Quatre ans de prison pour un homme impliqué dans l’organisation de passages illégaux de migrants

Jugé ce mardi au tribunal de Mamoudzou, Abdallah I., alias “Matso”, a été condamné à quatre ans de prison ferme pour avoir participé à un réseau d’aide à l’entrée d’étrangers en situation irrégulière entre 2023 et 2025 et de vente de produits interdits. L’ancien taxi clandestin affirme avoir agi par nécessité avant de se dire aujourd’hui plein de regrets.

Tout commence à Mamoudzou, en mai 2023. À cette époque, Abdallah I., ancien taximan clandestin, roulait sans permis dans les rues de Kawéni. Recruté par un réseau bien organisé, celui que ses complices appelaient “Matso”, sans doute parce qu’il servait de guetteur sur les plages, va participer, pendant près de deux ans, à une filière d’aide à l’entrée et à la circulation d’étrangers en situation irrégulière à Mayotte.

Médiapart, Mayotte, Comores, Anjouan, Gérald Darmanin
Interception d’un kwassa en provenance d’Anjouan (illustration)

Selon les enquêteurs, cinq kwassas d’une quinzaine de passagers effectuaient deux traversées par mois. Le tarif était de 400 euros par tête, et jusqu’à 1.000 euros pour les passagers “VIP” souhaitant voyager seuls. Les embarcations accostaient tantôt au nord, du côté de Mliha, tantôt au sud, à Mzouazia, pour échapper à la Police aux frontières (PAF). Les passagers restaient parfois cachés dans des bangas, avant d’être récupérés par des proches ou des pêcheurs complices.

Les investigations ont révélé des transferts d’argent importants : plus de 26.000 euros envoyés aux Comores par ria au chef du trafic, dont environ 14.000 reçus directement par l’accusé. Des échanges codés, des lignes téléphoniques mises sur écoute, des photos partagées sur des groupes Facebook… tout confirmait l’existence d’une filière de contrebande bien structurée, où chacun avait un rôle défini. Des constructeurs de barques aux commandants, jusqu’aux revendeurs de cigarettes importées illégalement depuis Dubaï. Ce mardi, c’est dans la salle d’audience A du tribunal de Mamoudzou qu’il était jugé pour ces faits.

« Si j’avais su, je n’aurais jamais fait ça ! »

La salle d’audience A, là où s’est tenu le procès du prévenu

Quand vient son tour de parler, l’homme originaire d’Anjouan garde la tête baissée. La voix posée, les yeux humides, il s’excuse à plusieurs reprises. Et insiste sur le fait qu’il n’a jamais été à l’école et qu’il ignorait la gravité de ses actes. « Je savais pas quoi faire, ma vie était difficile. J’étais taxi mabawa, ils m’ont dit : « rends-nous service” et j’ai accepté. J’ai fait un mois, puis un autre. Si j’avais su, je n’aurais pas fait ça ! C’est dangereux, j’ai gâché ma vie et celle de mes enfants », souffle-t-il, par l’intermédiaire d’un traducteur.

Abdallah I. raconte avoir arrêté ses activités en avril 2025, après une conversation marquante avec un ami tout juste sorti de prison. Celui-ci lui aurait conseillé de reprendre le taxi clandestin. « Même si c’est aussi illégal, au moins c’est moins grave », répond t-il à la procureure qui lui a demandé juste avant d’où lui était venu le déclic. Pendant quelques mois, il aurait tenté de vivre de petits travaux, bricolant à droite à gauche, gagnant entre 500 et 700 euros par mois. “Matso” dit avoir agi par nécessité. Il vivait en concubinage, avec sa femme et ses deux enfants qui maintenant sont aux Comores. Devant les juges, il décrit un quotidien fait de débrouille et de petits revenus. « Moi je faisais ça pour survivre, pas pour m’enrichir. Je gagnais 100 euros quand je conduisais illégalement », précise-t-il, tout en assurant ne pas avoir été le commandant des kwassas.

kwassa, PAF, Mayotte
Un kwassa chargé à ras bord de produits de contrebande (illustration. Photo :DTPN)

Au début, l’accusé  affirme ne pas avoir touché d’argent lié à la vente de cigarettes, puis revient sur ses mots en disant qu’il recevait environ 100 à 150 euros uniquement pour conduire les cigarettes à leur arrivée sur Mayotte et les déposer dans les points de vente. Mais les faits sont lourds. Déjà connu de la justice pour conduite sans permis, expulsé plusieurs fois, il a continué ses activités même après avoir été placé au Centre de rétention administrative (CRA). Les autorités l’avaient retrouvé à Kawéni en juillet 2025, vivant dans un banga, poursuivant la vente de cigarettes venues des Comores et de Dubaï.

Une défense pleine de regrets, mais un dossier jugé grave

La procureure, calme mais ferme, rappelle que ces traversées s’effectuent à bord d’embarcations “extrêmement précaires”, souvent au péril de la vie des passagers. « Ce sont des réseaux particulièrement organisés, avec des gens qu’ils jugent fiables, sur qui ils peuvent compter ». Selon elle, le prévenu minimiserait son rôle. « Il a eu la confiance des grosses têtes. Il a tiré profit d’un système qui capitalise sur la misère des Comoriens et a fait circulé de l’argent de façon illégale en France », conclut-elle, avant de requérir trois ans d’emprisonnement, 8.000 euros d’amende et une interdiction définitive du territoire français.

Centre pénitentiaire Majicavo, Mayotte, Koungou
Une peine de 4 ans de prison a été prononcée envers le « passeur »

Face à elle, le prévenu garde la même posture, calme et effacée. « Je demande pardon au tribunal. Je ne referai plus ça. Après la prison, je veux passer mon permis et vivre autrement. J’ai compris beaucoup de choses depuis que je suis en prison », plaide-t-il, presque d’une voix d’enfant.

Aux Comores les revenus sont très bas, ce qui fait que pour pouvoir se payer cette traversée les gens doivent économiser plusieurs mois ou encore se priver énormément. Pour réunir les 400 à 1.000 euros demandés par les passeurs, certains vont jusqu’a vendre leurs bijoux de mariage.

Quatre ans de prison et l’interdiction du territoire

Après délibération, le tribunal a tranché : Abdallah I. est reconnu coupable de l’ensemble des faits qui lui sont reprochés. Il écope de quatre ans de prison ferme, de 5.000 euros d’amende, d’une interdiction définitive de mettre son pied en France ainsi que 254 euros de frais de justice à régler à sa sortie. À la fin de sa peine actuelle pour conduite sans permis, il devra enchaîner avec ces quatre autres années. Il lui reste dix jours pour faire appel. La présidente du tribunal lui rappelle la gravité de ses actes : « Vous avez joué sur le malheur des gens. Vous encouriez dix ans de prison, vous en aurez quatre ». L’homme, tête baissée, murmure un dernier mot avant d’être reconduit en cellule : « J’ai compris, je veux juste une autre vie ».

Shanyce MATHIAS ALI

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