Hakim Karki avait été condamné à 10 ans de détention en appel le 16 décembre 2022 à Paris pour des faits qui s’étaient déroulés 8 ans auparavant à Mayotte, le viol d’une professeure de philosophie dans la nuit du 1er au 2 juillet 2014. Le juge n’est alors pas un inconnu à l’époque, ayant mené plusieurs instructions largement médiatisées. Dans sa défense, il les liera d’ailleurs.
C’est l’affaire Roukia Soundi qui le révèlera au grand public. Du nom de cette jeune femme de 18 ans, morte le 14 janvier 2011 par overdose d’héroïne issue d’un échantillon intercepté par un indicateur et remis en circulation par deux gendarmes du GIR (Groupement d’Intervention Régional), sans qu’ils en avertissent leur hiérarchie. Le magistrat dénoncera à plusieurs reprises des interventions de la gendarmerie dans l’objectif étouffer l’affaire, quand il s’avèrera au cours du procès qu’on est réellement en présence de deux « pieds-nickelés », qui avoueront avoir pensé bien faire en l’absence de leur supérieur, ce qui leur vaudra de courtes condamnations.
Au cours de la longue enquête, des fuites savamment orchestrées vers des journalistes locaux qui prennent fait et cause pour la version du juge, créeront à l’époque au sein du tribunal de grande instance de Mamoudzou, un climat délétère.
Une proximité en béton

Même agitation médiatique pour l’affaire des 67 kilos de lingots d’or appartenant à une société malgache et transportés vers Dubaï via Mayotte, au cours de laquelle le magistrat aurait accusé de corruption des membres de la cour d’appel de Saint-Denis, propos pour lesquels il était menacé de sanctions disciplinaires. Une occasion qui lui était offerte pour s’afficher là encore comme victime.
Troisième grosse médiatisation où est encore impliqué Hakim Karki, les accusations qu’il portait contre le cimentier Lafarge d’un taux de Chrome VI anormalement élevé dans un contexte de guerre économique que se livraient les importateurs de BTP de l’île. Le directeur du site Lafarge et son second étaient mis en examen. Lorsque par la suite, il était reproché au juge une proximité avec un acteur économique de l’île, ce dernier ayant ainsi bénéficié de l’immobilisation des sacs de ciment de la firme dirigée par Holcim.
« Exigence de dignité »

C’est dans ce contexte que dans la nuit du 1er au 2 juillet 2014, le juge se rend au Caribou pour se détendre. Il y rencontrera deux femmes, dont l’une accepte d’être ramenée chez elle après le dîner, en raison de l’insécurité régnant sur le territoire. Là les deux versions, celle d’Hakim Karki et de l’enseignante divergent. Elle l’accuse de l’avoir obligée à une fellation avant de le suivre en état de choc chez lui. Lui, explique qu’elle lui a sauté dessus, mais qu’il s’est laissé faire, et qu’ensuite, chez lui, il s’agissait d’une « relation consentie », et non d’un viol puisqu’elle a accepté de le suivre. Il se défend en y voyant un énième complot, ourdi celui-là par le cimentier dans un esprit de vengeance. Là encore, plusieurs médias de l’île prendront fait et cause pour celui qui se pose en victime car « chevalier blanc » défenseur de l’opprimé, comme nous l’avions qualifié.
Jugé en cour d’assises à Paris le 16 décembre 2022, il est condamné à huit ans de détention, puis sa peine est alourdie en appel, le 4 avril 2024 à Créteil. Son pourvoi en Cassation avait été rejeté.
Une succession de condamnations au cours desquelles il dénonce une « procédure partiale » et un complot. Saisi, le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) prononçait ce 16 octobre la révocation du magistrat, à la suite de sa condamnation pour viol. « Ils sont incompatibles avec l’exigence de dignité qui incombe à tout magistrat », justifie le CSM, « et portent une profonde atteinte à la confiance et au respect que cette fonction doit inspirer ».
En 2024, le Conseil supérieur de la magistrature a été saisi de neuf procédures disciplinaires.
Anne Perzo-Lafond