction parentale. Ainsi selon Christelle Bilhou, l’institution peut elle aussi avoir des effets sur l’adolescent, et sur le système familial tout entier. Sans oublier qu’à Mayotte, les institutions appartiennent à un système de référence plutôt occidental, lequel peut « parfois provoquer des réticences ». « Pour l’adolescent, l’expérience de cet entre-deux est comme un miroir de son vécu interne » conclut-on sur le sujet.
Du positif dans ces conduites à risque ?
Une fois n’est pas coutume lorsque l’on évoque des sujets aussi graves, la conférence s’achevait sur une note positive : et si les conduites à risque n’étaient pas totalement négatives, et s’avéraient même nécessaires ? Comme le dit justement l’écrivain Edmond Jabès, « il faut avoir beaucoup erré, s’être engagé sur bien des chemins pour s’apercevoir, en fin de compte, qu’à aucun moment on n’a quitté le sien ».
Mathieu Janvier