À Mayotte, des élèves sacrifiés sur l’autel de l’harmonisation du bac ?

Après le cyclone Chido à Mayotte, des erreurs informatiques et une harmonisation controversée du bac 2025 auraient pénalisé des élèves, notamment les plus brillants.

Sept mois après le passage du cyclone Chido, qui a frappé Mayotte le 14 décembre 2024, la session 2025 du baccalauréat a été marquée par des ajustements exceptionnels. Ces mesures, prises dans un contexte post-cyclonique, auraient provoqué d’importantes disparités dans l’évaluation des élèves. L’harmonisation des notes, critiquée pour son manque de transparence et de rigueur, ainsi que des anomalies informatiques, auraient lourdement pénalisé plusieurs candidats, notamment les plus brillants. Un enseignant mahorais décrit une situation « très grave », où le travail de jeunes élèves, souvent en grande difficulté après la catastrophe, a été dévalorisé.

Une harmonisation atypique des notes dans un contexte inédit

À Mayotte, la session 2025 du bac s’est déroulée dans des conditions exceptionnelles. En février, le ministère de l’Éducation nationale, sous la direction d’Élisabeth Borne, a annulé toutes les épreuves écrites — anticipées et terminales — en raison des conséquences du cyclone Chido. Un arrêté publié au Journal officiel le 13 mai dernier a officialisé la prise en compte des moyennes annuelles validées par les conseils de classe, en particulier pour les spécialités et la philosophie.

Après le cyclone Chido, la continuité pédagogique a été fortement perturbée dans certains établissements de l’île, compliquant l’évaluation des élèves.

Cette mesure a profondément modifié le processus d’harmonisation des notes. Traditionnellement fondée sur la correction des copies d’examen, l’harmonisation vise à garantir une évaluation équitable entre candidats. À Mayotte, faute d’épreuves écrites, ce processus s’est basé uniquement sur les moyennes scolaires. « De facto, cette harmonisation est très complexe », explique un enseignant d’un lycée local. Il souligne les disparités importantes entre établissements, exacerbées par les interruptions répétées des cours. « Certains enseignants ont ajusté leurs notes en tenant compte des difficultés post-cycloniques, mais cela a créé des écarts très importants entre les établissements », détaille-t-il.

Selon ce professeur, les consignes reçues auraient conduit à des révisions à la baisse drastiques dans certaines matières, avec des baisses de « quatre, cinq voire six points » sur des moyennes initiales élevées. Ces ajustements ont suscité une grande incompréhension chez les élèves concernés. Il cite le cas d’une lycéenne brillante en mathématiques et sciences, dont la note est tombée de 17 à 12 après harmonisation. « On lui a dit ‘tu as eu ton bac malgré Chido’, mais c’est inadmissible. Ce sont des enfants qui se sont battus pour leurs notes dans des conditions déjà extrêmement difficiles », s’indigne l’enseignant.

Des bugs informatiques et des notes absentes, une double peine pour les élèves

Au-delà des ajustements contestés, des anomalies dans la publication des résultats ont aggravé la situation. Plusieurs élèves ont découvert que certaines options ou matières n’étaient pas prises en compte, ou que des notes manquaient complètement. « Des élèves ont dû réclamer des corrections, parfois sans succès, et certains se sont retrouvés convoqués au rattrapage à tort », rapporte l’enseignant. Il évoque le cas d’un candidat, découragé par l’absence de réponse administrative, qui a renoncé à contester ses notes.

L’harmonisation des notes, processus crucial pour garantir l’équité, a dû être adaptée cette année à Mayotte, reposant sur les moyennes annuelles en lieu et place des épreuves écrites.

Plus préoccupant encore, une élève brillante, préparant une entrée en médecine, s’est vue notifiée comme « absente » dans une épreuve de spécialité coefficient 16, alors qu’elle avait effectivement passé l’examen. Initialement convoquée au rattrapage, elle a pu, après contestation, faire rétablir une note juste à temps, évitant ainsi la session de rattrapage. Toutefois, l’enseignant dénonce une forme de fatalisme dans les conseils reçus : « On lui a simplement dit ‘passe le rattrapage’, alors même qu’elle aurait pu être admise directement et même décrocher une mention. C’est inacceptable, surtout quand on parle de jeunes qui ont perdu leur maison il y a six mois. C’est un vrai scandale ».

L’origine de ces erreurs reste floue. L’enseignant suspecte un « bug informatique », malgré les consignes rigoureuses données aux enseignants pour la saisie des notes. Selon lui, la Direction des examens et concours (DEC) aurait été submergée par les sollicitations des établissements, sans parvenir à traiter efficacement les nombreuses réclamations.

Des conséquences humaines et scolaires lourdes

Ces dysfonctionnements posent une grave question d’équité dans le traitement des candidats mahorais. Pour cet enseignant, les élèves les plus brillants, qui ont maintenu un niveau d’excellence malgré le contexte difficile, sont paradoxalement les plus pénalisés. « En métropole, on se bat pour 0,01 point. Ici, on parle de baisses allant jusqu’à six points, c’est gravissime », conclut-il.

Selon lui, face à la colère des élèves et de leurs familles, le rectorat aurait répondu : « Arrêtez de râler, vous avez déjà eu votre bac après Chido ». Cette posture alimente un profond sentiment d’injustice et de découragement parmi les élèves.

Contactée, Valérie Debuchy, rectrice de Mayotte, n’a pas donné suite à notre demande de commentaire. Le ministère de l’Éducation nationale n’a pas non plus réagi à ces signalements pour le moment.

Mathilde Hangard

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